Au Bénin, on n’a pas de pétrole, mais de la jacinthe d’eau

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Au Bénin, une ingénieuse idée développée par deux entrepreneurs permet de résoudre un problème environnemental majeur tout en offrant des perspectives socio-économiques aux populations locales.

Le lac Nokoué, au Sud du Bénin, avait tout pour devenir la meilleure des cartes postales du pays. Certains de ses villages lacustres, comme Ganvié, ont d’ailleurs connu ce privilège. Mais la population locale, qui vit d’abord de la pêche, étouffe. Comme le lac, elle est asphyxiée par la prolifération d’une plante invasive : la jacinthe d’eau. 

Importée d’Amérique latine vers l’Afrique de l’Est à la fin du XIXe siècle, la plante permet de filtrer l’eau et contribue dont à la santé du lac et de ses poissons lorsqu’elle n’y existe qu’en petites quantités… sauf qu’elle se reproduit à une vitesse incontrôlable. Résultat : le lac en est infesté, et le tapis de jacinthes qui le recouvre empêche la circulation des populations qui vivent sur l’eau, et partant, l’activité économique de toute une région. Surtout, pompant l’oxygène du lac, elle finit par appauvrir l’environnement aquatique et contribue à la raréfaction du poisson. Bref, la jacinthe d’eau est un véritable fléau, et les populations du lac lui ont trouvé un sobriquet : togbè. Entendez : le pays est gâté.

Une idée verte et vertueuse

Plus on l’arrache, plus elle est repousse ! « Dix plants peuvent en générer 800.000 en huit mois », assure David Gnonlonfoun. Cet ingénieur de formation s’est associé à l’un de ses camarades rentré de Belgique pour fonder Green Keeper Africa. Une petite entreprise qui a décidé, à sa manière, de s’attaquer à la fameuse jacinthe. Comment ? En la transformant en aubaine pour l’environnement comme pour les populations.

La plante est en effet capable d’absorber quatre à dix-sept fois son poids, selon les liquides. Alors pourquoi ne pas l’utiliser pour dépolluer des sites que les fuites d’hydrocarbures ont souillés ? Aidés par Tema, une entreprise mexicaine qui fournit d’importantes sociétés pétrolières en fibre de jacinthe, ils ont lancé leur propre production, et ont obtenu leurs premiers marchés pour nettoyer des cuves ou des décanteurs obstrués par les boues de pétrole. Et pour boucler la boucle, ils récupèrent la fibre de jacinthe imbibée de produits pétroliers pour en faire un combustible employé dans les industries locales, comme les cimenteries.  La plante a ainsi été transformée en outil de dépollution entièrement recyclé. Une idée verte et vertueuse.

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Collecte de la jacinthe d’eau au Bénin

De vrais impacts socio-économiques…

Néanmoins le plus grand bénéfice, à effet quasi-immédiat, concerne les populations qui vivent dans la commune de So-Ava, au bord du lac. D’abord, leur unité de transformation est implantée dans cette zone reculée,  et emploie des locaux – 13 permanents.  Mieux : le ramassage de la jacinthe occupe entre 30 et 60 personnes – toutes des femmes – selon les périodes de l’année. Elles peuvent en récolter 100 à 150 tonnes en un mois, soit 10 à 15 tonnes une fois séchées. Une matière qu’elles revendent à Green Keeper Africa : 500 francs CFA (0,75 euro) par sac de 10kg. « Une femme peut ramasser en trois semaines de quoi faire 50 sacs, soit 25.000 francs CFA (38 euros), quand le salaire mensuel minimum au Bénin, simple indicateur qui n’est en réalité jamais respecté, est officiellement de 40.000 francs CFA (61 euros) » précise Fohla Moftaou, co-fondateur de l’entreprise.

À leurs débuts, les deux fondateurs de Green Keeper Africa ont dû convaincre les populations qu’il ne s’agissait pas de la énième ONG caritative, mais bien d’une entreprise. Un business vert en somme, avec un véritable impact social. « De nombreuses femmes s’occupent par exemple de vendre le poisson pêché par leur mari. Elles se mettent à côté de lui, et ramassent les jacinthes. Elles dégagent ainsi des revenus, mais aussi libèrent au sein du lac des voies qui leur permettent d’accéder aux marchés des villages alentour », insiste Fohla Moftaou, ex-pédiatre qui a quitté la Belgique pour revenir s’installer au Bénin. Véritable complément de revenus, le ramassage de la plante invasive, plus intense encore avant la rentrée, tombe d’ailleurs à point nommé puisqu’il permet de faire face aux dépenses importantes de scolarité.

Une idée à faire proliférer dans la sous-région

Aujourd’hui, la circulation lacustre est de nouveau possible, fluidifiant l’activité économique locale. C’est une première étape. D’ailleurs, Green Keeper Africa  compte dupliquer ce premier test à une tout autre échelle en proposant ses services au pays voisin, le Nigéria. Producteur de pétrole, le géant de la sous-région est tout autant touché par d’énormes problèmes de pollution, qui ont saccagé des régions entières. L’expertise née au Bénin pourrait donc servir demain pour des chantiers bien plus grands, demandant davantage de jacinthe, et nécessitant toujours plus de bras !

La jacinthe ne manque pas de ressources : les deux entrepreneurs – récompensés en 2015 par un prix du ministère français des affaires étrangères – ont ainsi trouvé de nouveaux débouchés. A partir de cette matière première, ils produisent des aliments pour lapin, des litières pour l’élevage des volailles… et réfléchissent au développement d’une filière couches-culottes et serviettes hygiéniques, très chères sur place car importées. Source de troubles, la plante importée constitue désormais une ressource d’avenir pour ses populations. Certains ne s’y sont pas trompés en lui trouvant un nouveau surnom : Tognon, que l’on peut traduire par « le pays est bon ».

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Données en plus

Green Keeper Africa emploie 13 salariés permanents, auxquels s’ajoutent 30 et 60 personnes – toutes des femmes – selon les périodes de l’année.
Elles peuvent récolter 100 à 150 tonnes de jacinthes d’eau en un mois, soit 10 à 15 tonnes une fois séchées, qui leur rapporteront 500 francs CFA (0,75 euro) par sac de 10kg.