Le REPAS : un réseau de compagnons solidaires

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Chantier collectif de compagnons pour la construction d'une passerelle sur une rivière dans un lieu collectif à Saint-Julien-Molin-Molette (Loire).

Le R.E.P.A.S. est, comme son nom l’indique, un Réseau d'Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires. Là où le compagnonnage fonctionne de façon générale au sein d’une unique corporation, ce réseau a créé un « compagnonnage alternatif et solidaire » pour permettre des échanges et transmissions de savoirs et savoir-faire entre des métiers qui généralement s’ignorent.

Au début de l’aventure, au milieu des années 1990, « nous étions chacun dans notre coin, à défendre des valeurs un peu à la marge, se souvient Michel Lulek, membre historique du Repas. Et le souhait général était d’échanger sur nos pratiques. L’idée était d’être entre pairs pour réfléchir, échanger, se donner mutuellement des idées, identifier nos difficultés et comment on les résolvait. » Des rencontres biannuelles ont permis de jeter les bases de ce réseau inédit, et ainsi se sont tissés jusqu’à aujourd’hui des liens de solidarité de plus en plus tangibles entre des professions auparavant déconnectées les unes des autres.

 

Mettre en commun les expériences

Au cœur de ce réseau, une question : « Comment présenter ce qu’on fait, et expliquer comment on l’a réalisé, à tous ceux qui ont l’envie de monter des projets similaires ? » Ainsi est née l’idée d’un compagnonnage alternatif et solidaire, qui se démarque du compagnonnage classique, plus « vertical » et descendant. « Plutôt que d’apporter une réponse univoque, forcément partielle, nous proposons un corpus de solutions, plurielles, sous la forme d’un parcours au travers de différentes entreprises. » GAEC agricoles, coopératives de consommation ou de production, associations loi 1901 ou S.A.R.L., etc. : une trentaine de structures réparties dans toute la France forment ainsi le réseau « informel » Repas. Leur but : mettre en commun leurs ressources, échanger leurs savoirs et mutualiser leurs compétences, et ce malgré des tailles et statuts juridiques aussi divers que les métiers qu’elles mettent en œuvre (agriculture, élevage, artisanat, recyclage, production de laine ou de bois, pédagogie, etc.).

 

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Rassemblement de compagnons lors d'une session collective à la ferme de Trasrieux (Haute-Vienne) en 2015.

 

Le bénéficiaire devient formateur

Avant de devenir membre du « comité de pilotage » de ce dispositif, Yann Andrieu, 28 ans, en a lui-même été bénéficiaire en 2015. « J’avais travaillé pendant un an dans une menuiserie, où chaque salarié participait aux décisions. Ce mode de fonctionnement m’ayant bien plu, j’ai donc intégré le réseau Repas. » Lors de cette formation itinérante, ce nouveau compagnon passe notamment par Ambiance Bois, l’entreprise qui l’embauchera. Surtout, Yann Andrieu choisit de passer à son tour le relais en devenant formateur. « On commence avec une semaine de regroupement, qui réunit les compagnons et les formateurs. On présente alors le parcours et les différentes structures, puis on lance plein de petits ateliers pour commencer à se poser des questions de société, mais aussi plus personnelles… » Sur le mode participatif et réactif, plus que sur le format conférence.

 

Dans ces ateliers, la distinction s’efface entre compagnons et formateurs. Suivent cinq semaines d’immersion où le compagnon part seul en stage dans l’une des structures du réseau. Le choix s’effectue par tirage au sort. Puis il y a cinq autres semaines de « groupes actions » : 6 à 8 personnes qui doivent vivre et travailler ensemble. « Comme une espèce de petite bulle artificielle de vie de groupe, autour d’un chantier. C’est un moment fort, parce qu’il faut tout remettre à plat collectivement, avec d’autres qu’on n’a pas choisis : À quelle heure on commence à bosser le lendemain ? Est-ce qu’on se prend des week-ends ? Est-ce qu’on mutualise l’argent ? » Les questions ne manquent pas, tout comme les tensions, nécessaires pour au final resserrer les liens. A l’issue de ce « groupe action », tous se retrouvent pour une semaine de bilan et de mise en perspectives.

 

Le difficile obstacle du financement

Non professionnelle ou qualifiante, ce type de formation ne rentre dans aucune case. La présence d’un organisme de formation agréé au sein du Repas, l'association Le Mat, a tout de même permis sa validation auprès des pouvoirs publics, et donc une prise en charge partielle. « Pendant plusieurs années, les régions Rhône-Alpes et Limousin ont financé cet outil, précise Michel Lulek, car beaucoup des personnes qui passaient par le compagnonnage s’installaient ensuite à proximité des entreprises qui les avaient accueillis, comme ici sur le plateau de Millevaches. » Malgré d’autres financements complémentaires, le Repas ne parvient pas à couvrir l’intégralité du coût de chaque formation, estimée à 4 000 €. Outre sa participation au collectif, il est donc demandé à chaque compagnon une participation minimum, de l’ordre de 400 €, pour couvrir les frais d’hébergement et de nourriture lors des trois regroupements du parcours « initiatique ».

 

Chaque année le Repas doit ainsi jongler pour boucler ce budget. « Nos autres charges, précise Yann Andrieu, administration, heures de présence et défraiement des formateurs, sont financées en partie par une participation libre des compagnons et par des demandes de subventions, essentiellement des régions. Là encore, c’est très fluctuant d’une année sur l’autre, et notre variable d’ajustement est le taux horaire auxquels sont rémunérés les formateurs : parfois vingt euros de l’heure, parfois rien du tout… »

 

La transmission, valeur cardinale du compagnon

De 1997 à 2015, quelque 300 compagnons ont pu évaluer leur projet au contact de la réalité et de l'expérience d'autres ayant fait le même chemin avant eux. Quant aux structures, elles en tirent un bilan très positif, même si cet outil ne répond pas précisément à leurs besoins de recrutement. En moyenne, un compagnon sur cinq crée sa propre activité, un autre est embauché dans l’une des structures du réseau, les autres devenant salariés ailleurs ou s’engageant dans des formations qualifiantes… Dans cette démarche, l’essaimage reste fondamental : les anciens compagnons forment à leur tour un réseau, dont les membres se soutiennent mutuellement pour ajuster les projets de chacun.

 

Si, dans un premier temps, le Repas n’avait aucune structure juridique, une association est née en 2003 suite à la création d’une maison d’édition, spécialisée dans la publication de témoignages. « Pour fêter ses vingt ans d’existence, Ardelaine, une SCOP implantée en Ardèche, avait écrit son histoire, se souvient Michel Lulek. À Ambiance Bois, nous avons suivi son exemple, en devenant nous-mêmes éditeurs. » Quinze livres ont déjà été édités, deux autres sont chez l’imprimeur et cinq en préparation, tous inscrits dans cette même volonté de transmission. « Quand on est inscrit dans la pratique, on peut porter une parole sur cette pratique. »

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Données en plus

De 1997 à 2015, quelque 300 compagnons ont été « formés » par ce réseau.