Clubhouse Paris : ensemble pour se réinsérer

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Au sein du Clubhouse, tous se partagent les tâches. Ce jour, Ludovic et Ali se sont portés volontaires pour la préparation du déjeuner.

Depuis 7 ans, le Clubhouse Paris développe un modèle d’insertion sociale et professionnelle fondé sur la cogestion, l’entraide et le sentiment d’utilité collective. Dans la convivialité et la bienveillance, l’initiative aide des personnes vivant avec des troubles psychiques à renouer des liens et à réintégrer progressivement la vie active.

« Qui sera l’animateur de la réunion ? » Début juillet, Ludovic se porte volontaire pour animer la réunion matinale du Clubhouse, un lieu d’activité créé à l’intention de personnes concernées par des troubles psychiques. Les rôles et le déroulé de ce moment sont très codifiés. Sébastien, sera le « maître de cérémonie », responsable du chronomètre et chargé de limiter la durée de la séance. Isabelle sera la « scribe », chargée d’inscrire, sur les tableaux blancs qui habillent tout un pan de mur de l’espace, les tâches et responsabilités que chacun assumera aujourd’hui. Faire les courses, préparer le déjeuner, mettre la table ou la débarrasser, arroser les plantes en terrasse, tenir le standard téléphonique, contacter les membres qui ne sont pas venus depuis longtemps… Tout est programmé sur le mode du volontariat. A l’issue de la réunion, Yohel propose à tous quelques mouvements de taï chi pour bien démarrer la journée. « Quel dynamisme ! » le félicite Bertrand Denis, l’un des salariés du Clubhouse. « Oui, mais c’est fragile, il ne faut pas que j’en fasse trop », observe sagement le jeune homme.

Fondé en 2011, le Clubhouse Paris s’est donné pour objectif de faciliter l’insertion sociale et professionnelle des personnes fragilisées par un handicap psychique. L’endroit est directement inspiré d’un modèle outre-Atlantique, le premier Clubhouse étant apparu à New York dès 1948. Établi sur les notions de club, d’entraide et de travail, le modèle s’est progressivement diffusé aux États-Unis puis dans le monde jusqu’à la constitution d’une fédération internationale en 1994. En France, il sera importé sous la forme d’une association par Philippe Charrier, chef d’entreprise et alors vice-président de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). Il s’agit ici de contribuer au rétablissement personnel en reprenant le rythme de la vie active via la fréquentation régulière du site, de nouer des relations avec ses pairs et de stimuler ses aptitudes sociales ou ses compétences, voire de définir ou redéfinir un projet professionnel.

Le propos n’est pas de remettre les gens en emploi coûte que coûte. « Lorque les personnes arrivent, leur première idée est d’abord de sortir de l’isolement, de retrouver un sens à leur vie, poursuit Jean-Philippe Cavroy, directeur du clubhouse de Paris. Mais il se trouve que dans 80 % des cas, le processus de rétablissement se poursuivra par le désir de retravailler. » Judith, une trentenaire auparavant standardiste bilingue, est encore toute nouvelle dans le dispositif. Ce jour-là, elle s’initie au fonctionnement du standard. « Ma maladie fait que je peux tout envoyer balader brutalement. C’est pour ça que je ne travaille plus, mais j’ai quand même besoin d’une vie sociale avec un cadre, tous les jours et c’est ce qui m’intéresse ici. » Ludovic, lui, est membre du Clubhouse depuis un an. Il souffre de troubles bipolaires. Vendeur dans une librairie juridique, il a de lui-même quitté son emploi « Quand je suis arrivé ici, j’avais besoin de fraternité, d’empathie. J’ai d’ailleurs beaucoup développé la mienne et même si ce n’est pas encore très précis, je sens que mon projet professionnel se fondera sur la compréhension empathique. »

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Les journées du Clubhouse sont précisément organisées. Elles débutent toujours par une réunion des membres et salariés présents qui se répartissent les tâches du quotidien.

La collégialité et l’horizontalité en toutes prises de décision

Le principe de cogestion est au cœur du dispositif. « Nous sommes tous au même niveau ici, s’enthousiasme Annie, 76 ans. Salariés ou membres, il n’y a pas de voix prépondérante, toutes les décisions sont prises conjointement et le travail est fait ensemble. » Les Echos, petit journal en ligne du Clubhouse, le prouve : les sujets discutés et les décisions prises dans les réunions hebdomadaires y sont très régulièrement publiés. « Et quand on décide de quelque chose, on le fait, c’est très rapide », poursuit la doyenne de la communauté, qui s’attelle actuellement à organiser une sortie loisir au château de Guédelon.

Plus loin, Lassad, 42 ans, est en train de colliger la liste des membres qui n’ont pas fréquenté le site depuis plusieurs semaines. Il demande de l’aide à Olivier, également membre, pour rédiger le texto qu’il leur fera parvenir afin de s’assurer qu’ils vont bien. À l’étage, Cécile Hambye et Sébastien s’occupent d’enregistrer le Clubhouse dans une base de données de la ville de Paris. Claire et Carmina terminent de mettre en ligne le planning des activités de la semaine. « Les gens viennent pour faire tourner le lieu, résume Coraline Lamour, l’une des salariés du lieu. C’est ce qui va leur permettre d’avancer dans leur rétablissement. Certaines tâches peuvent sembler peu gratifiantes, comme laver les toilettes ou faire la vaisselle, pourtant, ici on sait que cela a une utilité, qu’on sera remercié de les avoir réalisées et qu’elles permettent au lieu de continuer à exister. » Le modèle se veut très éloigné de l’activité occupationnelle.

Être à l’écoute de tous pour identifier les besoins de chacun

Le quotidien est aussi animé par différents ateliers : recherche d’emploi, investissement dans le bénévolat, mise en valeur d’un CV, etc. Ceux-ci peuvent être organisés par des membres en fonction de leurs compétences, tels que l’atelier musique ou celui d’écriture, ou encore celui dédié aux droits et démarches, voire un autre consacré à l’anglais… La communauté du Clubhouse est également une ressource de choix pour organiser des « focus membres », temps de réunion autour du projet professionnel de l’un d’eux afin de faire émerger des suggestions en fonction des compétences ou qualités qui lui sont reconnues… Ou encore des retours d’expérience réalisés par ceux d’entre eux qui ont pu accéder à un emploi. « Cela peut toujours créer des envies », insiste Jean-Philippe Cavroy. Chaque semaine des entreprises viennent également présenter leurs métiers ou invitent des membres à passer une demi-journée dans leurs locaux pour les découvrir.

Pour faire partie du Clubhouse, l’association demande un avis psychiatrique, attestant que la personne est suivie. La plupart des usagers sont orientés par leur médecin ou par le bouche-à-oreille. Une équipe de 8 salariés chargés de cogestion accompagne les membres du Clubhouse. Aucun d’entre eux n’est travailleur social. À sa création, l’association avait tenté une telle collaboration. Mais une posture trop axée sur l’assistance s’est vite avérée incompatible avec le modèle Clubhouse. « Le meilleur profil pour travailler ici, c’est d’avoir déjà eu une vie professionnelle, de connaître l’entreprise, tout en ayant un intérêt pour le social », résume Jean-Philippe Cavroy, qui est un ex directeur marketing dans le secteur commercial. Chargé de cogestion est un métier très particulier qui consiste à toujours favoriser le faire avec, en se détachant de la notion de hiérarchie propre au monde du travail. Eux aussi participent à toutes les tâches de gestion du quotidien. « Mais notre vrai travail est invisible, fondé sur l’interaction en permanence, l’observation de nombreux détails, la valorisation de la personne…, analyse Coraline Lamour. Il s’agit aussi d’entraîner les membres dans de nouvelles tâches qui leur permettront de se remobiliser, et nous aideront à révéler leurs compétences afin de leur proposer les bonnes activités au bon moment. »

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Les repas sont préparés et pris en commun. Ce jour-là, Laurent était responsable du dressage de la table.

Une grille d’évaluation scientifique pour « mesurer » la portée de cette expérience

Et le faire ensemble est ici poussé beaucoup plus loin. Les membres ont ainsi participé à l’aménagement de l’espace, au choix des ateliers qui sont proposés (coaching, préparation à l’emploi et à l’entretien de recrutement, ateliers de loisir, etc.). Ils contribuent également aux actions de sensibilisation au handicap psychique que développe le Clubhouse en entreprise, au cours desquelles ils témoignent. Ils décident des informations qui devront figurer dans la riche base de données que constitue actuellement l’association. Une grille scientifique d’évaluation du rétablissement y sera ainsi prochainement intégrée. « La statistique fait partie de notre activité au quotidien, explique Guillaume Barbier, l’un des salariés. La fréquentation du lieu, le nombre de déjeuners partagés, tout cela peut être utile à nos administrateurs. Mais on y intègre aussi des données individuelles auxquels les membres peuvent avoir accès afin de mesurer leur propre progression. »

Enfin, ceux-ci ont même participé au comité scientifique constitué par Clémence Battin pour la réalisation (en 2016) de sa thèse en psychologie consacrée à l’évaluation clinique de ce premier Clubhouse français. Ses travaux ont montré qu’en une vingtaine de mois, les personnes interrogées étaient cinq fois plus nombreuses à exercer une activité (emploi, formation, stage ou bénévolat). Mais aussi qu’elles se montraient davantage en capacité de décrire leur place au sein de la société, que leurs échanges relationnels s’étaient améliorés et que leur sentiment d’efficacité sociale s’était développé. L’auteur soulignait également que, sur l’ensemble de son échantillon de membres, dix avaient été hospitalisés durant sa recherche (qui a duré 18 mois), contre vingt dans les deux années précédent leur admission au Club House.

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Lassad prépare la « pêche aux nouvelles ». Il dresse une liste des membres qui ne sont pas venus au Clubhouse de longue date avant de leur envoyer un message pour s’enquérir de leur bien-être.

Un modèle qui essaime

Seule peut-être échappe aux membres la recherche des financements, pour boucler leur budget de 600 000 € (salaires, loyers, entretien des lieu et frais de repas, etc.), confiée à la structure associative et à son conseil d’administration. Pour l’instant, le dispositif repose à 30 % sur des subventions, 50 % sur des dons ou du mécénat, le reste du budget provenant des actions de formation et sensibilisation au handicap psychique menées en entreprise. Le Clubhouse parisien enregistre 134 membres actifs (c’est-à-dire présents au moins une fois par mois), et a accompagné 276 personnes depuis sa création. Les membres du Clubhouse le sont à vie : ils peuvent cesser de venir, se rétablir, puis sentir le besoin d’y revenir.

L’objectif premier est de contribuer au rétablissement par l’insertion sociale avant tout, et professionnelle, lorsque celle-ci est envisageable. Parmi ceux qui n’étaient pas employés (environ la moitié des usagers), 28 % ont pu retrouver un poste, entrer en formation, exercer une mission courte ou un stage. Un des principes du modèle international Clubhouse tient dans la promotion de l’insertion professionnelle, à travers des emplois de transition. Un dispositif possible aux États-Unis, mais difficilement transposable tel quel en France. « Pour que ce modèle fonctionne, il faudrait que l’on puisse remplacer la personne en entreprise au pied levé en cas de problème, résume Jean-Philippe Cavroy. Or, les contrats de travail en France sont nominatifs, le cadre juridique ne s’adapte pas. Donc nous recherchons plutôt des missions très ponctuelles, de l’intérim ou des CDD à très court terme. »

Malgré tout, le modèle essaime. En France comme dans le monde : on compte actuellement plus de 350 clubhouses (soit plus de 100 000 membres bénéficiaires) développés aussi bien aux États-Unis et au Canada qu’en Australie et en Chine, ou encore en Finlande et en Allemagne, toujours avec des résultats probants, testés par des évaluations régulières. Fin 2017, deux autres clubhouses ont été créés à Bordeaux et Lyon : chacun enregistre actuellement une cinquantaine de membres.

Au Clubhouse Paris, la journée se termine sur un atelier musique, animé par des membres. Beaucoup de ceux qui ont passé la journée ou l’après-midi ici sont déjà partis, d’autres les ont remplacés – les horaires sont totalement libres, tant que chacun annonce à l’avance combien de temps il restera. On jouera ce soir « Nothing Else Matters » de Metallica. La place de la violoniste n’est pas facile à trouver et les discussions sont vives, certains estimant n’avoir pas été suffisamment associés à l’organisation de la séance. L’accord finit cependant par être trouvé, comme toujours ou presque.

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Données en plus

On compte actuellement plus de 350 clubhouses (soit plus de 100 000 membres bénéficiaires) développés aussi bien aux Etats-Unis et au Canada, qu’en Australie et en Chine, ou encore en Finlande et en Allemagne

Le budget de l’association est de 600 000 € (salaires, loyers, entretien des lieu et frais de repas, etc.), confié à la structure associative et à son conseil d’administration. Pour l’instant, le dispositif repose à 30 % sur des subventions, 50 % sur des dons ou du mécénat, le reste du budget provenant des actions de formation et sensibilisation au handicap psychique menées en entreprise.