Rob’autisme : les adolescents autistes se connectent

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Face à un robot Nao, l’un des enfants atteints de TSA (troubles du spectre autistique) de l’expérimentation Rob’autisme, qui s’est tenue à Nantes de 2014 à 2016.

Entre 2014 et 2016, un atelier initié par deux associations et deux institutions a permis à six jeunes adolescents nantais atteints de TSA (troubles du spectre autistique) de renforcer leur habileté sociale grâce au robot Nao. Alors que commence le 8 novembre 2017 une deuxième expérimentation s’appuyant sur Nao, avec d’autres jeunes autistes eux aussi suivis par l’Hôpital de jour pédopsychiatrique du CHU de Nantes, premier bilan.

Dans un livre collectif paru au printemps 2017, L’enfant, les robots et les écrans, Nouvelles médiations thérapeutiques (Dunod), onze personnes, chercheurs mais également soignants ou même artistes, ont signé un article scientifique au titre aussi clair qu’évocateur : « Un robot en institution pour adolescents autistes : une aventure collective ». Ou de la rencontre entre la robotique, la création contemporaine et la thérapie comportementale dans un atelier d’un nouveau genre qui a permis à des jeunes atteints de troubles du spectre autistique de programmer le robot Nao pour créer une histoire. 

La première année, les adolescents l’ont utilisé afin de lui faire lire un livre d’Anthony Brown : Une histoire à quatre voix. Ils ont « prêté » leur voix au robot et ont travaillé les sons pour ensuite le programmer. Les enfants se sont approprié le robot afin de communiquer, et en ont fait un spectacle la deuxième année : « Les aventures de Nao à la plage ». Très vite, lors des ateliers, les adolescents se sont laissés aller, quitte à faire dire aux robots des gros mots, à utiliser son capital sympathie pour faire rire et au final exprimer des sentiments qu’ils n’auraient sans doute pas communiquer autrement. Nao est dès lors devenu une sorte d’espace « transitionnel » entre eux et l’autre.

Une expérience thérapeutique avec des adolescents autistes

Cette expérience thérapeutique a été initiée grâce à la collaboration de deux associations, Stereolux, espace culturel situé à Nantes et l’association Robots!, ainsi que de deux institutions : le CPGEA (Centre psychothérapique pour grands enfants et adolescents lié au CHU de Nantes) et L’École Centrale.

Le programme a notamment concerné des enfants entre 14 et 16 ans, scolarisés en milieu adapté. Il y en avait six au départ, mais l’un d’entre eux a déménagé pendant l’été et n’a pu continuer la seconde année. Tous avaient reçu un diagnostic de TSA, posé cliniquement par les pédopsychiatres de l’Hôpital de jour, où ils étaient accueillis depuis deux années durant quatre heures hebdomadaires. Julien, par exemple s’isolait sans cesse, évitait le regard et tout contact physique ; il parlait souvent en onomatopées, sans réelle intonation. Charles, quant à lui, se dispersait, et ne parlait pas, ou alors uniquement en monologue. Antoine était ultra sensible au moindre événement, tandis que Simon était instable et que Sidonie avait beaucoup de mal à se situer par rapport au temps et à l’espace.

Avec Renald Gaboriau, orthophoniste au CPGEA, et Cécile Liège, créatrice sonore, ils participaient à un atelier en collaboration avec Stereolux. C’est ainsi qu’ils ont d’abord créé des « paysages sonores », retravaillés à l’aide de logiciels. L’attrait des adolescents pour le numérique a fait naître une nouvelle idée d’atelier, et c’est avec l’aide de la chercheuse en robotique Sophie Sakka et de Nao, petit robot humanoïde de la société Softbank Robotics, prêté par l’Ecole Centrale, qu’ils ont mis en place le projet Rob'Autisme. Avec un premier objectif simple : voir et étudier de quelle façon cette médiation robotique, lors d’une vingtaine de séances par an en constante interaction avec les soignants, l’orthophoniste et la roboticienne, pouvaient contribuer à améliorer les compétences communicationnelles et relationnelles de ces adolescents.

Une logique d’échange et des progrès spectaculaires

Après une première année passée à « apprivoiser » les possibilités qu’offre Nao, les adolescents sont devenus pleinement acteurs de cet atelier et ont demandé à créer leur propre histoire, avec pour objectif un spectacle à la fin de l’année. Présentée à leur famille, cette création a exprimé une part de leur vécu et de leur univers.

« Rob’autisme : restitution intégrale de l’atelier - juin 2016 ».

Cette restitution du travail accompli lors d’ateliers met en lumière les progrès de tous : leur « différence » apparaît de moins en moins détectable par un spectateur extérieur. « Les adolescents sont conscients de manipuler le robot et ils peuvent s'exprimer sans avoir à faire face aux spectateurs qui focalisent leur attention sur Nao. », insiste la roboticienne Sophie Sakka. Particulièrement stressés quand ils font face à d’autres personnes, les enfants atteints de TSA semblent bien plus attentifs en présence d’un robot, dont les actions sont plus prévisibles.

Les progrès pour ces jeunes autistes ont très vite été remarqués par leurs parents : l’enfant dont on entendait que très rarement la voix s’est mis à parler ; certains ont modifié leur rapport aux autres ; l’un d’eux, qui ne pouvait pas rester dans un groupe, y a participé activement. D’autre part, une recherche action menée depuis le début des ateliers montre des résultats très prometteurs : par exemple le temps de concentration des adolescents est passé de 5 à 45 minutes. Les autres effets observables sont l’amélioration de la communication, la diminution des crises d’angoisse, l’amélioration des notions de partage et d’attention à l’autre. Les effets de cette thérapie doivent encore être étudiés pour savoir s’ils perdureront dans le temps. En outre, d'autres questions se posent déjà : les effets positifs de ce programme sont-ils spécifiques à ce groupe et au type de syndrome autistique représenté ou pourraient-ils être élargis à l’ensemble des jeunes atteints de TSA ? Si oui, la vitesse de progression serait-elle la même pour tous ?

Plus qu’un compagnon, Nao a été un vecteur de communication

Depuis une vingtaine d’années de nombreux programmes font intervenir le numérique et la robotique dans le traitement des troubles liés à l’autisme. Les recherches s'orientent principalement sur l'utilisation d'un robot compagnon. Les études mettent en valeur l’importance d'avoir toujours une équipe ou des parents très impliqués pour permettre des progrès : laisser les enfants seuls face à une tablette ou un robot non seulement ne suffit pas, mais pourrait à l’inverse avoir des effets négatifs. « L’enjeu a été ici d’être attentif au fait que cet objet n’entraîne pas les jeunes vers un repli sur eux-mêmes », expliquent les auteurs de l’article sur l’expérimentation dans le livre L’enfant, les robots et les écrans.

Programmé directement par les adolescents, le robot est devenu dès lors bien plus qu’un compagnon. La nuance fait toute la différence. Cette approche a pour objectif de transformer le robot en un véritable vecteur de communication sans qu’il puisse être assimilé à un « objet fétiche », qui pourrait conduire les enfants à se renfermer sur eux-mêmes. Le robot devient de fait une extension de son utilisateur. Cette spécificité de l’atelier est essentielle, et c’est l’un des facteurs qui explique son succès et les progrès très rapides des enfants. Pour le docteur Garet Gloanec (chef du service de pédopsychiatrie du CHU de Nantes) : « L’intérêt de l’atelier Rob’autisme réside dans le fait que Nao est un intermédiaire, un médiateur qui permet aux enfants de transmettre des émotions. Le travail de préparation avec les infirmiers et l’équipe qui les accompagne est très important. Les enfants s'expriment à travers le robot mais doivent aussi faire l'effort de comprendre ce que l'autre exprime. » Pour le docteur Garet Gloanec, l’aspect humanoïde du robot est aussi très important : il permet une mise à distance, les enfants reconnaissent le robot qui a son identité propre, ils peuvent utiliser ses yeux et son corps pour montrer aux autres leurs sentiments.

En conclusion de leur article en forme de bilan dans le livre publié chez Dunod au printemps 2017, les onze acteurs essentiels du projet estiment qu’au final, « le robot ainsi utilisé permettrait d’instaurer une frontière entre soi et l’environnement. Mieux, il se poserait à l’endroit même de cette frontière. (…) Instaurant un bord, il protégerait de l’angoisse tout en permettant une prise à l’interaction. » Puis ils ajoutent que l’alternance d’un accueil en Hôpital de jour et de « séances avec un robot lui-même rassurent permet d’accroître chez le jeune TSA ses capacités à “faire semblant”, aide à la délimitation du corps ainsi qu’à la conscience de soi. La reconnaissance des émotions et leur partage avec autrui semblent favorisés par l’attention conjointe sur le robot. Ce dernier pourrait aussi “assembler” plusieurs canaux sensoriels, rendant le vécu de l’environnement plus supportable pour le jeune autiste. »

Continuer l’expérience avec une vraie « grille d’évaluation »

Cet atelier se poursuit entre 2017 et 2019 avec un nouveau groupe de six enfants pour continuer les recherches sur cet accompagnement spécifique. Il s’agira aussi d’évaluer les progrès réalisés par un autre groupe d'adolescents, grâce à une « grille d’évaluation » reconnue, d’ores et déjà utilisée au Québec. L’enjeu, pour les chercheurs et les équipes d’accompagnement est double : d’une part confirmer que la médiation robotique est pertinente pour faire progresser les jeunes autistes ; d’autre part « vérifier si les jeunes TSA peuvent en transférer les effets en dehors de la présence des robots, dans la famille et en institutions scolaires. »

L'association Robots! se donne de son côté pour objectif d'élargir les ateliers à d'autres publics sensibles, notamment ceux qui ont des troubles cognitifs spécifiques. Le protocole de cette expérimentation (fruit d’un travail en commun entre le personnel soignant et les intervenants extérieurs, rappelons-le) tout comme les notes et les observations sur les progrès observés seront publiés en open source à l’issue de la phase du programme, engagée avec six nouveaux enfants le 8 novembre 2017 et qui devrait se terminer en mai ou juin 2018. De quoi inspirer des projets similaires ?