Hologramme Global redistribue les invendus du marché

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L’équipe des bénévoles dans les allées du marché : identifiables par les commerçants avec leur gilet mauve et leurs deux chariots.

Depuis 2015, l’association parisienne Hologramme Global donne rendez-vous chaque semaine au kiosque citoyen pour la collecte et la distribution des invendus alimentaires du marché Dausmenil. L’occasion aussi de tisser des liens entre bénévoles et bénéficiaires.

C’est devenu une espèce de rituel : tous les mardis et vendredis, l’association Hologramme Global donne rendez-vous de 13h à 15h au kiosque citoyen dans le XIIème arrondissement de Paris pour la distribution des invendus alimentaires du marché Daumesnil. Impossible de manquer ce kiosque situé sur la place Félix Éboué, à l’intersection de la rue de Reuilly et de l’avenue Daumesnil : dès l’ouverture, une dizaine de personnes convergent vers cet édifice à la devanture toute en bois.

Un cadeau de la patronne à l’ouverture du kiosque

On sort les chaises, on déplie les volets, les tables, on installe le comptoir, on nettoie. Les uns déposent leur caddie dans un coin, les autres enfilent un gilet mauve. On ouvre un parasol. Sur le comptoir, une assiette de pommes a été posée à côté d’une boîte à thé. En deux temps trois mouvements, bénévoles, bénéficiaires, habitués ont ouvert le kiosque, et cinq minutes après on peut déjà prendre un café, un thé, s’asseoir, tandis qu’un bénévole distribue des tickets numérotés… « Dans l’ordre d’arrivée, s’il vous plaît. » 

Dans le kiosque, l’espace est exigu : Dosso, bénévole régulière de l’association qui est installée derrière le comptoir, est chargée des tickets à disposition des personnes qui se présentent : « Il y a deux sortes de tickets : les tickets avec les numéros rouges, ce sont les tickets prioritaires pour les personnes âgées, les femmes enceintes, les personnes handicapées… Les tickets noirs, c’est pour tous les autres. » Une personne arrive devant le kiosque et tend un sac : « Un cadeau de ma patronne ! », lui lance-t-elle. « C’est bien, c’est vous qui ouvrez le bal », rétorque Dosso, qui sort du sac des livres et des denrées alimentaires.

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Le kiosque citoyen, point d’ancrage des réseaux citoyens

À quelques mètres du kiosque, Wolfgang Delaine, le fondateur de l’association, briefe les bénévoles recrutés sur la plateforme Benenova pour la distribution du jour, identifiables à leur gilet mauve. « Le kiosque citoyen, c’est un projet issu du budget participatif. Ce kiosque du XIIème arrondissement est l’un de ceux qui a le mieux marché à Paris, notamment grâce à la volonté de la Mairie et de la Maison des assos, avec un tissu d’acteurs locaux très engagés. Nous, ça fait quatre ans qu’on est partenaires du kiosque, et en tant qu’asso on utilise l’infrastructure pour pouvoir assurer notre distribution. »

Parmi les bénévoles, il y a des réguliers comme Dosso et ceux recrutés ce jour sur Benenova. Il y a Jeanne, institutrice remplaçante, bénévole ponctuelle dans de nombreuses associations, qui utilise cette plateforme, dit-elle, pour « trouver des plans » et aider ; il y a Mathis, lycéen qui fait son stage chez Hologramme Global « par choix et conviction » ; ou encore Sébastien, étudiant en première année de Sciences-Po. 

Tous enfilent un gilet mauve pour être identifiables par les commerçants. Et il est toujours bon de rappeler les consignes à suivre lors de la collecte : « Dans les allées du marché, on laisse la priorité aux commerçants, ainsi qu’aux clients… Si il y a le tuyau d’arrosage du poissonnier au sol, on soulève les roues du roll… Et pas besoin non plus de solliciter les commerçants, on leur dit juste bonjour, ils nous reconnaissent… C’est bientôt 13h30, allez-y ! On est bons pour le premier passage, il y a une commerçante qui vous attend déjà », prévient Wolfgang Delaine.

Ce chariot charrie un petit écosystème citoyen

Pour se faufiler dans les allées du marché, pas vraiment des plus larges, les bénévoles doivent manipuler les chariots Roll avec précaution. Inutile de cavaler, la règle est d’aller lentement, que les commerçants aient le temps de bien les voir. Justement, l’un d’entre eux fait signe de s’arrêter, le temps de déposer sur le chariot un cageot plein de beaux artichauts. Un peu plus loin, une commerçante désigne de l’index à un bénévole un carton sous son étal : ce sont des panais. Puis une femme tend deux cartons de carottes légèrement piquées. Les chariots se remplissent de fruits ou de légumes parfois un peu abîmés – parfois trop mûrs, ou avec un défaut visuel… –, souvent aussi en bel état.

Après deux cents mètres parcourus en à peine vingt minutes, il est l’heure de regagner le kiosque avec cette première collecte. Une trentaine de personnes patientent et papotent autour des tables. Le temps pour les bénévoles de décharger la cargaison, et c’est reparti pour un second tour. « Au départ, se souvient Wolfgang Delaine, il s’agissait d’un projet contre le gaspillage alimentaire. On est partis des besoins de chacun ; celui des commerçants qui avaient des invendus, celui de glaneurs et des personnes dans le besoin, celui des éboueurs pour la propreté. Il s’agissait de monter un projet qui satisfasse tout le monde, et de mettre en place le processus qui va avec. »

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Aujourd’hui, une vingtaine de fruits et légumes différents vont être distribués à chaque bénéficiaire : si certains sont un peu mûrs, tous sont tout à fait comestibles.

Du gaspillage alimentaire à la générosité de chacun

Des riverains viennent aussi au kiosque faire des dons. « En général il faut reconnaître qu’on dépasse le cadre de la lutte contre le gaspillage, étant donné qu’il y a des dons supplémentaires qui sont générés par notre action. » La présence récurrente des bénévoles a créé peu à peu des liens, suscité des petits gestes qui permettent d’assurer les lendemains. Cette collecte, c’est aussi un premier pas vers une prise de conscience face au gâchis, face aux besoins de certains aussi.

 « Certaines fois les commerçants n’ont pas bien évalué les quantités qu’ils allaient vendre, et donc ils se retrouvent avec une grosse marchandise sur les bras. S’ils n’ont pas de marché le lendemain, on peut récupérer beaucoup. C’est le cas avec les bananes aujourd’hui… C’est vrai aussi, poursuit le fondateur toujours les mains à l’ouvrage, que notre présence a rayonné dans le quartier. Nous sommes désormais bien identifiés par les commerçants, qui viennent nous apporter du pain, des oranges, leurs excédents. Et les habitants, en plus des denrées, peuvent même faire des gâteaux. Des petites habitudes se sont installées. » Et plutôt des bonnes, pour le coup. « Une fois qu’on crée l’occasion d’exercer la solidarité, une fois que les gens la détectent, ils la saisissent, donc c’est ça qui a été merveilleux. » 

Au service de tous : personnes âgées, sans-abris, femmes seules, travailleurs pauvres…

Deux sans-abri demandent à Wolfgang s’il est possible de récupérer quelques bananes, en lui lançant du « patron » à tour de bras ! « Y a pas de patron, répond Wolfgang, c’est le même principe pour tout le monde, on fait la queue, on attend, sinon y a pas de distribution. » « Même pour une banane ? » tentent-ils de négocier. « Même pour une banane. » La règle est la même pour tout le monde. Et c’est sans doute pourquoi le système fonctionne depuis 2015, bénéficiant à un grand nombre de précaires. « Il y a beaucoup de personnes âgées, beaucoup de femmes seules, des sans-abri, des personnes pour qui vraiment cette distribution peut faire la différence pour les fins de mois. Il y a aussi des gens qui sont moins dans le besoin : on s’adresse à tout le monde », reprend Wolfgang Delaine.

Les chariots sont de retour, après leur deuxième collecte sur le marché, chargés de piles de cartons et de cagettes dans un équilibre précaire. C’est le moment de préparer l’acte deux : la distribution. Tandis que les uns déchargent, les autres changent la configuration du kiosque. Les tables sont mises les unes à côté des autres de façon à former un « L ». Les fruits et légumes sont séparés par type de produits et disposés dans des cagettes sur les tables. Quarante-deux tickets ont été distribués aujourd’hui. Et environ 300 kilos – une collecte moyenne – de produits ont été glanés.

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La distribution des invendus de marché au kiosque citoyen : entre 30 et 50 bénéficiaires chaque mardi et vendredi.

Satisfaire les besoins de tous de manière équitable

« Ce sont les mêmes habitués d’une semaine sur l’autre pour 80 % des gens », précise Dosso. Tandis que les bénéficiaires commencent à former une queue selon leur numéro de tickets, les bénévoles passent en revue les quantités de denrées afin d’estimer la part distribuée à chacun au premier tour. Là aussi, les consignes sont strictes : ce sont les bénévoles qui servent et ce sont les mêmes quantités pour chacun.

La premier sac s’ouvre : trois carottes, un navet, un maïs, un poivron, un morceau de pastèque ou de melon au choix, une poignée de haricots, une autre de haricots arc-en-ciel, une salade, un brocoli, un artichaut, un panais, trois asperges, une poire, une pomme, deux pêches, une orange, une part d’ananas, une petite poignée de cerises, quelques framboises ou des fraises, une part de mangue, quelques dattes, deux nèfles ou deux abricots, des bananes, beaucoup de bananes, vous en voulez plus ? La récolte a été bonne. En fin de table, il y a aussi du lait, des pâtes, des biscuits, et aujourd’hui aussi : de grandes fleurs, des lys ! « Oh, je peux en avoir une ? demande une dame. C’est la première fois qu’on m’offre une fleur ! »,

Au-delà de la distribution des fruits et légumes, il y a aussi une grande distribution de sourires, des mercis en veux-tu, en voilà. Une dame qui est arrivée en retard sera servie elle aussi, et intégrée dans le premier tour. On entame le second tour de distribution, puis au troisième, c’est un : « Servez-vous, servez-vous… tout doit disparaître ! »

Les caddys, les sacs et autres pochons sont tous bien garnis, il ne reste plus grand chose sur les tables. Il est temps de ranger, de nettoyer. Les verres dans les bassines, l’éponge sur les tables ; on replie le parasol, on passe le balai, les gilets mauves regagnent l’armoire. Les tables, les chaises, les volets se replient. Le kiosque se ferme aussi vite qu’il s’est ouvert. De l’autre côté de la rue, le dernier camion de primeurs a repris la route. Les éboueurs entament le nettoyage de l’avenue Daumesnil. Sur la place Félix Éboué, le vent secoue les platanes. Tout le monde se disperse jusqu’au prochain rendez-vous. Il reste le kiosque.

En savoir plus

Données en plus

L’association a été créée en 2015
30 à 70 bénéficiaires par distribution.
7 à 12 bénévoles par distribution
Actions menées : collecte et distribution alimentaire au Marché de Reuilly, les mardis et vendredis de 13 h à 14 h 30 ; les maraudes en musique : ainsi que des actions diverses, solidaires et citoyennes.