Le kiosque citoyen : un petit concentré de solidarité

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Distribution gratuite de livre et de vêtements et préparation d’un atelier de tissage. Nous sommes mercredi, le kiosque organise sa « grafiteria ».

Un endroit ouvert à la rencontre, ouvert à l’autre ; un endroit qui interroge l’espace public et le repense dans ses interactions sociales, citoyennes et solidaires ; un endroit fait de gratuité et de régularité où tout est prétexte à créer des liens de qualité et de proximité : c’est le projet de « kiosque citoyen » que Pauline Menguy et Thomas Carreau animent dans le XIIe arrondissement de Paris depuis quatre ans. Reportage en forme de bilan, un jour de juillet 2019, avant la mise en place d’un nouveau kiosque...

Tout a commencé en 2015, lorsque trois projets de kiosque voient vu le jour dans les XIIe, XIVe et XVe arrondissements de la capitale. Si les deux autres n’ont pas survécu, le petit kiosque tout de bois qui devait être provisoire, dans l’attente d’une structure plus pérenne, est resté debout pendant quatre ans place Félix-Éboué dans le XIIe. Jusqu’en septembre 2019, où un kiosque flambant neuf, « le Bouroulec » du nom de son architecte, a été inauguré. Plus grand, plus lumineux, avec une nouvelle programmation, il s’est construit en tenant compte des expériences passées.

Il était une fois le petit kiosque citoyen…

Rien n’est plus visible que ce kiosque : il est tout de bois, on ne peut pas le rater sur la place Felix Éboué, à l’angle de l’avenue Daumesnil et de la rue de Reuilly. Comme tous les jours, du mardi au samedi, des tables sont dressées, des parasols dépliés, des convives installés. Ici, à quelques pas du rond-point, le temps passe autrement. L’atelier de tissage animé par une bénévole vient de prendre fin. On a sorti les gâteaux. Une dame se faufile entre les chaises pour prendre des nouvelles de la compagnie. Des passants s’arrêtent devant des piles de livres et de vêtements. « Je peux», demande l’un d’eux. « Bien sûr, c’est gratuit. Servez-vous» Le passant repart avec un livre de cuisine, tandis qu’une dame âgée inspecte des chaussures d’enfant et les met dans son sac.

La gratuité, comme prétexte à la rencontre

« C’est gratuit », « Voulez-vous prendre un café ou un thé» et « Comment allez-vous» sont les leitmotivs les mieux partagés du kiosque : distribution de livres, des invendus du marché, organisation d’ateliers, rencontre d’associations, le kiosque propose une programmation régulière et diversifiée du mardi au samedi. Aujourd’hui, ce mercredi d’été 2019, il organise sa grafiteria. « On distribue les livres et les vêtements dont les riverains nous ont fait don », explique Thomas. « Et aujourd’hui, il fait beau», ajoute-t-il en montrant la toile de protection sur le toit. Les activités du kiosque dépendent fortement du temps : « L’enrouleur de la toile est cassé depuis trois ans, c’est trop cher pour être réparé, ce d’autant plus que le kiosque est censé être provisoire. » Du provisoire qui a duré quatre ans, et fonctionné sans autre budget que la présence des deux animateurs.

Thomas, 26 ans, est arrivé au kiosque en 2015, en qualité de bénévole, pendant plus d’un an. « Sans sa présence, ça n’aurait pas pu fonctionner » souligne Pauline. Ensuite la MVAC (Maison de la vie associative et citoyenne) du XIIe a confié la gestion du kiosque à l’association On a pensé à un truc qui a embauché Thomas à mi-temps. Quant à Pauline, 27 ans, elle est arrivée à la MVAC en qualité de service civique avant de devenir chargée d’animation du kiosque à plein temps auprès de Thomas. Tous deux sont en contrats aidés, au SMIC, une rémunération qui n’indexe pas leur motivation pour faire vivre le lieu au quotidien. « On fait vivre le kiosque avec les riverains, les associations partenaires. Le kiosque fonctionne en autogestion, chacun apporte quelque chose. On fait des dons, on se débrouille. »

C’est la fibre sociale qui fait toute la valeur de ce kiosque

Les personnes réunies par l’atelier de tissage s’ajoutent à celles qui prennent le thé, aux curieux qui s’arrêtent… « Le kiosque, c’est d’abord une grande famille», clament en chœur Pauline et Thomas. Il y a là quelques-unes des figures emblématiques : Mauricette est algérienne, Pépita et Dora sont espagnoles, toutes les trois sont retraitées. « De grandes amies qui se sont connues grâce au kiosque, souligne Pauline, et qui s’invitent dorénavant les unes chez les autres. » Chacune d’elles s’est attribué un rôle : « Pépita prend en charge les petites lessives, Mauricette s’occupe du thé, Dora nous a apporté aujourd’hui du nougat espagnol! Elles nous donnent un gros coup de main. Elles sont l’âme du kiosque », souffle Pauline. « C’est cette fibre sociale qui fait que le kiosque existe, qui fait toute la valeur du lieu. »

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De gauche à droite : Mauricette, Thomas, Dora et Pauline. Bénévoles et salariés du kiosque, main dans la main, pour faire vivre le lieu.

 

« Dans le public, on a beaucoup de personnes âgées, de personnes isolées ou dans des situations précaires, poursuit Pauline. Il y a des gens qui ont un toit, et d’autres qui dorment dans la rue, mais tous trouvent quelque chose ici en plus, quelque chose qui fait qu’on est mieux ensemble plutôt que tout seul. » Cependant Pauline et Thomas nuancent leur rôle : « Notre force, c’est de pouvoir accueillir des publics très différents, et des publics qui sont parfois en grande difficulté sans qu’ils attendent de nous qu’on résolve leurs problèmes… ça pose une autre relation humaine, et quelque part ça nous protège aussi. Parce que dans la rue, il y a des choses hard aussi… » Et de pointer certains faits depuis leur poste d’observation : « On constate qu’il y a de plus en plus de femmes âgées qui dorment dans la rue, ainsi que des jeunes, plutôt des garçons… Vous avez vu la dame âgée qui a pris les chaussures tout à l’heure, les chaussures d’enfant? Eh bien, cette dame, on la connaît bien, elle dort dans la rue. Les chaussures, c’est un cadeau pour sa petite fille. Vous vous rendez compte», dit Pauline, le cœur serré.

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De nombreux publics bénéficient des services du kiosque, mais il y a aussi beaucoup de personnes âgées, précarisées et isolées, qui bénéficient notamment de l’aide précieuse des invendus alimentaires et du lien social durant le temps du café.

Faire le lien entre les associations du quartier et le public

Un passant s’approche du kiosque et pose un regard curieux sur une affiche ayant pour titre « Nature en ville ». Thomas le renseigne : « C’était en mai. On a fait une distribution gratuite de plantes au kiosque… » Le passant dit son intérêt pour le jardinage, il n’en faut pas plus à Thomas pour lui filer un tuyau : « Il y a des cours gratuits tous les samedis, au jardin partagé du XIIe, Stéphanie les anime, on a que des retours positifs. » Et le jeune homme informe une autre personne sur la présence de La boutique sans argent, rue Édouard Robert : à 500 mètres du kiosque, tout y est gratuit. Ces passerelles entre les associations, le public, les bonnes volontés, Pauline et Thomas les font chaque jour, riches du réseau qu’ils ont patiemment établi. Et de regretter de ne pas pouvoir mieux orienter certains publics comme ils le souhaiteraient. « Parfois, on voit de personnes en grande difficulté. On aimerait mieux les aider, leur donner les bonnes adresses, mais c’est à nous d’aller chercher l’information, et on n’a pas toujours la bonne info. »

Le kiosque c’est une programmation régulière : tous les mardis et vendredis se déroule la distribution des invendus alimentaires du marché Daumesnil, qui est organisée par l’association Hologramme Global depuis quatre ans. Le mercredi, la grafiteria. Le jeudi, des goûters et des ateliers sont organisés avec les riverains. Et le samedi, le kiosque propose un événement associatif. « Cependant, les animations faites avec des assos sont proposées tous les jours, ce qui permet aux associations de profiter de l’affluence générée par les activités régulières du kiosque. » Et ce dans tous les domaines : social, éducatif, environnemental, culturel, avec pour enjeu celui de la récurrence « parce que le public du kiosque a besoin de régularité ». En cette rentrée, de nouveaux projets seront mis en avant : formation numérique des personnes âgées avec Les Astroliens, réalisation d’une bricothèque avec On a pensé à un truc, développement du troc de temps entre riverains avec Ecotemps, soutien scolaire avec Koolkademy, sensibilisation des publics aux impacts sur l’eau avec Coordination Eau Île-de-France, etc.

« Au début, on a pu tâtonner, se souvient Pauline. On avait construit une boîte à dons, ça partait d’une belle idée, mais ça a généré des nuisances, donc on l’a déplacée… Parfois, on voit circuler une pétition contre le kiosque qui dit que le kiosque est moche, une résidente nous a même accusés de faire baisser les prix de l’immobilier ! Mais dans l’ensemble, le projet est très bien accueilli. » Un projet qui a une fonction sociale, pas forcément visible de prime abord. « Le kiosque permet au public d’exercer la solidarité : avec les invendus du marché, les dons alimentaires que des particuliers apportent, les vêtements, les livres que les riverains nous donnent, ou en faisant quelque chose au service des autres… Les gens en ont besoin ! » Et ce n’est pas fortuit si le kiosque est partenaire du réseau solidaire Le Carillon. « Eh bien, dit Pauline, un commerçant nous confiait récemment regretter qu’aucun sans-abri n’ait encore poussé la porte de sa boutique pour prendre un café. » Le kiosque diffuse une trentaine d’adresses « solidaires » du XIIe

Ce kiosque à la confluence d’un écosystème riche d’associations, de publics, de partenaires, n’est pas sans rappeler ce type de boîtes de magicien qui, en s’ouvrant devant le public, font apparaître à chaque mouvement un volume plus grand. Alors, quand on questionne Thomas et Pauline sur le futur, il y a beaucoup d’envies. « Le nouveau kiosque, le Bouroulec, on l’attend avec impatience, depuis pas mal de temps : il sera plus grand, plus lumineux, mieux équipé… On sera moins limité pour faire des activités. On pourra faire plus de liens avec les associations.  On espère que le kiosque gardera son angle social, car certaines activités vont être transférées, et d’autres ne pourront plus avoir lieu, comme le stockage de vêtements par exemple. »   

Le meilleur souvenir de ces quatre années ? « Tout! Strictement tout », répond Mauricette. « Le fait d’être là pour les autres », poursuit Dora. « Le Cirque du Soleil ! », ajoute une voix fluette. Là, tous les yeux se mettent à briller ! Le Cirque du Soleil ? « Un jour, raconte Pauline, Ariane Mnouchkine en personne s’est arrêtée devant le kiosque. Elle a tellement aimé ce qu’on faisait, qu’elle a offert des places pour qu’on puisse venir. Nous nous y sommes rendus plusieurs fois. Il fallait nous voir dans le bus, un drôle d’équipage : des retraités, des bénévoles, des handicapés, des sans-abri... C’était magnifique. Salah qui est sourd-muet ressentait la musique, ressentait les vibrations des tambours depuis l’estrade. On a tous pleuré. On a tous pleuré de joie. »

Des gouttes de pluie se mettent à tomber. Chacun regarde sa montre : « Oh, 18 h, ça fait une heure qu’on aurait dû fermer» Pourvu que ça dure.  

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Le nouveau kiosque inauguré le 7 septembre 2019, Place Felix Éboué.