Dossier / Empowerment

Pour que les femmes du Congo décident de leur avenir

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Habillée de rouge au centre de la photo, Marcelline Budza participe au nettoyage du café à la station de l’ile d’Idjwi, avec à ses côtés des femmes de l’association. ©Rebuild Women’s Hope

C’est dans l’île d’Idjwi, au milieu du lac Kivu en République démocratique du Congo, qu’a été créée en 2013 l’association Rebuild Women's Hope. Le premier enjeu était d’offrir aux femmes l’opportunité de produire du café afin de soutenir leur famille et de financer la scolarité de leurs enfants. Aujourd’hui, l’association multiplie les projets, dont la construction d’hôpitaux et l’aménagement de sources d’eau. Elle réussit peu à peu à transformer la façon très patriarcale dont fonctionne la société congolaise, grâce à son programme « Gender Action Learning System ». Interview de sa fondatrice Marceline Budza.

En 2013, vous avez créé Rebuild Women's Hope. De quoi s'agit-il et où en est le projet huit ans après sa création ?

En République Démocratique du Congo, les femmes sont en très grande majorité contraintes à ne pas travailler et à ne s'occuper que des travaux ménagers. L’objectif de notre association, lorsque nous l’avons créée, était de redonner de l’espoir à la femme paysanne de notre pays, en partant de l’exemple de l’île d’Idjwi, où il y avait l’opportunité de créer des activités liées à la production de café. En huit ans, Rebuild Women’s Hope a créé deux stations de lavage de café, transformé puis exporté plus ou moins 50 containers de café. Nous avons également construit une clinique maternelle et pédiatrique ainsi qu’une Maison de la femme, pour accompagner les femmes dans leurs activités quotidiennes et leur émancipation. Par ailleurs, nous avons bâti un système d'adduction d'eau, qui était indispensable pour toute la population de l’île qui se contentait auparavant d’utiliser l’eau du lac Kivu pour tous ses besoins, sans exception, au mépris des risques sanitaires. Nous donnons de l'eau à la population qui en a besoin.

 

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À la Maison de la femme, fondée par Rebuild Women’s Hope sur l’ile d’Idjwi, des femmes travaillent dans un atelier de couture. ©Rebuild Women’s Hope

 

Vous vous battez pour et aux côtés de femmes congolaises depuis plus longtemps encore que cette initiative. Quels ont été votre parcours et vos motivations ?

Mon parcours est un peu compliqué. Quand j'avais trois ans, mon père est parti étudier en Europe et nous avons vécu seuls avec notre maman qui était au four et au moulin. Elle devait assurer notre éducation, nous nourrir, bref elle devait tout faire. Elle a travaillé dur, jour et nuit. Elle était tout pour nous. À cette époque, nous avons ressenti le poids et les conséquences de la discrimination vis-à-vis des femmes sur le plan économique en République démocratique du Congo. Chaque jour, je voyais ma mère se battre. Elle m'a communiqué cette volonté de toujours me battre aux côtés des femmes qui ont besoin de soutien. Peu après mes études universitaires, je me suis donc lancée dans l'aventure de venir en aide à celles qui en avaient besoin.

Avec Rebuild Women's Hope, vous accompagnez plusieurs femmes sur l'île d'Idjwi depuis pas mal d’années désormais. Comment avez- vous bâti l’initiative ?

Après avoir fini mes études à la faculté des sciences agronomiques de l’Université évangélique en Afrique de Bukavu, je suis partie à Idjwi. Une fois sur place, j'ai réalisé à quel point les femmes souffraient, surtout avec le café. Le café, considéré au départ comme une opportunité pour elles, était devenu une source de discrimination supplémentaire : les femmes travaillaient la terre, elles participaient à toute la chaîne de valeur du café, mais à partir de la commercialisation, elles étaient totalement écartées au profit des hommes. En prenant seuls les rênes, ils en tiraient l’essentiel des bénéfices. Et là, les femmes, qui avaient pourtant travaillé dur, étaient en quelque sorte laissées à elles-mêmes. Certaines en étaient réduites à voler, d'autres à se prostituer juste pour avoir de quoi subvenir à leurs besoins. Il fallait que ça change ! Alors même que ce sont elles qui bossaient, notamment pour la récolte, elles ne gagnaient rien ou presque. Une situation révoltante contre laquelle j’ai décidé de m’élever.

 

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Marcelline Budza, pensive face au café nettoyé. ©Rebuild Women’s Hope

 

Quelles ont été vos principales difficultés sur le terrain ?

Les défis étaient nombreux. Beaucoup d’hommes ne parvenaient pas à nous accepter, moi et les femmes qui m’ont accompagné pour lancer le projet. Ils pensaient que nous étions simplement venues semer la révolte parmi les femmes. En conséquence de quoi nous avons été injuriées, nous avons même reçu des menaces de viol, voire de mort. Et puis il a fallu rapidement faire face aux tracasseries de différents services étatiques. Nous avons alors décidé de mettre en place dans notre production un programme d’encouragement de travail en commun des hommes et des femmes, qui s’appelle « Gender action learning system », et depuis nous rencontrons beaucoup moins d’opposition et obtenons de meilleurs résultats.

À partir de votre travail sur le café, vous avez étendu votre action à d’autres domaines. Quels sont-ils en 2021 ?

Le café est une activité phare : nous avons appris aux femmes à lutter contre l'insécurité alimentaire. Nous leur avons appris à réaliser des petits jardins, mais aussi à lutter contre la malnutrition carentielle qui faisait rage. D’autre part, nous avons comme je le disais construit un système d'adduction d'eau. Car avant notre implantation à Idjwi, les femmes de certains villages se lavaient, préparaient la cuisine et même ne buvaient que l’eau du lac, qui leur servait à tous les besoins sans aucun travail préalable d’assainissement. D’où des infections, pas mal de maladies, d’enfants mort-nés ou d’avortements forcés… Nous avons donc mis en place un programme d’adduction d'eau dans quatre villages, de l’eau propre coule désormais dans des robinets pour le bien de toute la population.

 

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Un maçon travaille à la construction d’une borne fontaine sur l’ile d’Idjwi. ©Rebuild Women’s Hope

 

Nous avons également construit la « Maison de la femme ». Il s’agit d’une maison qui s'occupe du renforcement des capacités des femmes qui exercent les activités génératrices de revenus. Car si le café est notre culture phare, c'est néanmoins une culture saisonnière, qui ne dure que six mois. La femme doit donc trouver d’autres moyens de subvenir à ses besoins. La maison de la femme entend répondre à cette nécessité tout en réduisant sa dépendance vis-à-vis des hommes. Elle les dote de compétences pour mettre en place des petits projets, d’artisanat ou de services aux personnes par exemple, sans avoir besoin de solliciter l’aide de leur mari. L’idée est de leur permettre de gagner en autonomie, notamment au sein de leur ménage. Enfin, nous avons construit une clinique maternelle et pédiatrique où sont délivrés des soins de qualité aux enfants et aux femmes. Depuis huit ans, nous avons accompagné ainsi dans cette clinique plus de 5000 femmes.

 

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Le personnel de la clinique pédiatrique et maternelle de Rebuild Women’s Hope échange avec des visiteurs en compagnie de Marcelline Budza. ©Rebuild Women’s Hope

 

Le café que vous produisez est destiné avant tout à l'exportation. N’est-ce pas, d'une certaine façon, reproduire un modèle d'exploitation de la main d'œuvre congolaise par des sociétés étrangères ? Ne serait-il pas plus juste de privilégier des productions pour le marché local ? 

Ici, au Congo, et plus précisément à Bukavu, grande ville en face de l’île d’Idjwi, la population ne consomme pas de café, ou alors très peu. Ce n’est pas dans leur culture. C'est pourquoi nous exportons le café en Europe, aux États-Unis et en Asie. Bien sûr, nous n’oublions pas le marché local : systématiquement après chaque récolte, nous gardons une petite quantité de café que nous traitons pour les consommateurs de République démocratique du Congo. Comme vous le voyez, privilégier le marché local dans la commercialisation du café défavoriserait les femmes productrices, dans la mesure où elles seraient obligées de vendre leur café à des prix très faibles avec, qui plus est, très peu de consommateurs intéressés. L’important pour Rebuild Women's Hope est dès lors de veiller à ce que l’exportation de café profite réellement aux femmes qui le produisent sur le terrain, et pas seulement à des intermédiaires.

En quoi votre modèle est-il différent de celui qu’appliquent d'autres institutions ou entreprises ? Comment réussissez-vous à préserver la dimension solidaire de votre projet ?

Les communautés bénéficient de la production parce que nous les aidons à trouver des marchés où elles peuvent vendre leur café à un juste prix. Vendre le café contribue très fortement à relever le niveau de vie de la communauté, donc des familles. Cela fait aussi connaître dans le monde la très bonne qualité du café produit dans l’ensemble de la République démocratique du Congo. De nouveaux villages se sont créés aux environs de nos stations de nettoyage de café. Pour tirer profit des revenus issus de son exploitation, plusieurs habitants d’Idjwi vivent désormais dans les environs de nos installations. Ils y exercent des activités qui n’ont parfois rien à voir avec la production du café. Ces activités leur permettent de gagner de l’argent grâce à l’essor économique résultant de la production et de la transformation du café.

Vous exercez votre travail dans une société fortement patriarcale où la femme est le plus souvent mise au second plan. Quels mécanismes avez-vous mis en place pour que votre activité, visant clairement l'autonomisation des femmes, puisse, malgré ce choix revendiqué, bénéficier de l'appui des communautés locales ?

Ici, en effet, l'homme décide de tout, et la femme est systématiquement mise au second plan. Le dispositif « Gender action learning system » que j’ai mentionné précédemment permet de rééquilibrer cet état de fait, notamment au sein des foyers, sans pour autant exclure les hommes. Depuis la mise en place du programme, nous avons pu mesurer de nombreuses avancées. Certains hommes ont commencé à comprendre que la femme gère mieux le patrimoine familial. Certains commencent à léguer des champs à leur femme. Nous sommes encore dans une période de sensibilisation. C'est vrai qu’on avance petit à petit mais, à force de persévérance, je sais que nous allons arriver à un moment où les hommes, du moins dans leur grande majorité, vont comprendre que la femme peut et doit travailler, et ce en toute autonomie, pour le bien de toute la communauté. La complémentarité entre l'homme et la femme sera ainsi une réalité.

Comment voyez-vous le rôle des femmes actuellement en Afrique ? Quelles solutions imaginez-vous pour réduire les violences vis-à-vis d’elles, reconnaître leur rôle majeur au sein des communautés et aller vers une véritable parité homme-femme sur le continent ?

L’exemple de ce que nous vivons au Congo est emblématique du statut de la femme en Afrique : on considère la femme comme source de travail, tout repose sur elle, mais au final elle n'en tire aucun profit. Il est temps que nous, les femmes, nous nous levions pour nous battre afin que l'égalité soit vraiment pratiquée. Pas plus, mais pas moins non plus. Nous demandons juste qu'il y ait équité dans la répartition des tâches, que la femme en bénéficie de la même manière que l'homme. Je sais que nous allons devoir beaucoup travailler encore. C’est un projet sur le long terme, car permettre aux femmes d’acquérir une réelle indépendance suppose d’agir sur une multitude de leviers : économique et social, professionnel, d’accès à l’éducation et aux instances de prise de décision, etc. Il existe, heureusement, beaucoup d’autres initiatives qui vont dans le même sens que nous, visant notamment à élever le niveau de vie des femmes et leur donner de plus en plus d’autonomie. Cela passe aussi par une intense activité de plaidoyer, dont nous sommes évidemment solidaires. Mais il faut que les hommes nous accompagnent en prenant part à nos actions.

Le modèle actuel de Rebuild Women's Hope est donc une première étape dans la direction que vous pointez pour l’avenir des femmes en Afrique…

Nous sommes au début de cette longue route pour changer en profondeur la situation socio-économique des femmes, mais je suis plutôt optimiste quant à nos perspectives. L’objectif est que Rebuild Women's Hope possède sa propre usine de transformation de café d’ici cinq ans, puisse aussi créer des centres hospitaliers, des écoles, d’autres « maisons de la femme », en particulier là où les guerres ont affecté la vie des femmes comme en Ituri, à Beni, à Shabunda. Les besoins sont immenses.

 

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Des femmes de l’association présentent des pains et beignets qu’elles produisent dans le cadre de leurs activités à la Maison de la femme. ©Rebuild Women’s Hope

 

Pensez-vous que votre modèle puisse être dupliqué ou développé différemment dans d'autres communautés, que ce soit au Congo ou ailleurs ?

Rebuild Women's Hope est un modèle qui a beaucoup d'impact. Il pourrait être dupliqué même à travers d'autres produits que le café, avec par exemple des coopératives agricoles pour la production de pommes de terre, d'avocats, etc. Ces produits pourraient être promus au niveau national comme pourquoi pas dans le monde, et profiter aux femmes, aux foyers, aux communautés. Notre modèle peut s’appliquer dans bien d'autres domaines.

En savoir plus

Données en plus

Date de création : 13 février 2013. Nombre des femmes déjà encadrées : plus de 5 000. Revenu des femmes : 100 euros par mois, alors qu’il était de moins de 9 euros auparavant. Bénéficiaires de la Clinique : environ 15 000 femmes, enfants et hommes – dont plus de 5 000 femmes. Nombre de foyers bénéficiant d'eau courante grâce à l’association : 2 500.