Jardiner pour reprendre la main sur sa santé

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Le jardin de l’Hôpital Cognacq-Jay, au cœur de son enceinte dans le quinzième arrondissement de Paris, est utilisé dans le cadre de programmes d’éducation thérapeutique des patients. Ceux-ci profitent d’ateliers de marche et de gymnastique au dehors, de jardinage selon les saisons, et peuvent disposer d’un potager pour cultiver des fruits et légumes qu’ils préparent eux-mêmes lors d’ateliers cuisine.

À première vue, le jardin d’inspiration japonaise de l’Hôpital Cognacq-Jay est un espace de flânerie, de contemplation ou de rencontres pour les patients hospitalisés. Mais on sent que son rôle va bien au-delà. Repensé par l’architecte Toyo Ito selon une ambition « de transparence, de douceur et de sérénité », l’établissement a été inauguré sous sa nouvelle forme en octobre 2006. Le jardin y tient une place axiale : la forme en U du bâtiment central de l’hôpital, aux façades vitrées, permet d’offrir à toutes les chambres une vue sur ce jardin, tandis que les couloirs et les espaces collectifs donnent sur la rue.

 

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Un coup d’œil à l’organigramme de l’hôpital révèle la présence d’un service de « jardin de soin », dont s’occupe depuis dix ans Anne Surdon. Avec les chefs de services et la complicité des infirmières, cette ancienne libraire reconvertie dans le jardinage a peu à peu développé des ateliers de jardinage, qui ont désormais pris la forme structurée d’un vrai programme d’éducation thérapeutique. « Inscrit dans l’ADN de l’Hôpital Cognacq-Jay, le jardin se devait d’être autant un lieu du bien-être qu’un espace thérapeutique »

 

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L’ambition est d’aider les patients souffrant de maladies chroniques comme le diabète l’obésité, ou atteints de pathologies graves telles que le cancer ou le lymphœdème, à acquérir par eux-mêmes une connaissance pratique de leur mal et de la meilleure façon de vivre avec. « Au milieu des plantes, nous travaillons à apprivoiser la peur, à reconsidérer les gestes simples et à adapter sa maladie à son mode de vie », explique le docteur Maria Arrault-Chaya, médecin responsable du service de soins de suite oncologiques. « Ce n’est pas une information mais un accompagnement qui apporte au patient ce dont il a besoin, quand il en a besoin, à commencer par la bonne observance des traitements. »

 

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« Selon l’atelier, je travaille sur les appréhensions, la prévention, l’intérêt de l’activité physique. Mais quel que soit le public, mon guide reste le végétal, le vivant dans sa saisonnalité : plantation, entretien, récolte » explique Anne Surdon. « Le fait d’apprendre à connaître les plantes, de les entretenir et de les soigner, c’est une manière de déplacer son attention sur un autre rythme biologique, qui enclenche des phénomènes de réciprocité. Dans le cas de maladies chroniques dont il faut appréhender la temporalité, le jardinage, avec ses délais et ses aléas climatiques, agit comme un effet miroir. Une connexion s’opère entre l’attention portée aux plantes, de la graine à la récolte, et la façon dont on prend soin de soi. Il arrive souvent que des patients qui effectuent plusieurs séjours reviennent s’occuper de plantes qu’ils ont semées lors d’un précédent séjour. Ce sont des moments de lâcher prise où, sans que l’on s’en rende vraiment compte, des mécanismes s’enclenchent, favorisant un mieux vivre avec la maladie. »

 

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Anne Surdon s’occupe ainsi de trois ateliers hebdomadaires, dont l’un est dédié aux patients atteints d’un lymphœdème. « Les risques de développement d’un érysipèle (infection grave) en cas de blessure les privent souvent de toute activité physique, explique-t-elle. Dans le jardin ou la salle d’atelier, ils apprennent les bons gestes, compatibles avec leur maladie : comment se protéger, faire les choses à leur mesure. Finalement, ils commencent ou recommencent à jardiner malgré ou même parfois grâce à la maladie. »

 

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« J’ai chez moi vingt-deux orchidées et je n’ai jamais su m’en occuper ! », s’exclame cette participante à l’atelier du mardi, à destination des patients du service de nutrition, qui a justement pour thème l’orchidée. Face à l’étonnement général, elle explique avec humour cette drôle de situation : « C’est mon mari qui les rapporte à chaque fois : il les adore bien plus que moi, mais ne s’en occupe pas ! » Durant les deux heures d’atelier, les langues se délient. Mettre des mots sur la façon dont on s’occupe d’une plante révèle les caractères, dévoile des contradictions… Chacun repartira avec une orchidée, et pour la « collectionneuse » malgré elle, cette vingt-troisième orchidée sera peut-être celle qui déclenchera un amour pour les vingt-deux autres.

 

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Tous les vendredis matin et parfois aussi le mardi, le jardin est arpenté par les participants à un atelier d’activité physique adaptée (APA), animé par Églantine Hauduroy. Organisée sous une forme ludique pour des patients du service de nutrition-obésité, la séance permet d’inciter à marcher, puis peu à peu à faire des mouvements de bras et de jambes pour aller jusqu’à un éveil musculaire du corps dans son ensemble.

 

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« C’est souvent un déclic qui permet au corps de se remettre en mouvement alors que beaucoup pensaient que ce n’était plus possible », indique Églantine.

Une patiente constate que, dans des délais assez brefs, l’essoufflement diminue, les douleurs s’atténuent et parfois le diabète s’améliore. « On finit même par y prendre du plaisir, ce qui a un fort impact sur le mieux-être ! », explique-t-elle.

 

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La pratique du jardinage est également proposée à des adolescents ou jeunes adultes de l’IME (institut médico-éducatif) de la Fondation Cognacq-Jay, dont le bâtiment jouxte lui aussi le jardin. Il y a d’une part l’atelier de formation au jardinage pour cinq résidents pendant une heure le jeudi après-midi, et d’autre part l’accueil de l’un d’entre eux pendant deux heures et demie chaque lundi matin, pour une « mise en situation professionnelle » dans le cadre d’un stage de longue durée (un an en moyenne). Via le jardinage, ces jeunes atteints de trouble du spectre autistique « apprennent avant tout à comprendre et à respecter des consignes, mais aussi à aller au bout d’un travail programmé. Ils gagnent ainsi en autonomie. L’un d’eux est même devenu jardinier », se félicite Anne Surdon.

 

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C’est via un partenariat avec les appartements de coordination thérapeutiques (ACT) de La Berlugane, également liés à la Fondation Cognacq-Jay, qu’Abderrahmane vient s’occuper du jardin une fois par semaine depuis deux ans. Son assiduité et l’attention qu’il y porte témoignent de l’importance prise par cette activité dans sa vie. « Alors même qu’il est en récidive d’une maladie et dans une situation administrative kafkaïenne, cette journée redonne du sens à sa vie. Elle rompt sa solitude et lui permet de penser à autre chose qu’à l’hôpital ou à la préfecture », confie Anne Surdon, qui a tissé des liens avec lui. « Jardiner, c’est une manière de s’occuper de soi sans s’en rendre compte, mais c’est aussi cultiver des relations et de l’amitié. »

 

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Dire que la dynamique cyclique d’un jardin permet d’apprécier le silence et une certaine fantaisie, mais aussi de percevoir le temps autrement qu’au rythme de la maladie ou de la prise de médicament serait une façon juste mais insuffisante pour décrire cet apport. Car de manière plus « rabelaisienne », les fruits de la terre, via un potager et un carré aromatique, alimentent les ateliers de cuisine du service nutrition-obésité. « A la fin de l’été la ruche, installée il y a un an, nous a donné du miel pour le plus grand plaisir de tous ! » conclut Anne Surdon.