Dans le centre-ville de Bordeaux, le Pass’Mirail accueille depuis 2016 des personnes de 18 à 25 ans ayant ou ayant eu des troubles de santé mentale. En connexion directe avec des établissements de soin de la ville, il y a toujours dans le lieu un éducateur ou un professionnel de santé à même de conseiller ou d’aider ces jeunes adultes. Ils y viennent et en repartent librement, pour discuter, se reposer, profiter de ses repas et de ses animations dans le salon, la cuisine ou même une salle de répétition de musique.
- Pierre Mérimée
Rue du Mirail, au cœur de Bordeaux, deux jeunes adultes se retrouvent devant l’entrée du Pass’Mirail, espace ouvert aux jeunes en difficulté psychique, tous les jours de la semaine de 14h à 17h, le mercredi à partir de midi et les lundis soirs de 18h à 20h30. Un lieu de vie autant que d’accompagnement qui ne leur impose aucune contrainte a priori : « Ni blouses blanches ni procédures d’admission, explique Julien Muzard, psychologue et coordinateur de ce dispositif clinique original. Le lieu est convivial, il ressemble à une maison et pas du tout à un hôpital. Il suscite un climat de confiance, et c’est pour cette raison que ce sont les jeunes eux-mêmes, parfois en situation de détresse ou de grande précarité, qui nous y demandent de l’aide. »
- Pierre Mérimée
Dans le salon du Pass’Mirail, une conversation entre trois jeunes et trois accompagnants (dont Julien Muzard, tout à gauche). « Des éducateurs, des professionnels de santé, des psychologues ou psychiatres, des infirmières et des assistantes sociales se relayent ici à raison d’une ou deux demie journées par semaine, parfois plus, explique Nicolas Lacoste, lui-même psychiatre à l’hôpital de jour de la MGEN (Mutuelle générale de l’Éducation nationale). Ce personnel est mis à disposition par les quatre organismes dont ils sont salariés, qui ont fondé le lieu : l’établissement de soin de postcure psychiatrique et de réhabilitation Montalier ; l’association SHMA (Société d’hygiène mentale d’Aquitaine) qui gère notamment un hôpital de jour ; l’association Rénovation ; et la MGEN qui m’emploie. »
- Pierre Mérimée
Un vendredi après-midi d’octobre 2019, l’espace vient d’ouvrir. Une discussion s’engage entre deux jeunes adultes (au centre de l'image, l'un avec sa casquette, l'autre avec un bonnet de laine), et deux professionnels de l’accompagnement de personnes en difficulté psychique : le psychiatre Nicolas Lacoste, dans le fauteuil à droite ; et Nkoy Umba, à gauche, éducateur à mi-temps depuis la naissance du lieu il y a quatre ans. « Ici, on accueille le tout-venant, dit ce dernier. La seule règle c’est l’âge, entre 18 et 25 ans. Pass’ Mirail est plus ouvert mais aussi plus aléatoire qu’une institution : on ne sait pas qui va venir, comment ça va se passer, dans quel état est la personne. Il faut une bonne capacité d’adaptation, et être ouvert à des choses pas forcément écrites dans les bouquins. »
- Pierre Mérimée
C’est lors d’un atelier de création organisé par le Pass’Mirail que l'un des jeunes adultes, aujourd'hui présent dans l'espace, a créé ce dessin, affiché au mur parmi d’autres. « Bordeaux est une ville où il est difficile de créer du lien, raconte-t-il. Je viens ici pour rencontrer des jeunes comme moi, avec les mêmes affinités. Ici, il y a plein d’infos et d’activités, et quand j’ai des soucis je peux me confier. Selon moi, le savoir est une arme : plus tu as d’informations, plus tu as de solutions pour t’en sortir. »
- Pierre Mérimée
Chaque mercredi, le Pass’ Mirail organise un déjeuner où toutes et tous sont mis à contribution. C’est le « Pot luck », moment de convivialité et d’échanges où jeunes et professionnels se retrouvent, d’abord pour passer un bon moment ensemble. Certains coupent les légumes, d’autres mettent la table. L’idée est de favoriser l’accompagnement et l’autonomie, mais sans contraintes. De fait, la plupart des jeunes sont orientés vers le Pass’ Mirail par les quatre organismes à l’origine de sa création, d’autres hôpitaux ou centres médico-psychologiques (CMP), le Samu social, la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS), des missions locales, de nombreux organismes ou maisons d’accueil, d’aide ou de prévention, mais aussi de simples médecins ou associations étudiantes, etc. Sans oublier, de plus en plus, le bouche à oreille entre les jeunes eux-mêmes.
- Pierre Mérimée
Un jeune de passage, couteau à la main sur le plan de travail de la cuisine, avec juste derrière lui Julien Muzard, qui sait se faire oublier quand il le faut. « Les professionnels ici présents travaillent la plus grande partie de leur temps dans des hôpitaux ou des centres spécialisés en santé mentale dans la région bordelaise, dit-il. Le Pass’ Mirail est né d’un constat que nous partageons tous : l’immense difficulté d’accueillir, de garder les jeunes dans nos centres ou nos hôpitaux de jour, mais aussi de faire de la prévention. Notre enjeu est de créer un espace pour eux très attractif, sans questionnaires médicaux ni rendez-vous obligatoires avec les psys. Et il faut bien cela pour qu’ils acceptent d’être aidés quand ils en ont besoin, qu’ils ne coupent pas tout lien avec les lieux de soin. »
- Pierre Mérimée
Fin de repas. Les jeunes sont en pleine discussion, avec juste derrière eux leurs accompagnants du Pass’ Mirail – les deux publics se mêlant totalement lors de ce type d’événement comme dans tous les moments de vie du lieu. Au total, ils sont quatorze professionnels à s’organiser entre eux pour les présences et l’accompagnement sous toutes ses formes, parmi lesquels une coordinatrice sur « l’administratif », Isabelle Dubois, et un coordinateur pour le côté « clinique », Julien Muzard. Outre le prêt de personnel par les établissements de soin, les coûts de fonctionnement du Pass’ Mirail sont couverts par une subvention de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine. Ce qui donne un budget annuel total de l’ordre de 195 milliers d’euros.
- Pierre Mérimée
« Cela fait un an que je viens ici, pour rencontrer et retrouver des gens avec qui j’ai envie de partager du temps, dit l'un des jeunes participants au déjeuner. Pour moi, c’est un refuge. On m’y accepte tel que je suis. Je peux y parler sans peur d’aborder des thèmes comme mon passage à l’hôpital psychiatrique et ce qui m’a touché pendant ma maladie. J’ai eu des crises, des épisodes bipolaires. J’ai pris des médicaments, mais je ne vais plus à l’hôpital. Maintenant que je suis stabilisé, je veux reprendre goût à la vie, et le Pass’Mirail y contribue. J’apprécie sa liberté. Il m’apaise, m’aide à rompre l’isolement et à penser l’autre différemment. »
- Pierre Mérimée
Partie de cartes entre jeunes dans l’une des pièces ouvertes de l’appartement où se situe à Bordeaux ce centre d’accueil atypique. De dos, avec deux cartes en main, l'une des jeunes filles qui vient le plus souvent dans ce lieu de liberté, pas encore tout-à-fait majeure. Elle parle du pourquoi et du comment de sa présence ici : « C’est le foyer d’hébergement pour mineurs où je vis depuis trois mois qui m’a parlé du Pass’ Mirail. J’y vais tous les jours. J’aime bien parler de tout, jouer aussi, participer aux animations, et puis faire de la musique le vendredi. »
- Pierre Mérimée
En cette fin de journée d’automne 2019, une jeune femme s’est effondrée sur la banquette et dort tranquillement. Les jeunes comme les éducateurs passent à côté d’elle en baissant la voix. À son réveil, elle a discuté avec une patiente, puis est partie sans autre participation à la vie du lieu. Mais c’est très bien ainsi. « Nous ne voulons surtout pas imposer notre savoir et nos certitudes aux patients ou futurs patients qui viennent ici trouver un refuge, commente Isabelle Cazanave, infirmière du Pass’ Mirail. C’est ce type d’attitude qui les fait fuir, et que nous nous interdisons d’avoir ici. »
- Pierre Mérimée
Une salle spécifique est disponible pour permettre à des jeunes de se confier à des professionnels du lieu sans la présence de leurs camarades, comme sur cette photo. Par ailleurs, sont proposés chaque semaine des ateliers individuels ou collectifs, afin de « prendre soin de soi », de mieux supporter la maladie ou de se reconstruire.
- Pierre Mérimée
Vendredi 25 octobre 2019, concert improvisé dans la cave servant de salle de répétition de musique au Pass’ Mirail. Lui-même en situation de fragilité psychique, l'un des jeunes adultes est à la basse et à l’harmonica : « Je viens ici depuis deux ans, c’est un lieu où le temps de parole n’est pas minuté par rapport à un cabinet classique, je m’y sens en sécurité. Dès que j’y entre, mes problèmes restent dehors. Ce qui m’attire, c’est la musique, j’adore jouer dans cet espace le vendredi, c’est un moment très libérateur pour moi. »
- Pierre Mérimée
À la guitare, Nicolas Lacoste est psychiatre à l’hôpital de jour de la MGEN qui accueille pas mal d’étudiants. « Lorsqu’ils viennent au Pass’ Mirail, dit-il, les professionnels sortent de leur moule. Ils font avec ce qu’ils sont, sans se cacher derrière leur statut. Au début, c’est déstabilisant. Il ne faut pas non plus tomber dans la séduction. Même s’il vaut mieux garder une distance, je me sens parfois dans la peau d’un “ambianceur”. Cette importance de l’ambiance a été théorisée par la psychothérapie institutionnelle. Sauf que dans ce lieu, si j’étais le seul “ambianceur”, ce serait un échec. Il est essentiel que tous, soignants comme surtout jeunes, puissent s’improviser “ambianceurs” s’ils en ont l’envie. Les jeunes s’identifient ainsi à leurs pairs étant eux aussi en difficulté psychique, et cela permet de libérer ceux qui se sentent un peu coincés. »
- Pierre Mérimée
Deux jouets ou doudous trainant sur une table, comme s’ils regardaient tous ces zèbres et dinosaures d’un autre genre qui s’agitent autour d’eux. Difficile de mesurer le nombre de jeunes passant par le Pass’ Mirail, de plus en plus nombreux : plus d’une centaine par mois, dont trente à cinquante très réguliers avec des variations selon les moments. Dans sa démarche, cet espace inédit est un bon exemple de la façon dont des établissements du tiers secteur répondent à des besoins de soin et de solidarité émergents. L’initiative, qui va fêter ses cinq ans en 2020, a d’ailleurs reçu l’un des trophées de l’innovation 2018 de la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne). Une duplication du dispositif est à l’étude, et le Samu social de Lyon souhaite s’en inspirer pour un « projet de maraude pour les 18 à 25 ans ».
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Ouvert depuis 2015, le Pass’ Mirail accueille plus d’une centaine de jeunes chaque mois.
Il fonctionne grâce à 14 professionnels qui s’y relaient, en quelque sorte « prêtés » par les quatre établissements ou associations de soin qui sont partenaires du lieu, et dont ils sont les salariés.
Son budget annuel est de l’ordre de 195 000 euros.