L’accès à l’eau courante et aux toilettes n’est pas qu’un sujet de pays pauvre. En France, de nombreuses personnes en situation de précarité ont ainsi rarement un point d’eau dans leur logement d’infortune et encore moins des toilettes, ce qui engendre de graves problèmes sanitaires. C’est dans ce contexte que Dynam’eau, une association qui intervenait d’abord à l’étranger, se tourne désormais vers la ville où se situe son siège, Bordeaux, pour mettre en place des solutions, notamment des toilettes mobiles dans les lieux qui en sont dépourvus, tout en mobilisant pour faire de ce droit fondamental une priorité politique.
Que faire pour les oubliés de l’eau ? C’est la question que se pose l’association bordelaise en partant d’un constat accablant. « En Gironde, on comptabilise 140 squats et bidonvilles. Avec Médecins du monde, on a fait le tour d'une trentaine et on s’est rendus compte que 2130 personnes y vivaient sans accès à l'eau potable ou à l'assainissement », explique Maxime Ghesquière dans les locaux de l’association qu’il préside, Dynam’eau, au premier étage des locaux de la Maison de la nature et de l’environnement.
Accéder à l’eau, le premier des droits fondamentaux
« Quand on a connaissance d’un nouveau squat, on fait un diagnostic, un état des lieux, et on identifie les priorités : accès à l'eau, à l'électricité, risques incendie, etc. Après, on demande éventuellement à Dynam’eau d'intervenir », résume Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice régionale pour Médecins du monde, délégation Aquitaine. Et en la matière, Dynam’eau est devenue experte : cette association fut fondée par trois anciens salariés de Suez, l’entreprise française spécialiste de la gestion de l'eau et des déchets. « On était membres de l’association Aquassistance, interne au groupe, et quand on l’a quittée, on s’est dit que c’était dommage de ne pas continuer et on a créé Dynam’eau », résume Maxime. Depuis, et malgré la difficulté de trouver des financements pérennes, ils ont réalisé la mise en eau de 22 squats et bidonvilles, permettant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement d’environ 400 personnes de l’agglomération bordelaise, toujours en partenariat avec d’autres acteurs sociaux.
À l’époque, en 2010, ce n’était pas dans les squats bordelais que les techniciens de l’eau agissaient, mais à l’international, au Maroc et au Togo. La nouvelle association s’était alors concentrée sur des micro-projets. Elle a par exemple assuré l’accès à l’eau et l’assainissement de l’école de Chograne, qui accueille 500 élèves marocains, au nord de Rabat. « Aujourd'hui, les élèves de cette école sont à l'université, précise Maxime Ghesquière. L'accès à l’éducation passe par l'accès à l’eau, notamment pour les filles » –qui étaient auparavant victimes de décrochage scolaire car elles ne venaient pas à l’école durant leurs règles. En 2014, c’est au Togo que Dynam’eau, en partenariat avec l’association locale Orepsa, a installé des points d’eau potable, grâce à deux forages profonds, et construit des toilettes compostables dans deux écoles de la région des Savanes, au nord du pays. Ces actions sont financées par un dispositif datant de 2005 – avec l'adoption de la loi Oudin-Santini – qui propose aux communes et agences de l'eau de consacrer jusqu'à 1% des factures payées par les consommateurs à des pays en voie de développement.
Un problème récurrent aux lourdes conséquences sanitaires et sociales
Familière des enjeux d’accès à l’eau à l’international, l’association l’était moins de ceux touchant la France. Jusqu’à l’été 2015 : sous le pont Saint-Jean, rive droite, un camp de migrants rassemble alors une centaine de Sahraouis. Colin MacDonald, cofondateur de l’association, passe devant matin et soir. Il découvre que ces réfugiés sont contraints de boire de l’eau insalubre, stockée dans des réservoirs. Ni une ni deux, l’association installe l’eau dans le campement, via la borne incendie. « On s’est rendus compte que les Sarahrouis, qui vivaient donc sans eau potable ni toilettes, c’était le haut de l’iceberg. On est allés voir les acteurs sociaux et on a découvert le monde des bidonvilles et des squats à Bordeaux. On ne savait pas qu'il y avait une telle problématique d'accès à l'eau dans notre ville. C’est hallucinant ! On ne pouvait pas intervenir à l'autre bout du monde sans rien faire en local », résume Maxime.
« La spécificité de la métropole bordelaise, c’est la grande présence de squats et de bidonvilles », confirme Aude Saldana Cazenave de Médecins du Monde. Et le manque d’accès à l’eau potable et à des sanitaires est un problème récurrent aux lourdes conséquences : nécessité de faire des kilomètres pour remplir des bidons, troubles digestifs liés aux aliments mal nettoyés, soucis dermatologiques, manque d’estime de soi lié à une hygiène défaillante... L’ONG estime qu’à Bordeaux, 1500 personnes vivent dans des bidonvilles – des membres de la communauté rom, de nationalité roumaine ou bulgare – et 1500 dans des squats – des personnes migrantes, des demandeurs d’asile et des étudiants précaires. « Le nombre de personnes roms est assez stable depuis dix ans. On a fait appel à eux pour la construction du tram à Bordeaux et ils sont restés avec leur famille », ajoute-t-elle. Des personnes sans droit ni titre qui vivent sur des terrains vagues, sans aucune infrastructure, et qui doivent se déplacer au gré des expulsions.
C’est d’ailleurs la question qui revient sans cesse lorsque Dynam’eau rend visite aux habitants d’un bidonville, à Bègles, en banlieue bordelaise : « Est-ce que vous savez quand aura lieu l’expulsion ? » Dans un vaste hangar industriel désaffecté, près de 200 personnes roms vivent dans des caravanes ou des cabanes. L’association leur a installé un accès à l’eau en avril 2019. Car si le compteur d'eau usuel avait été fermé par le propriétaire, la bouche à incendie, elle, ne pouvait pas l’être. « Tu tournais un robinet, tu pouvais avoir de l'eau, formidable ! Le tuyau avait un diamètre de 4 centimètres, avec une pression de bouche à incendie… Ce n’était pas adapté à une utilisation quotidienne, soit 400 ouvertures par jour. Les fuites étaient énormes, la facture s'élevait à six chiffres sur l'un des trois compteurs… », explique Maxime, qui rappelle qu’il est impossible pour les habitants de réparer eux-mêmes les fuites : il n’existe pas dans le commerce de matériel adapté à une bouche à incendie.
Le propriétaire, d’abord mécontent, s’est tourné vers la Ville, et c’est le Centre communal d’action sociales qui a résolu problème en finançant l’action de Dynam’eau. Le hangar donne sur une cour bitumée, que jouxte une décharge à ciel ouvert, et désormais, un tuyau se termine par six robinets, branchés les uns à côté des autres. Une jeune femme lave un poulet, un homme se lave les mains tandis que des enfants s’arrosent pour atténuer l’effet des températures caniculaires. « Avant, vous dépensiez 8000 litres d’eau par personne et par jour, alors que la moyenne est de 80 litres », explique Maxime. Que deviendra l’installation si le bidonville est évacué ?
« Les toilettes se bougent le Q » : un projet de sanitaires mobiles
« Les terrains squattés sont évacués dans les trois à six mois après installation. Donc, ils mettent des caravanes, et le jour de l'évacuation ils partent ailleurs. Du coup, le temps de mettre l'accès à l'eau... il faut déjà recommencer ! », soupire Maxime. Pour s’adapter, l’association a lancé un projet : « Les toilettes se bougent le Q », des sanitaires mobiles construits à l’aide de palettes, avec un robinet, des toilettes turques et une douche intégrée. Le projet s’est construit en partenariat avec Médecins du monde, France-Libertés Relais Gironde, Architectes Sans Frontières, Tri Potes et Mascagne et Compagnons Bâtisseurs Aquitaine.
« Le projet nous a paru vraiment méritant et utile », assure Stéphanie Ioan, de Bordeaux Mécènes solidaires, qui a participé (avec la fondation Abbé Pierre) à deux reprises au financement du projet – 10 000 € la première année, 5 000 € la seconde. « Ce qui m'a marquée, une fois sur place, c’est tout le travail réalisé pour associer les habitants du squat à la construction et la maintenance des toilettes, la dimension pédagogique. Car si ça n'est pas fait, ces communs ne durent pas dans le temps quand bien même le besoin est présent », analyse-t-elle. Le prototype installé dans le camp de Bègles a depuis été récupéré par l’association, le squat ayant été évacué.
« Depuis deux ans, on s’oriente aussi vers le plaidoyer, plutôt que de nous concentrer uniquement sur les actions. Car il faut des décisions politiques pour que les actions soient pérennes, souligne Maxime Ghesquière. On travaille avec la fondation France-Libertés et l’association Coalition Eau pour que la problématique d’accès à l’eau pour les personnes vivant sans droit ni titre soit connue au niveau national et pour sensibiliser les têtes de liste des municipales ». Avant d’être un problème technique, la problématique est d’ordre politique.
Alerter les pouvoirs publics sur des carences d’un autre temps
La gestion de l’eau est un vrai casse-tête : quel service est chargé de garantir l’accès à l’eau pour tous ? « On a tiré la pelote pour savoir qui est responsable. Quatre ans plus tard, on n’a toujours pas trouvé », sourit le cofondateur de Dynam’eau. En effet, le nombre d’acteurs pouvant avoir un rôle dans la gestion de l’eau est pléthorique : Suez, la délégation de service public du traitement de l’eau, Eau Bordeaux Métropole, gestionnaire de la distribution de l’eau, la mairie, le département, le centre communal d’action sociales, la préfecture… En 2017, le collectif Action Bord’eaux (regroupant France-Libertés Relais Gironde, Médecins du monde Aquitaine, Architectes Sans Frontières et Dynam’eau) est donc né pour faire pression sur les services de l’État avec pour objectif le respect du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Une pétition adressée au président de Bordeaux Métropole demandait de « garantir un accès effectif à l’eau potable quel que soit le type d’habitation, améliorer l’accessibilité des bornes fontaines dans les villes, et ouvrir des sanitaires et des bains douches en nombre suffisant ».
Pour médiatiser ce problème, Dynam’eau anime une émission de radio et sensibilise les jeunes à l’éducation, à la citoyenneté et à la solidarité internationale. Mais malgré toutes les bonnes volontés, les choses avancent lentement, Maxime Ghesquière évoque tout de même deux bonnes nouvelles : la création d’une Mission squat, et le fait que Patrick Bobet, ancien médecin et nouveau président de Bordeaux Métropole, soit plus sensible à cette problématique. « Il a assuré que tous les squats auraient un accès à l’eau et aux toilettes d’ici l’été, en commençant par les terrains appartement à la métropole », souligne l’associatif. Même son de cloche du côté de Médecins du monde, qui souligne que pour la première fois, un accès à l’eau a été installé dans un bidonville, quai Brazza. « On ne veut pas agir à la place des institutions. C’est donc important d'élaborer un discours de plaidoyer pour faire pression sur les pouvoirs publics pour garantir accès à l'eau pour tous », conclut Aude Saldana-Cazenave.
Données en plus
En 2018, le budget total de l’association a été de 159 178 €.
Avec des subventions et des aides, privées comme publiques, très diverses, parmi lesquelles, au niveau de l’action locale :
• Société de Gestion de l’Assainissement Collectif de Bordeaux : 10 000 €.
• Fond de Développement de la Vie Associative : 3 000 €.
• Département de la Gironde Projet Locaux et Développement Social : 3000 €.
• Bordeaux Mécènes Solidaires : 5000 €.