La Maison Bleue Alverne : accueillir l’autisme à la campagne

À force de pugnacité, des parents de jeunes adultes atteints de troubles du spectre autistique ont réussi, grâce à l’appui des collectivités, à faire valider le premier projet d’habitat inclusif en milieu rural, dont la construction est prévue pour 2024. Reportage en Loire-Atlantique, sur le futur site de la Maison Bleue Alverne.

« Qu’est-ce que c’est que ce chantier ? » En ce samedi après-midi, à l’entrée de la commune du Grand Auverné, en Loire-Atlantique, des engins s’activent au fond d’un terrain à proximité d’un lotissement. Au volant d’une pelleteuse, Gérard, agriculteur à la retraite, avance avec précaution tandis que Dominique, l’adjoint au maire juché sur un chargeur télescopique, empierre ce qui ressemble à des chemins d’accès. Dans la chaleur écrasante de ce début d’été, une dizaine d’hommes et de femmes tirent des câbles électriques, installent une clôture et creusent des tranchées sous le regard de quelques jeunes assis à une table de pique-nique.

Priscille Basses, fondatrice de l’association La Maison Villeneuve et mère de Willy, creuse avec Gérard, agriculteur à la retraite, des tranchées pour le futur jardin partagé.

Un projet unique d’habitat inclusif en milieu rural

Pour les habitants de ce petit village de 780 âmes, situé au cœur du pays de la Mée, ces travaux de terrassement ont quelque chose de très particulier. Il s’agit en effet de l’aménagement d’un jardin sensoriel autour de quatre chalets, première étape de la Maison Bleue Alverne, projet unique d’habitat inclusif pour dix jeunes autistes adultes qui devrait voir le jour en 2024. Construit par Habitat 44, l’office public de l’habitat de la Loire-Atlantique, et géré par le groupe VYV³, employeur dans les établissements de soins de la région, le bâtiment comprendra à terme dix logements individuels de 38 mètres carrés, avec une kitchenette, une chambre séparée et un salon, un espace collectif financé par le CCAH (Comité de coordination actions handicap), avec une salle de balnéothérapie et des bureaux destinés aux intervenants.

Pour se reconstruire, Willy a besoin de calme et de nature. À 27 ans, le jeune homme aspire à une certaine indépendance. Sa mère espère qu’il trouvera dans la Maison Bleue Alverne plus d’autonomie et de prise d’initiatives.

L’habitat inclusif en milieu rural, voilà qui n’est pas banal, surtout lorsqu’il concerne de jeunes adultes atteints de troubles du spectre autistique sortant d’IME (Institut médico-éducatif), non admissibles en ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) et n’ayant pas été orientés vers le monde du travail. « Nos enfants ont besoin de la campagne », affirme Priscille Basses, 51 ans, qui porte depuis 2018 le projet à bout de bras. La jeune femme a créé l’association Maison Villeneuve pour permettre à son fils, âgé aujourd’hui de 27 ans, de progresser et d’évoluer vers plus d’autonomie, sans quitter la campagne. « Toutes les structures existantes, même les foyers d'accueil, qu'ils soient médicalisés ou non, ressemblent à des hôpitaux. Lorsqu’il a des angoisses, Willy a besoin de se mettre sous un arbre et de regarder les feuilles. » Mais comment s’y prendre lorsque la plupart des appartements thérapeutiques, seules alternatives à l’hôpital ou à l’EAM (Établissement d’accueil médicalisé), dont les listes d’attente s’étendent sur plusieurs années, sont situés en ville ? De plus, aucun d’eux n’apporte la surveillance 24 heures sur 24 dont aurait besoin le fils de Priscille, sujet à des crises d’épilepsie nocturnes.

Des activités organisées dans le village permettent aux futurs résidents de la Maison Bleue Alverne d’apprendre à se connaître. Kevin, le carreleur du Grand Auverné, a préparé avec ses salariés des dessertes à barbecue dont les jeunes assurent la finition.

Une mobilisation inédite pour bâtir ce projet

Après des mois de recherches, la jeune femme croit enfin trouver la solution lorsqu’elle tombe sur un appel à projets du Département sur l’habitat inclusif conjointement avec l’ARS (Agence régionale de santé), dont la subvention permettrait de payer un gestionnaire. Avec sa collègue de travail, la maman d’Héloïse, jeune fille atteinte du syndrome de Dravet, Priscille envisage d’abord de faire acheter par la municipalité une grande maison excentrée par rapport à la commune. L'allocation adulte handicapé (AAH) devrait permettre le paiement du loyer, tandis que la prestation de compensation du handicap (PCH) assurerait celui des intervenants et auxiliaires de vie. Mais cela ne peut évidemment suffire à la construction du projet. Heureusement, le maire, sensible au milieu du handicap et impressionné par la détermination des deux femmes, propose alors par solidarité de céder un terrain municipal pour 1 euro symbolique. « On sait qu’il manque des places et que les familles vivent des moments très compliqués », reconnaît Sébastien Crossouard, par ailleurs agriculteur et éleveur de volailles.

Dans la salle municipale du Grand Auverné, Priscille et Christine reçoivent la visite de David Martineau, conseiller départemental à l’habitat et au logement, et président d’Habitat 44, en charge de la construction de l’habitat inclusif.

Séduite par l’originalité d’un habitat inclusif en milieu rural et par les perspectives de développement pour la commune que vont engendrer sa construction, toute l’équipe municipale s’engage dans le projet, lui apportant ainsi la crédibilité qui lui manquait. Grâce à ce dynamisme inédit pour une communauté rurale, l’association Maison Villeneuve finit par obtenir un rendez-vous avec le département, suivi quelques mois plus tard par un retour positif. En 2021, soutenue par l’ensemble des collectivités, la Maison Bleue Alverne est reconnue d’intérêt général, ouvrant la porte aux demandes de subvention nécessaires à la réalisation du projet.

Un combat inouï pour porter le débat en place publique

Cette victoire, Priscille Basses la doit en partie à l’énergie incroyable dont elle fait preuve depuis la reconnaissance du handicap de son fils. Depuis la petite enfance de Willy, d’abord pour l’école, puis pour le maintenir en milieu rural, la maman n’a cessé de se battre pour lui donner une vie meilleure que celle à laquelle il semblait condamné, jusqu’à menacer de grimper sur une grue pour dénoncer le silence des institutions face à ses demandes ou appels à l’aide.

Relayées par la presse et les réseaux sociaux, ces manifestations de désespoir ont fait écho jusque dans d’autres régions, auprès de parents de jeunes adultes, atteints comme Willy de troubles du spectre autistique. Apprenant l’existence du projet d’habitat partagé, plusieurs familles prennent contact avec Priscille et découvrent qu’elles ont traversé les mêmes difficultés : absence de solutions, établissements inadaptés au handicap de leurs enfants, pas de places disponibles à leur sortie de l’IME, mamans obligées d’arrêter de travailler pour s’occuper d’eux, angoisse de devoir demander à la fratrie de prendre le relais, recherche des différentes méthodes comportementales et de toutes les thérapies alternatives possibles.

Amélie, 39 ans, avec Marie-Paule, sa maman. Rien de telle qu’une caresse pour évacuer l’excitation et le stress.

Parmi les premières familles à rallier le combat de Priscille, il y a Christine et Philippe, retraités à la Baule, qui se sont eux-mêmes formés aux méthodes ABA (Applied Behaviour Analysis, ou analyse comportementale appliquée), TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren, également nommé éducation structurée) et TED Thérapie d’échange et de développement). Auparavant, le couple avait expérimenté pour leur fils Clément, âgé aujourd’hui de 27 ans, des techniques aussi diverses que la méthode Tomatis ou l’alimentation sans gluten. La famille avait même fait le voyage jusqu’à Brasilia pour consulter un chamane, en fait un charlatan notoire : « Les parents sont constamment à la recherche de solutions et de structures. On est toujours à regarder ce qui se fait et dès qu’on voit quelque chose de nouveau, on appelle. ». Puis c’est au tour de Christelle et de Marcel, les parents de Lucas, âgé à l’époque de 15 ans, de venir les rejoindre depuis leur commune voisine, dans l’espoir de trouver un habitat adapté pour leur fils quand il sortira de l’IME qui l’accueille depuis 2008. Se sont joints ensuite à ces parents Marie-Paule et Gérard, dont la fille Amélie n’a jamais quitté le domicile familial. Du haut de ses 39 ans, elle est la doyenne du groupe. Ensemble, avec l’appui de la municipalité, ces parents se mettent à imaginer la Maison Bleue Alverne, un lieu à construire ouvert à tous types de handicap, avec comme seules restrictions la violence ou la fugue.

Benoît, 15 ans, est passionné de surf et de musique. Avant d’entrer dans un établissement spécialisé au Royaume-Uni, l’adolescent avait commencé sa scolarité dans une école ordinaire avec une équipe de soutien.

Un partage d’expériences et de compétences pour ajuster le projet

En moins de quatre ans, une vingtaine de familles se sont greffées au projet, participant bénévolement à toutes les tâches et démarches administratives. Venus des quatre coins du département, mais aussi de la Loire et du Loiret, ces nouveaux adhérents ont contraint l’association à constituer une liste d’attente. Damien, 35 ans, externe au foyer médical de Nort-Sur-Erdre, en a fait partie avant de profiter d’un désistement et d’intégrer le groupe des dix premiers résidents. « Là-bas, il aura sa petite vie, et nous plus de temps et plus de liberté », soupire Annie, sa mère, pleine d’espoir. Blandine et Christophe, rentrés en 2020 d’Angleterre après y avoir vécu et travaillé plusieurs années, ont pu aussi y inscrire leur fils Benoît, 15 ans, diagnostiqué autiste dès l’âge de 17 mois, anticipant ainsi les problèmes à venir concernant ses possibilités d’évolution : « Au Royaume-Uni, Benoît avait retrouvé sa dignité d’enfant. De retour en France, nous nous sommes retrouvés seuls devant une administration aveugle et relativement hostile qui a monté des tonnes de dossiers qui n’ont abouti à rien, témoigne le père. Heureusement qu’il existe un réseau d’associations de parents qui permet de partager les expériences des uns et des autres ! »

Damien, 35 ans, avec ses parents. Maçon à la retraite, Alain, le papa dirige le terrassement du jardin partagé tandis qu’Annie, la maman, ancienne comptable dans une entreprise de menuiserie, s’occupe des dons et des cotisations de l’association qui servent à l’achat de matériel.

Les attentes des familles concernant la Maison Bleue Alverne sont immenses. L’objectif est que chaque jeune puisse se débrouiller seul ailleurs que chez les parents, dans une vraie maison, apprenne à partager, à s’entraider avec d’autres et à se fixer des limites. Avoir son chez-soi tout en restant encadré, loin de tout danger : dans le futur habitat, tout a été pensé dans ce sens jusqu’aux moindres détails pour garantir la sécurité des futurs habitants. Pour que tous les besoins des jeunes autistes soient bien pris en compte, comme la réduction du bruit, les parents ont été associés au maître d’œuvre, Habitat 44, qui a entendu leurs doléances, acceptant par exemple d’étendre la surface des logements individuels moyennant une petite augmentation de loyer. De même, l’eau sera toujours à bonne température grâce à des mitigeurs réglables de l’extérieur, car les jeunes ont tendance à rechercher la sensation du bouillant ou du très froid. Une simple VMC (ventilation mécanique contrôlée) sera utilisée pour éviter les sifflements et, grâce à une pompe à chaleur suffisamment éloignée du bâtiment à cause des nuisances sonores, le chauffage s’effectuera par le sol.

Un parent bénévole tire des câbles pour alimenter en électricité les quatre chalets qui recevront les activités du jardin partagé.

Un tiers-lieu en chantier pour favoriser la future cohabitation

Concernant l’encadrement des jeunes au sein de l’habitat, un coordinateur formé aux spécificités de l’autisme sera embauché par VYV³. Il assurera le lien avec les familles, les services d’aide à domicile, les professionnels de santé et le bailleur, même si, dans un premier temps, les parents ont prévu de se relayer auprès des jeunes et de les accompagner pour parer à toute éventualité. Certains, comme ceux de Clément, envisagent de faire construire une maison dans le lotissement voisin, quitte à se rapprocher du Grand Auverné. Depuis la présentation en mars dernier de leur projet aux habitants de la commune, venus en nombre dans la salle municipale se rendre compte de la réalité de l’autisme, les familles viennent régulièrement pour se familiariser avec les commerçants, et apprennent à mieux se connaître en se réunissant les unes chez les autres. Pilotées par l’équipe extrêmement motivée de la structure d’aide à domicile du village, qui travaille avec des acteurs locaux comme le centre équestre ou le carreleur, des activités collectives et des randonnées sont organisées avec les jeunes pour préparer en douceur leur cohabitation. « On est une petite commune, il faut qu’on reste ensemble, sinon qu'est-ce qu'ils vont faire à part visiter les fermes ? » souligne Kevin, qui a installé dans le bourg début 2019 sa propre entreprise de carrelage.

Tous les matins, pour le rassurer, les parents de Damien collent sur son cahier les photos de son planning de la journée et des personnes qui viennent le chercher et le raccompagner.

En attendant le début du chantier de l’habitat, toutes les familles, fratries comprises, se retrouvent le week-end autour de la construction d’un tiers-lieu où les jeunes auront un rôle actif, en participant à son entretien et en accueillant le public. En effet, le jardin sensoriel sera doublé d’un jardin partagé qui restera sous bail emphytéotique, propriété de la commune, afin de respecter la mixité, synonyme d’inclusion. Les associations pourront y effectuer des activités auxquelles les jeunes se joindront selon leurs envies, et le lieu pourra accueillir des projets pédagogiques en relation avec des écoles. L’hiver, ces activités auront lieu dans les trois salles mises à disposition par la municipalité, qui aimerait que des projets similaires puissent voir le jour dans toute la France.

Soutenue financièrement par des fondations, notamment pour la location et l’achat de matériel, l’édification du tiers-lieu est entièrement assurée par des bénévoles. Le frère de Priscille, paysagiste de formation, en a conçu les plans, et les parents, aidés par les agriculteurs du village, effectuent eux-mêmes tous les travaux. « On forme une grande famille », se réjouit Priscille, qui rêve de reprendre l’escalade, son activité favorite, qu’elle a abandonnée depuis la naissance de Willy. Quand je ne serai pas là, mon fils pourra compter sur Christine ou sur Marie-Paule pour le rassurer si besoin. C’est important pour nous, les mamans, de savoir que nos jeunes vont bien. »