Bienvenue chez Modulotoit, centre d’hébergement d’urgence (CHU) piloté par Abri (Association Bâtir et Réinsérer en Île de France), qui regroupe Hôtel social 93 et La main tendue, deux associations de Seine-Saint-Denis. L’originalité de l’initiative : proposer aux mal-logés et sans-abri un hébergement digne, mais nomade, c’est-à-dire rapidement construit et spécialement conçu pour l’occupation provisoire de ces terrains que les municipalités ou des acteurs privés laissent libres avant d’y engager des travaux.
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Pascal Raynaud
« En 2010, l’hôpital Ballanger a décidé de ne pas renouveler la convention d’occupation de nos locaux à Villepinte. On s’est dit : beaucoup de terrains sont libres dans la région, il faut les utiliser par le biais d’un centre d’hébergement nomade », explique Gérard Barbier, délégué général d’Abri. L’idée a séduit l’Établissement public foncier d’Ile-de-France. Un terrain, où Plaine Commune Développement a prévu de construire des logements en 2022, leur est alloué par la mairie d’Aubervilliers via une convention d’occupation précaire et un loyer de 1500 euros mensuels.
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Le premier « Modulotoit » a donc pris place en février 2017 dans un espace clôturé de 5 000 mètres carrés à Aubervilliers, entre une aire d’accueil de gens du voyage et l’autoroute A86. À l’intérieur, 15 « logements modulaires » accueillent 70 résidents en grande précarité. Le centre contient 12 logements de type T5 (4 chambres + salon) et 3 de type T4 (pour les personnes à mobilité réduite). Au milieu du dispositif, un module est laissé libre. S’il est pour l’heure utilisé comme témoin, il est prévu de l’affecter à du personnel médical, à un lieu d’accueil parents enfants…
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À l’entrée du centre, un bâtiment administratif abrite l’équipe pédagogique, composée d’une responsable, de techniciens en économie sociale et familiale et de travailleurs sociaux (assistante sociale, aide médico-psychologique, auxiliaires socio-éducatifs, éducatrice spécialisée), ainsi qu’un gardien logé sur place. Outre l’aide à la recherche de logement et d’emploi, l’équipe propose des ateliers (jardinage, etc.), des sorties, des activités avec les associations locales, un suivi psychologique et un accompagnement personnalisé auprès des administrations.
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L'organisation des logements en modules avec plusieurs chambres fonctionne bien pour des familles avec enfants. Selon Gérard Barbier, délégué général d'Abri, elle présente qui plus est « deux gros atouts : d'abord, les résidents peuvent se projeter dans la recherche de logement et d’emploi. Ensuite, les missions de surveillance et de gestion du quotidien, qui mobilisent beaucoup les personnels en centre d’hébergement d’urgence, sont minimisées par l’autonomie qui leur est laissée. Nous pouvons mieux nous consacrer à notre tâche essentielle : l’accompagnement. »
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Chaque « maison » de 67 mètres carrés est un assemblage de trois modules aux dimensions maximales des objets transportables : 3 mètres de large, 7,5 de long et 4 de haut. Une fois aménagés, les modules sont assemblés par boulonnage, une technique également utilisée pour les fondations de la maison, fixées à des plots de béton enfoncés dans la terre. En raison de la nature meuble du sol, il a fallu installer une longrine (madrier métallique) entre les plots pour éviter les affaissements. Tous ces équipements sont démontables et réutilisables.
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Fabriqués dans une usine du Mans, les modules sont des bâtiments à haute qualité environnementale et basse consommation énergétique. Seule l'isolation phonique laisse à désirer. Chaque logement est construit sur le même modèle. On entre par un petit salon avec table et chaises, fermé par une cuisine américaine (avec plaque électrique et évier). Attribuées en fonction de la situation matrimoniale, les chambres se situent aux quatre angles de la maison. Chacune est équipée de frigidaire, armoire, lits (bébé, simples ou superposés), prises électriques, antenne télé, volets roulants et radiateur.
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Chaque logement possède une salle de bains avec douche italienne et toilettes séparées. À Aubervilliers, une fois les modules installés, il a fallu viabiliser l’habitat, c’est-à-dire apporter l’eau, le tout-à-l’égout, l’électricité, le téléphone, le wifi, etc. La mise en place du centre, de la construction des modules à l’ouverture du bâtiment administratif, a pris six mois (octobre 2016 à février 2017). Celle du dispositif a coûté 2,3 millions d’euros : 1,5 million pour le bâti réutilisable, 300 000 pour les plots et le chaînage métallique, 500 000 pour viabiliser le terrain.
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Pour financer ce centre d’hébergement provisoire, « nous avons dû nous tourner vers le privé, indique le directeur général d’Abri Gérard Barbier (en photo). Après un an de recherches, le Crédit coopératif a accepté de nous prêter 1,5 million d’euros. Notre seule aide publique, ce sont 180 000 euros du conseil régional – le tiers de l’aide qu’il fournit aux hébergements d’urgence en dur. Les administrations comme les banques ne s’engagent pas. La Caisse des dépôts nous a dit : “On voit bien l’intérêt de votre projet, mais ce n’est pas finançable.” »
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Comme dans tout CHU, les résidents sont envoyés par le Service intégré d'accueil et d'orientation du département. Il s’agit d’un public très vulnérable, auparavant hébergé en hôtel d’urgence via le 115 : sans-abri, migrants et primo-arrivants, personnes en grande difficulté psychologique, matérielle ou familiale. Tous les publics sont acceptés, à l’exception des couples sans enfants – la structure ne leur étant pas adaptée. Cette solution n’est que provisoire. « Leur objectif principal, c’est d’obtenir un logement social », note Émilie Prieu, cheffe de service.
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La résidence est décidée après entretien avec l’équipe pédagogique. Un minimum de stabilité psychologique est nécessaire, car les résidents doivent accepter de partager des espaces communs avec d’autres personnes de tous âges. La moitié des résidents travaille. Une participation financière correspondant à 10 % des revenus leur est demandée (barème préfectoral). Ils signent des contrats de résidence de 3 mois, renouvelables, et ils s’acquittent de leur nourriture. Les visites extérieures sont autorisées de 14 à 19 heures.
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« Il y a ici bien moins de violences que dans d’autres CHU », juge Nathalie, assistante sociale. C’est grâce à la « disposition des modules et au fait que les résidents disposent d’un espace privé », confirme Cédric, le gardien de nuit. D’ailleurs, l’entraide entre les résidents fonctionne bien : aide aux devoirs (en plus de celui fourni par un bénévole), garde de bébés, recherche d’emploi, cuisine, ménage, etc. Beaucoup de ces services concernent les enfants. « Ici, c’est comme un mini-village, apprécie Julie, éducatrice spécialisée. Et tout est au rez-de-chaussée. L’été, les gamins peuvent jouer dehors en toute sécurité. »
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« Nous élargissons la notion d’habitat modulaire. Un lycée, par exemple, s’est montré intéressé par l’usage de modules réutilisables. Et la formule peut être déclinée pour d’autres publics : étudiants, réfugiés, femmes victimes de violence, etc., assure Gérard Barbier. Nous avons un bon contact avec Toit et Joie, le bailleur social de La Poste. Comme il travaille avec l’Établissement public foncier d’Ile-de-France, il dispose de multiples terrains sur lesquels on pourrait développer d’autres Modulotoit. »
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Les promoteurs comme les riverains se montrent intéressés par l'occupation provisoire, parce qu'elle évite que le terrain vide soit squatté », continue le délégué général d'Abri. De fait, ce terrain devient un espace vivant – parfois plein de souvenirs pour les ex-résidents. En outre, cette solution permet de lever l’obstacle du coût du foncier. Il devient presque gratuit. En revanche, « la convention d’occupation des terrains devra prévoir un dédommagement des futurs propriétaires en notre faveur, pour les travaux de viabilisation qui ne seront plus à faire. Ce serait tout de même choquant qu’ils obtiennent le raccordement à l’eau courante, à l’électricité et à l’assainissement sur le dos des précaires ! »
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« Le dispositif que nous avons mis en place n’est pas accessible aux associations modestes. Il nous a demandé des efforts – et des moyens – considérables. Nous avons mis plus d’un an à trouver une banque qui accepte de nous financer. En même temps, il a fallu chercher un terrain : quarante pistes immobilières en Seine-Saint-Denis, quarante échecs ! », déplore Gérard Barbier.
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« La législation rend très difficile l’aide à la construction provisoire par les institutions et collectivités territoriales, analyse le délégué général d'Abri. Pour généraliser Modulotoit, il convient de faire sauter le verrou du financement public en supprimant la notion de “droit réel” dans l’aide à la pierre. De plus, on doit accepter l’idée d’un projet pérenne même si son implantation est provisoire. » Selon son estimation, cette solution pourrait parvenir à régler le problème des migrants en six mois : « Le temps de réaliser et d’installer des modules partout en France ! »
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Le premier « Modulotoit » a pris place en février 2017 dans un espace clôturé de 5 000 mètres carrés à Aubervilliers, entre une aire d’accueil de gens du voyage et l’autoroute A86. À l’intérieur, 15 « logements modulaires » accueillent 70 résidents en grande précarité. Le centre contient 12 logements de type T5 (4 chambres + salon) et 3 de type T4 (pour les personnes à mobilité réduite).
Chaque « maison » de 67 mètres carrés est un assemblage de trois modules aux dimensions maximales des objets transportables : 3 mètres de large, 7,5 de long et 4 de haut.
Ce dispositif a coûté 2,3 millions d’euros : 1,5 million pour le bâti réutilisable, 300 000 pour les plots et le chaînage métallique, 500 000 pour viabiliser le terrain.
Publication / Mise à jour : 03.04.2018