Située à Paraty, ville du littoral sud de Rio de Janeiro, l’école Cirandas a été créée en février 2014 par un groupe de parents désireux d'un autre système scolaire pour leurs enfants, avec plus d'équilibre social et d'ouverture sur le monde, dans un Brésil en prise à de terribles inégalités et en proie à la violence. Une école communautaire qui revendique la diversité comme richesse et offre la gratuité aux plus démunis, où l’élève n’est plus le simple auditeur de savoirs fragmentés et des connaissances transmises par son professeur, mais l’interactif acteur d’un processus inédit et transformateur : Il apprend à apprendre.
- Pierre Mérimée
Les enfants, en interaction durant un atelier d’activités sportives. « Contempler la diversité » : cette promesse traduit l’esprit de l’école Cirandas, qui prône la mixité sociale et la diversité. Ainsi propose-t-elle de jouer au foot les yeux bandés ou de faire des activités avec une main attachée dans le dos, pour considérer la différence de l'autre d'une manière plus naturelle. Selon le journal Folha de Sao Paulo, Paraty, petite cité côtière de 40 000 habitants, est la ville dont l’indice de morts par arme à feu est le plus élevé de l’État de Rio de Janeiro (33 assassinats en 2016). Un indice confirmé par l’Institut Igarape, qui ajoute que la plupart des victimes sont des jeunes.
- Pierre Mérimée
Dans une salle de cours, des enfants étiquettent leurs cahiers ou débattent du thème d’étude qui sera abordé. Cirandas se veut une « école de la diversité », ouverte aux populations démunies « à l’inverse de la majorité des écoles de Paraty, voire du Brésil », explique Ana Carolina, l’une des représentantes de la direction. « Nous faisons partie du réseau d'écoles innovantes créé par Helena Singer, sociologue et intervenante pour le ministère de l’Éducation, poursuit Guiherme Lutterbach, parent d’élève et donateur. Nous sommes en lien avec des écoles d’enseignement différenciées comme celles qui émergent des communautés autochtones, des villages reculés du littoral et des écoles communautaires. »
- Pierre Mérimée
La diversité est bien plus importante ici que dans la plupart des écoles privées du Brésil. Toutes les classes sociales sont réunies. Mais Ana Carolina aimerait que les plus fragilisées y soient encore plus représentées. Elle pense en particulier aux communautés afro-brésiliennes et aux personnes en situation de handicap : « Les plus pauvres sont de plus en plus nombreux dans l’école, et nous souhaitons en accueillir bien d’autres dans le futur. Une jeune fille atteinte de Trisomie 21 est intégrée au Cycle 2, ses progrès au sein du groupe d’études sont fantastiques ! »
- Pierre Mérimée
Une réunion hebdomadaire du conseil de gestion pour discuter des contributions des familles à l’école. Un conseil composé de représentants des parents d’élèves, des professeurs, de l’association et des directrices de l’établissement. 5% des familles paient l’intégralité des frais de scolarité : 427 euros, soit l’équivalent du salaire moyen dans l’État de Rio, et 95% des élèves sont boursiers. Parmi ceux-ci, un tiers ne paient rien (formation, matériel, cantine, sorties…). Les bourses sont financées par l’Institut Cirandas, organisation à but non lucratif qui a été créée spécifiquement pour récolter les donations privées.
- Pierre Mérimée
Des enfants en salle de classe. Ici, les éducateurs sont médiateurs du processus d’apprentissage. Ils ne distillent pas savoirs et connaissances sur un modèle hiérarchique classique, mais enseignent aux enfants à être des chercheurs. Comme chaque enfant à un temps d’apprentissage différent, l’école propose un bloc de cinq ans pour enseigner un contenu évolutif. Malgré l’absence d’épreuves et de notes, les élèves sont évalués en continu pour prendre connaissance de leurs progrès et définir de nouveaux objectifs, en insistant sur le travail autour de l’autonomie et de la confiance en soi et dans leurs idées afin de développer l’envie d’entreprendre.
- Pierre Mérimée
Gabriel, professeur d’histoire-géographie, prépare un cours. En 2014, l’école, qui compte désormais 61 élèves, a commencé par l’enseignement élémentaire pour des enfants de 7 à 11 ans. Depuis 2017, elle a ouvert une équivalence de niveau collège sur la demande de plusieurs parents désireux d’une continuité, « car le travail d’apprentissage de l’autonomie s’acquiert plus facilement vers 14 ans, dit Gabriel, qui ajoute : « Pour asseoir la notion de gestion participative qui est au cœur du projet, les éducateurs sont en formation toute l’année, avec des réunions et des groupes d’études hebdomadaires, des interactions avec d’autres projets et du tutorat.
- Pierre Mérimée
Le groupe d’alphabétisation des tout petits. Même pour eux, l’école fonctionne de façon horizontale, selon les principes de la « sociocratie » : une gouvernance sans pouvoir centralisé, en mode auto-organisé avec des prises de décision distribuées. Si certaines décisions, logistiques ou financières par exemple, sont résolues par des instances compétentes, la plupart des questions relatives à la bonne marche de l’école sont débattues collectivement, entre les équipes éducatives, les familles et l’Institut Cirandas, principale source de financement. En 2017, le coût de fonctionnement annuel de l’école se situait autour de 250 000 euros.
- Pierre Mérimée
L’entrée de Cirandas est bordée par un grand jardin. Le partage de savoirs et de compétences génère des bénéfices qui aident l’école. Un petit marché organisé en 2017 par des parents d’élève a permis l’achat des denrées alimentaires pour la cantine sur une année. D’autres ont créé un « mur » de petites annonces sur les besoins et offres de services disponibles. L’école a inspiré plusieurs projets satellites dans la région, qui ont reçu l’appui de l’institut Cirandas : le « Jardim da Beija Flor », qui enseigne les notions de nature et d’horticulture ; « Cirandas na educaçao », des rencontres pour les personnes désirant contribuer au débat pédagogique, et le PAFE, programme destiné à l’accessibilité aux études supérieures, un terrible plafond de verre du Brésil.
- Pierre Mérimée
L’école fonctionne de 8h00 à 15h20, avec une pause pour le goûter et une autre pour le déjeuner. Chaque semaine, des réunions sont organisées avec les éducateurs et les représentants de la direction pour établir une carte de développement personnalisée de chaque « élève », afin de lui permettre une évolution la plus naturelle possible. « Avec les enfants, nous apprenons au quotidien et nous déconstruisons ensemble les notions de préjugés, tant présentes chez les adultes », raconte Gladys, éducatrice du groupe d'alphabétisation des plus jeunes.
- Pierre Mérimée
10h, il est temps de goûter. On sert aujourd’hui une petite coupe de fruits accompagnés d’un mélange de céréales, de graines et de fruits secs. C’est l’un des moments importants de la journée, surtout pour certains enfants se nourrissant uniquement à l’école. L’inflation est grandissante au Brésil, notamment à Paraty. Très prisée par les Brésiliens, cette ville a récemment connu un essor du tourisme accompagné d’une flambée des prix de l’immobilier. Conséquence indirecte : le coût de la vie y a fortement augmenté, obligeant certaines familles paupérisées à vivre dans des favelas.
- Pierre Mérimée
Debora Saraiva, professeur et percussionniste originaire de Sao Paulo, est en charge des activités musicales. Comme ici, au cours d’une batucada, la traditionnelle formation de percussions qui transcende les origines sociales ou ethniques. Ayant travaillé dix ans à Berlin dans des écoles, elle mesure le chemin qu’il reste pour donner une égalité des chances à tous les enfants brésiliens. « Ce qui m’a donné le plus envie de revenir au Brésil fut la mobilisation de 2013, lorsque le peuple est descendu dans la rue en masse, réclamant plus de justice sociale. Il y a tellement de choses à faire ici. »
- Pierre Mérimée
Les enfants jouent au football à la récréation, sous l’œil discret et bienveillant de Fernanda, « l’inspectrice ». Dans cette école communautaire, les activités sportives sont aussi à l’initiative des enfants. Comme ce jour où certains d’entre eux ont décidé de s’équiper d’une mini rampe de skateboard. Ils en ont construit le projet et le budget. Ensuite, ils sont partis à la recherche de partenaires pour en financer les éléments puis l’ont construite eux-mêmes à l’aide des éducateurs.
- Pierre Mérimée
Durant le repas, les professeurs se mêlent aux élèves. À la cantine, l’esprit communautaire est toujours présent, et les plus petits apprennent à se servir seuls. Aux fourneaux, Dona Penha, originaire de Paraty et brodeuse, a sa nièce à l’école. Il y a aussi Rosa, dont la fille suit les cours. Un des parents d’élève, boulanger, fournit le pain toute l’année. Les produits servis sont frais et sélectionnés, la cuisine est traditionnelle. Pour faire taire les enfants au moment où ils s’assoient à table, les éducateurs lèvent simplement le bras sans un mot, et le silence se fait.
- Pierre Mérimée
Après le repas, chacun nettoie sa vaisselle selon des critères d’économie d’eau et de savon, tout en retirant les graisses efficacement. Les enfants sont aussi mis à contribution pour les opérations de nettoyage de la cantine, sous les conseils de Fernanda. Une fois par semaine, une équipe de quatre élèves est constituée pour gérer la propreté pour une période de six jours. Pendant trois jours, deux enfants lavent le sol et deux autres les tables, puis ils inversent les rôles.
- Pierre Mérimée
Pendant un interclasse sous le grand préau, Davi (au centre de la photo), âgé de 12 ans et entouré d’autres enfants. « Ce que je préfère est qu’il n’y a pas d’interrogations comme en école traditionnelle, c’est mieux !, explique le jeune garçon. Mon meilleur souvenir, d’une certaine façon, est une altercation avec un professeur, ce qui m’a permis finalement de m’adapter à l’école. Un vrai déclic ! Toutes les opportunités que nous avons, nous devons en tirer profit, même les mauvaises.
- Pierre Mérimée
L'école dispose d’un vaste jardin, et le compostage fait partie des habitudes. Dans l’enceinte de l’école, un cabanon et une aire de jeux ont été transformés par les enfants, avec une fresque géante. Des activités sont parfois proposées en dehors de l’établissement, profitant des ressources naturelles dont dispose la région de Paraty dans l’État de Rio de Janeiro : mer, montagne et forêt permettent aux élèves de mettre en pratique des thèmes abordés par les enfants en classe, comme l’agriculture, la pêche, les techniques de bioconstruction…
- Pierre Mérimée
Ici, les projets ne manquent pas. Comme celui qui vient d’être validé par le ministère de l’Éducation dans un quilombo, l’un de ces territoires où se réfugiaient les esclaves en fuite, devenus des sanctuaires de la culture originale qui s’y est développée. « Un professeur d’origine guarani venant du sud du pays a aussi relancé une école indigène, explique Débora Saraiva, intervenante à Cirandas. Ces cultures ancestrales nécessitent une éducation différenciée, car elles sont uniques et éloignées du système traditionnel. Et puis les familles de ces communautés ne peuvent payer un transport sur des dizaines de kilomètres, de leur village à l’école. »
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En 2018, Cirandas compte 61 élèves. En 2014, l’école a commencé par l’enseignement élémentaire pour des élèves de 7 à 11 ans
Trois familles paient l’intégralité de la mensualité de 2040 reais (427 euros, soit l’équivalent du salaire moyen dans l’état de Rio !) tout inclus (formation, matériel, cantine, sorties), 41 sont boursiers partiels, 17 sont boursiers intégraux.
En 2017, le coût de fonctionnement annuel de l’école se situait autour de 250 000 euros.