Osons ici et maintenant avec des jeunes en transition

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Téo, Alban, Anaelle, etc., en chantier solidaire chez un producteur bio (coopérative Entre2Mondes), près de Créon dans l’Entre-deux-Mers ; et (à droite) Taïric en chantier solidaire de Symbioz Recyclerie & Ferme urbaine, à Rémire en Guyane, courant février 2021. © Osons ici et maintenant.

Remobiliser des jeunes de 18 à 25 ans, voire jusqu'à 30 ans en situation de handicap, pour construire un projet de vie lié à la transition écologique et sociale, les aider à s’orienter et à avancer sur cette voie, c’est la mission que s’est donnée Osons ici et maintenant (OIM) avec son programme 100% Transition. Mais accompagner des jeunes en situation de vulnérabilité ou qui ont perdu confiance en eux n’est pas si simple. Le levier actionné par cette association : une pédagogie mixant la reconnexion à soi et la compréhension du monde de demain, dans un cadre bienveillant. L’une des difficultés étant d’arriver à aligner tout l’écosystème de formation dans cette direction.

« Quand on s’implique, raconte une des jeunes de la première session de 100 % Transition à Redon, en avril 2021, je trouve qu’il y a une richesse que l’on ne connaît pas forcément quand on n’est pas dans le milieu associatif ». Elle poursuit, citant deux structures accueillant en service civique des jeunes de ce programme : « Avec le tiers-lieu, j’ai eu l’occasion de rencontrer plein de monde, et même l’Écrouvis, tout ça, c’est des trucs qui sont incroyables sur le territoire, et dont on n’est pas au courant ». Elle habite Renac, où « il n’y a rien : un coiffeur, une médiathèque, une boulangerie » et fait partie de ces jeunes en quête de sens et d’action, dans un contexte de défis environnementaux et sociaux inédits. C’est en les connectant aux acteurs du territoire, via l’engagement dans des projets répondant à ces nouveaux enjeux, qu’Osons ici et maintenant (OIM) cherche à leur redonner confiance en leurs capacités. Soit une démarche de « terrain », proche des pratiques de l’école de la transition écologique (ETRE), dont l’objectif est, in fine, de leur permettre de reprendre la main sur leur avenir…

 

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Valentin en journée d’observation au chantier naval de Redon, en mars 2021 ; et Marion (à droite) fabriquant des nids d’hirondelle lors d’un chantier participatif à la ferme équestre de Plessé, en avril 2021. © Osons ici et maintenant.

OIM pour avancer sur un chemin qui a du sens

Dès sa création en 2014, OIM s’est donné pour mission de créer des parcours transformateurs pour que ces jeunes souvent déboussolés puissent à la fois contribuer au monde présent et à venir, mais aussi développer leur plein potentiel. Différents programmes ont, depuis, vu le jour, dont la FabriK à DécliK (trois jours de Festival des Possibles pour se connecter à soi, aux autres et aux enjeux du territoire) et Katapult (trois à neuf mois, pour construire son avenir via des programmes d’accompagnement collectifs, pour passer à l’action, concrétiser un projet, etc.). Au-delà de leur définition quelque peu « marketing de l’ESS », il s’agit de parcours impliquants et très opérationnels : l’étude de leur impact 2015-2019 indique que sur 7 500 jeunes les ayant suivis, 92 % avaient gagné en confiance en eux, 75 % avaient développé leurs capacités et 69 % avaient trouvé un emploi ou une formation dans les six mois. Ces bons résultats ont amenés l’association à créer 100 % Transition : « un parcours d’accompagnement de la (re)mobilisation vers l’emploi dans les métiers de la transition écologique et sociale » pour des jeunes éloignés de l’emploi, peu ou pas qualifiés ou en situation de handicap.

« C’est une synthèse de toutes les expérimentations qu’on a faites entre 2015 et 2019 », indique Olivier Lenoir, qui a cofondé l’association avec son épouse Soizic. Elle travaillait dans le domaine du rattrapage scolaire et de la persévérance scolaire par le sport. Lui est passé par l’ESSEC, puis Unis-Cité, association à l’origine du service civique, et ensuite l’Institut du Nouveau Monde au Canada, œuvrant autour des questions du développement du potentiel des jeunes et de la démocratie participative. « Le parcours 100 % transition a deux objectifs », résume Olivier Lenoir, « le premier c’est d’accompagner concrètement 300 jeunes en trois ans ; le second, c’est de réfléchir à comment on fait évoluer le système de l’orientation et de la formation en France. » Avec, comme vecteur de ces ambitions, le service civique, et plus particulièrement le service civique d’initiative…

 

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Ambre, en stage de menuiserie chez Jean-Claude, dans le pays de l’Arbresle, en juin 2021 (phase d’envol). © Osons ici et maintenant.

Un service civique d’initiative qui part vraiment du jeune ?

Avant même 100% Transition, OIM avait déjà un programme s’appuyant sur le service civique d’initiative. Ce dernier s’appelait, au départ, le service civique inversé, parce que l’idée devait partir du jeune, celui-ci proposant et coconstruisant son projet avec un organisme, alors qu’habituellement ce sont les structures qui offrent des missions. D’autres entités proposent un service civique d’initiative, mais rarement en milieu rural, et selon d’autres modalités. Celui d’Unis-Cité, par exemple, s’appelle « Rêve et réalise », et permet aux jeunes de développer un projet dans un incubateur plutôt qu’avec une structure. « Techniquement, c’est souvent un peu plus compliqué qu’un service civique classique, note Olivier Lenoir, parce qu’il faut réussir à coupler l’envie d’un jeune et une opportunité de structure sur un territoire. » De plus, si sur le papier le projet part du jeune, en réalité on n’en est pas encore au stade où un jeune posterait sur la plateforme du service civique son projet personnel pour qu’une structure l’adopte. « La difficulté que l’on peut rencontrer avec les jeunes qui ont décroché, c’est qu’au démarrage ils n’ont pas beaucoup d’envie, explique Olivier Lenoir. Donc, ce qu’on leur propose, c’est de choisir un secteur qui les intéresse, et c’est après, en partant de leurs talents naturels, de leurs capacités et de ce terrain d’application, qu’ils peuvent développer des initiatives. » Il est très rare qu’un jeune arrive avec un projet déjà ficelé. « On s’est rendu compte par la pratique que les initiatives se mettent en place souvent dans la deuxième partie du service civique. »

Premier objectif de 100 % Transition : accompagner les jeunes

100 % Transition existe depuis l’automne 2020 sur huit territoires d’expérimentation, deux urbains et six ruraux : en Nouvelle Aquitaine (Bordeaux, Entre-deux-Mers et Béarn-Pau-Orthez) ; en Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon et Pays de l’Arbresle), en Bretagne (Pays de Redon et Guémené-Penfao) et en Guyane (Cayenne). Chaque promotion comptant 12 jeunes, une centaine sont donc aujourd’hui intégrés dans ce parcours qui dure neuf mois, comprenant trois grandes étapes. D’abord une phase de repérage et de remobilisation d’un mois qui comprend la participation à une FabriK à Talents. L’un des jeunes de la promotion 2021 à Redon la présente ainsi dans une vidéo : « La FabriK à Talents, c’est trois jours en groupe, consécutifs, quelque temps avant le début du programme, avec des ateliers. On fait beaucoup d’introspection, on crée un groupe aussi, et on voit plein de choses différentes, super intéressantes, il y a plein d’activités. Il précise : Au niveau des compétences, au niveau envie, on y voit un peu plus clair. Les accompagnants aussi. Après, il y a des propositions de missions. Et en conclusion : En fonction de nos goûts, on choisit, on rencontre les tuteurs des structures qui nous intéressent, on voit si on peut continuer, et puis après c’est parti. »

Une fois la mission de service civique coconstruite entre le jeune et la structure, les volontaires entrent dans la deuxième phase du programme d’une durée de six mois. « C'est un accompagnement global qui part de la remobilisation du jeune via un changement d'état d'esprit, la levée des freins sociaux, etc., pour arriver à la définition d'un projet de vie qui a du sens pour lui », indique Vincent Raineau, responsable de l'antenne Nouvelle Aquitaine. Concrètement, les jeunes se retrouvent trois jours par semaine dans la structure choisie pour réaliser leur mission de service civique. Ils ont un entretien de coaching tous les quinze jours et participent à une journée collective hebdomadaire dédiée au développement de leur pouvoir d'agir et à la sensibilisation aux enjeux de la transition sociale et écologique. « La multiplicité des formats et des méthodes d'accompagnement ponctuée par des temps forts, tels que la FabriK à DécliK, un défi sportif ou un rite de passage, permet à chaque jeune de s'y retrouver et de construire son projet d'avenir pour la phase d'envol », ajoute Vincent Raineau. Celle-ci peut déboucher sur un stage, une entrée en formation, un renforcement pédagogique... Parmi les intentions exprimées par les jeunes lors de la FabriK à DécliK de Redon en mai 2021, l’un veut monter une mutuelle sociale pour étudiants, une autre un tiers-lieu, d’autres ont des projets de formation ou d’orientation professionnelle, par exemple dans la charpente.

Les voies pragmatiques de la transition écologique et sociale

Sur chaque territoire d’expérimentation, OIM fait un diagnostic pour identifier des structures œuvrant dans le domaine de la transition écologique et sociale. Cela comprend tout le réseau de l’économie circulaire (recycleries, comme L’Écrouvis à Redon, réparation de vélos, etc.), tout ce qui touche au maraîchage, à l’agriculture biologique, aux jardins partagés, en plus du secteur du care (soins aux personnes âgées, en situation de handicap, etc.), mais aussi les bibliothèques mobiles, médiathèques, tiers-lieux, etc. « On a pas mal d’acteurs cartographiés sur chaque territoire, indique Olivier Lenoir. Après, le travail consiste à réfléchir avec eux, voir s’ils sont en capacité d’accueillir des jeunes, souvent en binômes, pour une période de six à huit mois. »

 

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Hamza et Nathan en chantier collectif au Garage moderne à Bordeaux durant l’hiver 2020. © Osons ici et maintenant.

 

Pour remplir ses promotions, OIM ne cherche pas à sélectionner, mais plutôt à comprendre quelles sont les motivations profondes des jeunes. Il n’y a pas de prérequis de niveau d’études, mais plutôt de capacité à suivre un programme et à interagir, à travailler en équipe. Pour réussir cet exercice qui n’est pas simple, puisqu’il s’agit de recruter des jeunes un peu « non-identifiés », l’association s’appuie sur le bouche-à-oreille et sur les structures locales de son réseau, les acteurs qui suivent la jeunesse et ceux du monde de l’ESS local, de l’emploi, les tiers de confiance dans les quartiers ou en zone rurale (maisons familiales, clubs de sport, maires ruraux..), et essaye de mixer les profils.

Peu de jeunes sortent de cursus universitaires et savent ce que ce que recouvre le terme de transition écologique et sociale. Beaucoup en sont plutôt à essayer de manger trois repas par jour ou à sortir d’addiction. Lors des premières rencontres, ce qui semble les accrocher, c’est « l’envie de vivre une aventure collective, de se sentir utile, l'adoption d'un statut de volontaire, et bien sûr l’indemnité financière qui va avec », souligne Vincent Raineau.  Ensuite, les jeunes sont mis en situation d'acteurs : ils coconstruisent une mission de proximité qui peut leur convenir. Enfin, OIM active des leviers clés pour les lancer dans une dynamique positive dès le début du programme, en particulier un travail de diagnostic social individualisé afin de lever certains freins sociaux (mobilité, logement, addiction, enfants à charge, etc.) et un autre sur la confiance en soi et dans le collectif, qui sont des éléments importants de sa pédagogie et permettent d'éviter les décrochages.

« Se dire : à quoi vais-je contribuer sur un territoire, quel sens vais-je donner à mon métier, et finalement quelles sont mes motivations profondes à agir, argumente Olivier Lenoir, ce n’est pas un truc de gens éduqués et riches, c’est accessible pour tout le monde. » Cette réflexion est universelle et parle à tous. « En revanche, c’est rare qu’on l’aborde. Et donc souvent on passe à côté d’une force, d’une énergie chez les jeunes, qui pour le coup est assez facile à activer avec de bonnes questions et des postures d’écoute. »

 

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Claire et Thibault fabriquant un banc avec des palettes pour le Jardin de Pirouette, du côté de Guémené-Penfao, en novembre 2020 (FabriK à Talents). © Osons ici et maintenant.

Deuxième objectif : réfléchir à l’évolution du système d’orientation et de formation des jeunes

Osons ici et maintenant se perçoit comme un laboratoire, non seulement pour expérimenter, mais aussi pour réfléchir au système d’orientation-formation. Après la phase d’envol, le relais est souvent passé à des organismes de formation, dont certains sont d’ailleurs parties prenantes du programme. Mais l’immersion en entreprise, par exemple, suppose que les jeunes en service civique acquièrent un statut de stagiaire de la formation professionnelle, passant par les Missions locales. Or celles-ci, souvent trop débordées, ont du mal à prendre en compte les parcours de ces jeunes… qui de leur côté ne se reconnaissent guère dans leur approche. « Nous, on part d’un préjugé positif, on pense que chaque jeune a un énorme potentiel, souligne Olivier Lenoir. L’important, c’est de récréer de la confiance en partant du jeune tel qu’il est et pas tel qu’on voudrait qu’il soit. » Il lui semble illusoire, par exemple, de croire que parce qu’il y a 30 places de chaudronnier, former 30 jeunes à ce métier résoudra la question. Si cela marche pour trois, de l’argent public aura été gâché pour les autres. Il faut tester d’autres manières de faire, puis « faire évoluer le système par les expérimentations qui auront fait leur preuve. » Et ce d’autant que le travail d’une association comme OIM ne peut répondre à l’ensemble des besoins : elle ne pourrait accompagner au maximum que 1 000 à 2 000 jeunes par an.

La R&D sociale en renfort

En plus d’un comité scientifique auquel participent notamment Yannick Blanc, ancien président de l’Agence du service civique, et Marie Trellu-Kane, présidente d’Unis-Cité, une équipe de chercheurs, d’élus et de professionnels de l’innovation sociale est associée au programme 100 % Transition pour tirer des enseignements de ce qui est pratiqué sur le terrain, faire avancer la réflexion, tant en termes pédagogiques que de renouvellement des modes d’accompagnement. L’objectif, à partir d’observations et de mesures d’impact, est de développer des offres de services qui pourraient être proposées au secteur de l’orientation-formation. Cette démarche de recherche & Développement va permettre d’identifier les points de blocage, les verrous, et « aider à les lever par le fait d’associer des acteurs multiples autour d’Osons ici et maintenant pour porter collectivement le programme et faire jouer la coopération comme levier d’action », indique Laura Ortiz, consultante chercheuse en innovation sociale d’Ellyx, agence en innovation sociale, membre du consortium qui accompagne 100 % Transition. L’idée est aussi « d’anticiper le développement stratégique des structures membres du consortium et d’envisager des actions communes, après les trois ans d’expérimentation ». Un autre volet de la R&D sociale, consiste par ailleurs à mieux définir les activités de la transition écologique et sociale et les voies d’accès vers ces nouvelles pratiques pouvant s’intégrer à des métiers existants (construction, artisanat, agriculture, production locale...), de même que les formations et nouveaux métiers spécifiques.

Décloisonner les approches de la remobilisation vers l’insertion professionnelle, en faisant collaborer des acteurs « traditionnels » de l’orientation et de la formation, avec d’autres qui explorent d’autres voies, tel est le vœu d’OIM. « On organise au ministère du Travail, au mois d’octobre, une journée nationale avec une délégation de chacun des huit territoires, annonce Olivier Lenoir. Notre objectif c’est de faire du plaidoyer par l’action, c’est-à-dire de donner à voir ce qui a été réalisé et ultimement d’influencer les politiques publiques. » Puis il ajoute : « On pourrait aussi imaginer de transférer notre savoir-faire en matière d’orientation dans certains segments de l’Éducation nationale », par exemple en y encourageant des recteurs. Quand on se rend compte que ce que l’on apprend sert souvent dans un autre domaine que celui visé au départ, « l’essentiel, c’est plutôt de comprendre le monde dans lequel on vit et d’apprendre à se connaître. »

 

NB : les témoignages de jeunes sont extraits d’une vidéo disponible sur YouTube  « La parole aux jeunes de 100 % Transition » 

En savoir plus

Données en plus

Après six ans d’existence, 7 500 jeunes étaient passés par les programmes d’Osons ici et maintenant (OIM), association créée en 2014 à Bègles, qui compte huit territoires d’expérimentation en 2021.Le programme 100 % Transition a été lancé à l’automne 2020 pour accompagner 300 jeunes pendant trois ans. Lauréat du PIC 100% Inclusion (programme du Plan d’investissement dans les compétences du gouvernement), il bénéficie de financements de l’État, complétés par des collectivités territoriales et des fonds de dotation territoriaux, des fondations d’entreprises ou des fondations familiales.

Quelques données d’activités après la première session 2020-2021, qui a pu être maintenue et adaptée en période de crise sanitaire :
- 43 % d’hommes et 57 % de femmes ;
- jeunes entre 17 et 26 ans (la moitié a entre 20 et 23 ans) ;
- près d’un sur deux réside dans un territoire dit « fragile » ;
- 33 % sont inscrits comme demandeur d’emploi (majoritairement depuis un an) ;
- 28 % ont été orientés par la Mission locale ;
- 54 % ont un niveau inférieur au bac ; 34 % un niveau bac ; 11 % un niveau supérieur au bac ;
- 50 % sont sortis d’études depuis plus de deux ans ;
- 8 % ont une reconnaissance de travailleur handicapé ;
- 3 % sont des parents isolés ;
- 4 % bénéficient d’une protection internationale ; 
- 38 % des jeunes n’ont pas entendu parler de la transition avant leur entrée ;
- 17 % des jeunes ont une fausse idée sur la transition ; 63 % une vision parcellaire ; 20 % connaissent bien le sujet.

La FabriK à Talents et la FabriK à DécliK sont ouverts à tous les jeunes des territoires où OIM est présente.

OIM est en train de fonder Osons +, pour des parcours transformateurs vers d’autres publics, solvables : des personnes en milieu de carrière, des jeunes retraités, des organisations face aux enjeux de RSE, des collectivités qui veulent accélérer leur démarche de participation citoyenne, etc.