Le 8 mai 2018, le Bâtiment 7 a ouvert son Pôle des pratiques à la Pointe Saint-Charles, ancien quartier industriel et l’un des plus défavorisés de Montréal. Dans cet espace de 1 800 mètres carrés – soit moins d’un quart de ce site ferroviaire laissé à l’abandon – se concrétise une quinzaine d’années de lutte puis de construction d’un projet pour et par les habitants, à commencer par « les personnes marginalisées et appauvries ». Comme le laboratoire d’un autre « vivre ensemble » au cœur du très fort tissu d’économie sociale et solidaire du Québec.
Hubert Hayaud
En devanture du Bâtiment 7, l’épicerie communautaire Le Détour et la brasserie Sans Taverne – référence aux « Cent tavernes » du quartier aux grandes heures de l’industrie. Le B7 appartient depuis 2017 au Collectif 7 à Nous, « organisme à but non lucratif qui réunit des citoyens et citoyennes, des organismes culturels, communautaires, libertaires ou issus de l’économie sociale. » Il y a d’abord eu en 2005 la lutte contre l’installation d’un casino sur ces anciens terrains de la compagnie de chemin de fer Canadien National. Puis le Collectif 7 à nous s’est créé en 2009. Il a su transformer son objet : du refus d’une démolition à la construction d’un projet pour le quartier.
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Via l’atelier de vélo et coopérative de travail Cycle 7, Mathieu Forget est depuis mai 2018 l’un des « utilisateurs responsables » qui font vivre le Pôle des pratiques de cette bâtisse en mutation. Les travaux de la première tranche ont coûté 4 millions $ canadiens (2,7 millions €), financés par un dédommagement de 1 million obtenu auprès de l’ancien propriétaire, un prêt de la caisse d’économie solidaire de la Caisse Desjardins, une subvention de 900 000 $ de Recyc-Québec, « société québécoise de récupération et de recyclage », la prise en charge d’un salaire par la Fondation Béati depuis cinq ans, l’émission d’obligations communautaires, etc. Sans compter les nombreux bénévoles.
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Habitant tous trois à Pointe Saint-Charles, Marie-Claude Rose, Gabriel Sévigny-Ferland et Guillaume Pascal sont parmi les cinq fondateurs de « l’épicerie de quartier à but non lucratif » Le Détour, qui s’acquitte d’un loyer très bas au « pied carré ». Pour le Collectif 7 à Nous, ce projet était urgent à mettre en place : selon une étude de santé publique, il n’y avait aucune disponibilité d’aliments frais dans un rayon d’un kilomètre. Les gens du quartier deviennent membres de cette OSBL (organisation sans but lucratif) en y travaillant trois heures par mois, et bénéficient ainsi des prix les plus bas.
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Pour Guillaume Pascal, les trois heures demandées à chaque membre se justifient autant pour construire une communauté impliquée que « pour bénéficier de produits de qualité à des prix abordables. Notre marge est légèrement inférieure à celle des autres coops du genre : 20 %, et surtout elle s’applique de façon transparente pour tous les aliments. » Le Détour a aussi mis un frigo en libre accès à sa porte : tout produit en passe d’être périmé y est proposé gratuitement. Les riverains sont conviés à agir de même. « Certains y ont même rangé, dans des pots, des spaghettis en sauce », sourit Marie-Claude Rose, qui ce soir du 14 juin tient la caisse de l’épicerie.
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Marco Silvestro, l’un des fondateurs du Collectif 7 à nous, dans l’atelier menuiserie du Pôle des pratiques. Sociologue de formation et militant au sein du Centre social autogéré, il a été de tous les combats depuis 2005. Pragmatique, il revendique « le pari d’un lieu totalement inclusif, à 100% sans but lucratif », en phase avec le DIY (Do It Yourself) de l’esprit punk, mais aussi grâce au tissu très fort de l’économie sociale et solidaire du Québec et spécifiquement de la Pointe Saint-Charles. Bénévole après avoir été salarié, il a été dans tous les sens du mot l’un des ouvriers de la réhabilation, avec la truelle autant que la gouaille du négociateur.
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Vélo (Cycle 7), menuiserie, céramique, sérigraphie, mécanique automobile, impression numérique et développement argentique, à l’occasion coûture et bientôt fablab : quelle activité n’a pas son atelier collaboratif au sein du Pôle des pratiques ? Chaque espace et ses équipements peuvent être loués mensuellement ou au maximum 10 dollars canadiens (6,7 €) de l’heure, avec si besoin des accompagnements et des formations gratuites aux outils pour réparer ou « faire » soi-même. Tout fonctionne selon les principes du partage des responsabilités et de la libre adhésion, soutien durable comme plus ponctuel.
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Le Pôle des pratiques a une salle polyvalente au rez-de-chaussée et un Grand atelier à l’étage. On y retrouve Michael Jensen, simple utilisateur qui construit ici le planeur de son Project Firebolt. Beaucoup profitent comme lui des équipements du Pôle et de son système d’entraide informelle pour lancer une activité, souvent sous la forme de coopératives de travail ou de solidarité. Car même si « la satisfaction des besoins de base », dans « un secteur de Pointe Saint-Charles (presque) privé de tout » est le socle du Bâtiment 7 comme l’explique son site Web, il s’agit aussi d’un « lieu de production et de rassemblement » tous azimuts.
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Créé au sein du Pôle des pratiques à l’initiative de la Maison Saint-Columba, centre communautaire qui offre des repas et un soutien parascolaire aux enfants des familles les plus démunies, Press Start se présente comme une salle de jeux d’arcade ou de société au tarif très bas de 5 dollars la journée. Mais comme l’explique Shane Keith, 17 ans, l’un des quatre fondateurs du lieu, il s’agit d’abord d’un « espace par et pour les jeunes du coin ». Ils s’y retrouvent pour « monter des événements ou débattre, souvent autour de la lutte contre toutes les discriminations », précise Maureen Adegbidi (22 ans), coordinatrice de l’espace jusque la fin de l’été.
Hubert Hayaud
Que ce soit à l’entrée du rez-de-chaussée, dans les ateliers ou la cuisine improvisée de l’étage, sur des petites affiches imprimées, au feutre sur des tableaux ou au stylo sur une armée de post-it, partout sont notés des instructions, des guides pour l’action, des valeurs ou des codes de vie. Mot clef : le respect. Il n’y a rien d’inédit dans ces mots, mais c’est ainsi, par la coagulation de ces règles et des activités multiples du lieu, par l’implication de tous autour d’un projet de solidarité, que s’écrit au fil des jours l’histoire de ce lieu unique au Québec. Prochain chapitre : l’ouverture d’un Pôle santé-famille.
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Dans les coulisses des Sans Taverne, l’un de ses brasseurs : Jacques-André Dubois. « Cette brasserie est l’un des quatre locataires indépendants du Bâtiment 7, au même titre que l’épicerie, l’école d’art et la fonderie artistique La Coulée, explique Marco Silvestro. Ce sont toutes des structures coopératives. Les Sans Taverne a le statut de coopérative de travail. Au pied carré, elle paye son loyer bien plus cher que l’épicerie d’à côté. Cela correspond aux principes de solidarité de tous les acteurs du lieu : celui dont l’activité est plus rentable met plus d’argent au pot commun. »
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Le 14 juin vers 19h, Nina Dubois et Marie-Claude Pastorel font une conférence de présentation du travail de fonderie artistique qu’elles mènent à La Coulée, au premier étage du Bâtiment 7. « Je n’habite pas à Pointe Saint-Charles, dit Marie-Claude Pastorel, mais il est pour moi crucial d’impliquer les habitants. Nous proposons des cours d’initiation, payants sur 6 heures ou 8 semaines, ou gratuits de façon plus informelle, et nous montons des projets, par exemple avec les jeunes de Press Start. » La Coulée est une coopérative de solidarité, statut qui permet de la souplesse dans l’accueil de membres, d’utilisateurs et de partenaires.
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Dans la pièce dédiée à l’école d’art Pointe Saint-Charles, Barry McPherson donne quelques conseils à l’une de ses élèves, issue du quartier comme l’autre peintre en herbe au premier plan. Artiste reconnu et l’un des trois fondateurs de cette école, il vit depuis vingt ans à Pointe Saint-Charles, où les enseignants s’impliquent pour et avec les habitants au-delà même des cours de peinture, de dessin, de photo, de médias mixtes ou de collages ouverts à toutes et tous. D’où le choix de s’installer au Bâtiment 7. Une façon de s’engager ici et maintenant.
Hubert Hayaud
« Cet organigramme aux multiples cercles représente le mécanismes de gouvernance du Bâtiment 7, explique Marco Silvestro. Tenir le pari d’une structure non hiérarchique, autogérée, avec plus de soixante personnes très impliquées, c’est compliqué. Il y a une semaine, un salarié nous a quittés : il ne se retrouvait pas dans notre fonctionnement non pyramidal. Comment gérer les conflits ? Comment ne pas nous retrouver demain, comme la plupart des makerspaces, avec juste un gang d’hommes blancs, très scolarisés ? Comment assurer à la fois la rentabilité des activités et notre ambition solidaire, nos liens avec le quartier ? La débrouille ne suffit pas, et c’est pourquoi nous travaillons aussi avec des universitaires. »
Hubert Hayaud
À l’été 2018, la majeure partie du bâtiment et de ses terrains reste en friche. En 2019, le Pôle santé-famille occupera ainsi une surface un peu plus grande que le Pôle des pratiques. Sont anticipés un Centre de la petite enfance autogéré de 80 places, et de façon encore à préciser une Maison de naissance, un lieu comunautaire de soutien aux familles et un espace de santé de proximité. Se développe aussi, à l’horizon 2020, un Pôle alimentaire, connecté à l’épicerie Le Détour, avec des jardins collectifs, des serres, de la pisciculture, des animaux, de l’éducation populaire, etc.
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Données en plus
La 1ère tranche du Bâtiment 7 a ouvert ses portes avec son Pôle des pratiques le 8 mai 2018, sur 1800 m2. La superficie totale de la bâtisse est de 8300 m2. La 2ème partie doit ouvrir en 2019 (Pôle santé-famille) sur 2300 m2, la 3ème en 2020 (Pôle alimentaire, 1975 m2). La 1ère tranche de travaux a coûté 4 millions $ ca (2,7 millions €). Le reste des travaux est estimé à 8 millions $ ca. Le Bâtiment 7 est financé par des fondations et des organismes privés à but non lucratifs (comme la Fondation Béati), des subventions publiques et les recettes d’exploitation du lieu. Il compte quatre salariés. Il propose déjà à l’été 2018 une salle polyvalente et un grand atelier, sept ateliers spécialisés (bois, mécanique, vélo, céramique, sérigraphie, impression numérique, fonderie d’art), deux initiatives du quartier (l’école d’art et Press Start, coop d’arcade pour les jeunes), et des services alimentaires.
Publication / Mise à jour : 10.09.2018