Roul’Contact : un camion pour lutter contre l’isolement

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Dans les villages de l’Hérault où il s’arrête, le camion Roul’Contact crée des animations pour les familles autant que les personnes seules, et pour toutes les générations, des enfants aux grands anciens.

Ateliers d’argile, réparation de vélos, ou cuisine collective, ce drôle de camion est vecteur de lien social dans les petits villages de l’Hérault. Les équipes proposent aussi une épicerie solidaire pour les habitants, qu’ils soient ou non en situation de précarité.

Sur les routes de l’Hérault, rien ne le distingue d’un autre camion, ou presque. Certes, il est orange et vert, mais les départementales en ont vu d’autres. Non, c’est une fois installé au cœur d’un village, ou près du terrain de sport d’une petite ville qu’il devient vraiment remarquable. « Tout l’arrière du camion est aménagé : il y a des étals où l’on met les produits à la vente, et des banquettes qui créent un espace convivial. Puis on sort l’auvent pour créer l’espace d’animation extérieur, ainsi que le barnum avec des chaises », décrit Raphaël Beau, animateur de Roul’Contact. Le camion fait des haltes de deux à trois heures dans cinq villages de l’Hérault – Nébian, Pouzols, Fontès, Bélarga et Puéchabon – et y revient toutes les deux semaines. Objectif : proposer des modules d'animation ouverts à tous, au plus près des habitants potentiellement isolés des villages du Sud, et permettre aux plus précaires d'acheter des produits à bas prix grâce à l'épicerie solidaire.

Le projet existe depuis 2016, mais l’association qui le porte, Terre-Contact, est née il y a 18 ans. Et en connaît un rayon sur l’animation sociale de quartier itinérante, ancrée dans l’espace public et ouverte à tous les publics. « Roul’ Contact, c’est la maturation de ce qu’on fait depuis le début », résume Claire Bernardo. L’actuelle directrice fait partie du petit groupe fondateur de l’association. « On a commencé en étant tous bénévoles. On allait dehors, sur les places, avec une planche, des tréteaux et de l’argile », rigole-t-elle. Animés par une animatrice et une céramiste, les ateliers argile permettent de « retrouver de l'estime de soi, de rentrer en relation différemment avec son enfant ou parent, de rencontrer d'autres personnes, d'intégrer un cadre collectif, de prendre une place dans la cité... », explique la directrice. Résultat : des expositions et des fresques collectives qui viennent embellir le mur d'une école par exemple, ou bien tout simplement des œuvres personnelles à ramener chez soi. L’association réunit aujourd'hui quatorze salariés – dont deux travaillent spécifiquement pour Roul’Contact – et une trentaine de bénévoles. Et les ateliers d’argile ont toujours autant de succès.

Faire beaucoup de choses, mais surtout les faire ensemble

La spécificité – et l’ambition – de leur nouveau projet est qu’il allie animation de quartier, lieu ressource et épicerie solidaire, directement au plus près des habitants. Car l’Hérault compte nombre de petits villages isolés géographiquement les uns des autres : « Nous sommes dans un département très rural, qui regroupe 77 communes où la plupart des associations, des services et des équipements sont concentrés au centre des bourgs », explique Claire Bernardo. Difficile de résumer ce qu’il se passe une fois sur place : on y boit un café, on y fait de la poterie, de la couture, on participe à des ateliers de cosmétique, ou de « bricorécup », on y répare son vélo grâce aux outils mis à disposition par l’association. On y achète de la nourriture, aussi, ou des boucles d’oreille d’une artisane du coin. Bref, on fait des choses, ensemble.

« L’animation typique, c’est la fabrication de pizzas. On est tous là, autour du four, à les préparer ensemble, puis à manger. C’est une belle activité », sourit Julie Seux, 26 ans, responsable de l’épicerie. Tout est gratuit, il suffit d’adhérer à l’association, chaque année, soit un don de un euro minimum. Et lors des après-midis pizzas, chacun est invité à apporter un peu de garniture. Pour les faire cuire, l’équipe agrandit l’attelage et transporte un four sur une remorque. Pour le reste de la cuisine, il y a le poêle à bois fabriqué par des élèves du lycée agricole de Gignac : une bonbonne de gaz découpée pour accueillir un foyer. « Notre envie est d’amener ce lieu collectif vers l’autonomie. Il m’arrive souvent de me mettre en retrait, et d’être témoin du lieu qu’on a installé et qui fonctionne tout seul. Nous ne sommes pas tout le temps là, donc le but c’est que le reste du temps la vie collective continue sans nous », analyse Raphaël.

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Roul’Contact, c’est aussi une épicerie solidaire, où tous peuvent s’approvisionner, mais avec des prix bien plus bas pour le personnes en situation de précarité

Une variété de produits locaux et des tarifs adaptés

Ainsi, le passage de Roul’Contact, c’est l’occasion de papoter, de faire de la couture ou de la cuisine, et aussi de faire ses courses grâce à l’« épicerie pour tous ». « En milieu rural, les habitants ne peuvent pas forcément se déplacer : il y a peu de lignes de bus, ou bien il faut une voiture, de l’argent pour l’essence... Roul’ Contact répond à la précarité alimentaire et à la mobilité difficile propre à ce territoire », insiste Julie Seux. L’épicerie itinérante « ne propose pas seulement des produits de banque alimentaire mais aussi des produits pour tout le monde : des produits de maraîchers et d’artisans locaux, du sirop de thym, de la farine meunière d’un paysan du coin, des terrines ou des pâtés de fermiers... Ça change à chaque fois ! »

Grâce à un système de double tarification, les habitants les plus précaires peuvent bénéficier du tarif réduit, après avoir obtenu un justificatif auprès d’un travailleur social. À part le montant sur le ticket de caisse, rien ne les différencie alors des autres acheteurs. Une subtilité qui peut s’avérer essentielle dans des petits villages. Pour fonctionner, l’association reçoit des subventions du Conseil départemental de l'Hérault, de la Mutualité Sociale Agricole, de la DRAAF (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt) et de l'ARS (Agence régionale de santé), de la Fondation de France, de la Fondation AG2R la Mondiale, et de la commission Leader du Pays Cœur d'Hérault. Elle a également organisé une cagnotte en ligne pour finaliser l’aménagement du camion. 5500 euros ont ainsi été récoltés.

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Autour de Roul’Contact s’organisent des activités, parfois avec des animateurs dédiés, comme ici tout un parcours de jeu pour les enfants du village.

Au-delà de l’aide alimentaire, un lieu tiers pour créer du lien social

En plus de proposer des produits sains et de mettre en valeur des agriculteurs locaux, cet espace nomade proposant une aide alimentaire « est une porte d’entrée pour reconnecter avec un collectif avec lequel on peut avoir pris de la distance lorsqu’on vit une situation difficile, qui s’envenime. Ce n’est pas seulement un temps d’attente, où on fait la queue pour récupérer un colis. C’est un lieu social », résume Raphaël Beau. Un lieu où l’on s’enquiert des films à l’affiche dans les cinémas du coin, ou des spectacles et concerts dans les bourgs voisins. Un lieu, aussi, où l’on se renseigne sur ses droits. « On ne fait pas d’accompagnement, mais on sait orienter les gens vers une assistante sociale, vers des services appropriés. Dans les campagnes, les gens ne savent pas forcément qu’ils ont des droits, par exemple le droit au logement », rappelle la directrice de l’association.

Toutes ces informations sont précieuses, lorsqu’on connaît la précarité grandissante de ce territoire. Selon une étude de l’Insee parue en 2018, les quatre départements littoraux de l’Occitanie (Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales) sont, avec l’Aisne, les départements de France métropolitaine ayant les taux de chômage les plus élevés. Notamment chez les jeunes : « Comme c’est un territoire rural, une partie des jeunes le quittent pour étudier, restent ceux qui ont peu de diplômes et du mal à trouver du travail, explique Claire Bernardo. C’est cette précarité grandissante couplée à l’isolement du à l’étalement du territoire qui nous a donné envie d’avoir un projet avec un côté solidaire et un côté lien social fort. »