Depuis le 14 janvier 2019, une épicerie gratuite s’est ouverte au Campus universitaire de Rennes 2, dans l’allée principale du Bâtiment EREVE, lieu de toutes les associations estudiantines. Fonctionnant différemment d’une épicerie solidaire, elle distribue chaque lundi des denrées récupérées dans des supermarchés voisins. Cette initiative pionnière est une solution concrète pour aider les étudiantes et étudiants de Rennes en situation de précarité, et permet d’un même élan de lutter contre le gaspillage alimentaire dans la grande distribution. Elle est le fruit d’un constat de l’association d’aide aux personnes en situation de précarité Cœurs résistants, d’une réflexion menée par une enseignante et surtout de la motivation d’élèves désormais liés à l’association.
Sylvie Legoupi
Dés 10h30 le lundi, les étudiants bénévoles de Rennes 2 déchargent 250 kilos de nourriture qu’ils sont allés chercher auprès des fournisseurs locaux et des grands magasins. Incités à agir ainsi par la loi Garot votée en 2016, les supermarchés distribuent à l’épicerie gratuite rennaise leurs invendus dont la date de péremption arrive à échéance mais qui restent consommables. Hélène Bougaud (à gauche), étudiante de master 2 en développement durable et cofondatrice de l’association Cœur résistants, se dit sensible depuis toujours au « gâchis alimentaire de la société de consommation ». Pour mémoire, la grande distribution génère 2,3 millions de tonnes de déchets par an.
Sylvie Legoupi
À l’université de Rennes 2, 42 % des étudiants sont boursiers. Cette initiative répond donc à une réelle nécessité. C’est d’ailleurs ce que démontre le rapport de l’Audiar (Agence d'urbanisme et de développement intercommunal de l'agglomération rennaise) publié en 2017 sur les conditions de vie des étudiants rennais : 44 % d’entre eux affirment que leur alimentation est « moyenne ou mauvaise », et 17% estiment ne pas manger à leur faim. 200 étudiants viennent aujourd’hui s’approvisionner dans cette épicerie gratuite et solidaire.
Sylvie Legoupi
Même en proposant des repas à 3,50 €, le restaurant universitaire est hors de portée pour certains étudiants, qui pour la plupart ne disposent que d'un budget mensuel d’à peine 60 euros pour leur alimentation. C’est le cas d’Alex, 21 ans, étudiant en Infocom, qui confie qu’il se lève tôt pour « faire les poubelles d’une boulangerie rennaise » et que « glaner des produits à la toute fin du marché hebdomadaire des Lices, le samedi, lui permet de s’offrir une distraction de temps à autre pour ne pas sombrer dans l’isolement. » Pour lui comme pour d’autres, la création de l’épicerie gratuite en janvier 2019 a été plus que bienvenue…
Sylvie Legoupi
Fromages frais, morceaux de viande, plats préparés, etc. : sitôt déchargés des véhicules des bénévoles, les denrées doivent être remisées selon leur catégorie dans des frigidaires différents. Quand Hélène et Daphné ont débuté l’association, elles ont dû apprendre ce qu’on appelle le « plan de la maîtrise alimentaire ». « Simples étudiantes, nous ignorions tout des règles obligatoires de conversation des produits, des normes d’hygiène, avouent-elles. Le savoir-faire de l’association Cœurs résistants a été crucial pour le développement de l’épicerie. Désormais, nous sommes prêtes à épauler toute faculté qui souhaite monter une telle structure. » À ce jour, trois facultés sont entrées en contact avec l’association rennaise.
Sylvie Legoupi
Pour pouvoir perdurer, l’association doit compter sur l’implication des bénévoles, mais aussi anticiper leur renouvellement. Pour cela, les fondatrices encouragent le parrainage et le fonctionnement en binôme. À chaque nouvelle personne recrutée, un bénévole l’épaule en effet jusqu’à que celui -ci acquière son autonomie dans le bon fonctionnement de l’épicerie. « C’est important que la personne soit bien accompagnée, lorsqu’elle commence, dans sa volonté de s’investir, qu’elle ne sente pas découragée », souligne Elora, présente depuis le début et soucieuse de concilier études et engagement solidaire.
Sylvie Legoupi
Le Campus de Rennes accueille 2809 étudiants internationaux, qui représentent ainsi 13 % de sa population étudiante. Selon l’observatoire des Formations et de l’insertion professionnelle, la majorité des étudiants étrangers, plus particulièrement les étudiants non européens, ne peuvent obtenir de bourses et peinent à trouver un emploi. Une précarité estudiantine grandissante qui a insufflé à Daphnée, vice-présidente de l’association (sur la photo), l’envie de monter cette association.
Sylvie Legoupi
L’épicerie gratuite ouvre désormais le mardi et le vendredi pour distribuer des repas « non ouverts », provenant de deux cantines scolaires. Cet autre service gratuit bénéficie du partenariat signé en mars 2019 avec la mairie de Rennes, engagée dans le cadre de son « Plan Alimentaire Durable », dont l’un des objectifs est une diminution de 50% du gaspillage alimentaire de la restauration collective. Au mois d’avril 2019, une cinquantaine d’étudiants en bénéficient déjà, sur le même principe que l’épicerie, sans inscription ni justificatif de ressources. Seule condition : venir avec un contenant pour récupérer les repas déjà élaborés. Les bénévoles chargés de la récupération des barquettes utilisent pour la livraison un « vélo cargo » électrique, acheté par la faculté de Rennes et dédié à l’épicerie gratuite.
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À partir de 14 h chaque lundi, les étudiants s’assoient et attendent pendant environ quatre heures le moment de la « distrib’ ». Une obligation si « l’on veut avoir le plus de chance de choisir ses produits », dit Rozenn, étudiante en Arts plastiques, en attente de la régularisation de sa bourse d’étudiante et dont le budget mensuel est fortement impacté par le coût du matériel nécessaire aux études en Arts Plastiques. Frédéric, étudiant en histoire, est quant à lui heureux d’avoir « redécouvert, grâce aux produits frais et aux petits gâteaux, le plaisir de manger plutôt que la nécessité de manger pour vivre ».
Sylvie Legoupi
Une fois à l’intérieur des deux petites salles de l’épicerie gratuite, les étudiants peuvent choisir un produit par type de catégories. Les premiers arrivés ont plus de choix, mais les bénévoles veillent avec le sourire à ce qu’il y en ait pour tout le monde. Le service est ouvert à toutes et tous, sans obligation d’inscription ni demande de justificatif de ressources. Hélène, la présidente de l’association, explique : « Il était important de ne stigmatiser personne, de ne pas créer de frein à l’envie de venir s’y ravitailler. Beaucoup d’étudiants ne font qu’un repas par jour », mais ce n’est pas facile de le reconnaître face à ses camarades plus à l’aise. Dès le départ, les porteurs de l’initiative ont compté sur l’éthique de chacun afin d’éviter les abus, et le terrain semble leur donner raison.
Sylvie Legoupi
Avec 100 euros mensuels chacun pour leur alimentation, Klervia et Jean-Charles se rendent chaque lundi pour s’approvisionner de légumes frais. Bénéficiaire depuis le début de l’épicerie, cet étudiant en Arts du théâtre avoue s’y rendre par nécessité. « Si je pouvais faire autrement, je le ferais… Mais il y a de bons produits, qui me permettant de mieux m’alimenter. Je suis content de pouvoir manger une fondue de poireaux, chose que je n’avais pas mangée depuis une éternité, ou un gratin de butternut comme celui qui nous a presque fait toute la semaine… » En trois mois depuis le 14 janvier, c’est trois tonnes de nourriture qui ont pu échapper aux poubelles et ont été redistribuées aux étudiants : des produits collectés dans des supermarchés rennais, avec l’entreprise Phénix, plateforme spécialisée dans la récupération des invendus.
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À l’initiative de ce projet, il y a le constat d’une association rennaise, Cœurs résistants, qui distribue depuis 2016 des denrées invendues aux personnes en situation de précarité et qui avait remarqué que de plus en plus d’étudiants venaient aux distributions. De là est née l’idée d’un projet similaire à l’université de Rennes 2, mais piloté par une association étudiante, indépendante de Cœurs Résistants. Béatrice Quesnault, Maître de conférences en économie et Chargée de mission développement durable, porteuse du projet ESS CARGO (Espace Social et Solidaire des Containers d’Alter Ressources pour une Générosité Organisée) a présenté ce projet en cours, et il a vite motivé des étudiants. Le président de Rennes 2, Olivier David, a dès lors encouragé cette initiative en mettant à disposition un lieu et allouant une subvention pour les achats de frigidaires et du vélo cargo.
Sylvie Legoupi
Lors de la prochaine année étudiante, à partir de septembre 2019, les bénévoles de l’association souhaiteraient faire appel à des artistes étudiants pour animer les longues heures d’attente des bénéficiaires. « L’idée serait de ne pas se contenter du don de nourriture, mais d’animer la vie de l’épicerie, ajoute Elora. Il y a deux semaines, un groupe de musique est venu faire un concert dans le couloir et la file des étudiants pourrait être un bon tremplin pour les jeunes talents ! » L’épicerie gratuite vient d’ailleurs d’obtenir le premier prix de l’Agitateur 2019, organisé par la Fondation SMERRA ( fondation créée par la Société mutualiste étudiante des Régions Rhône-Alpes et Auvergne), face à 56 projets et avec une dotation de 5000 euros qu’elle a remportée. Comme quoi le projet intéresse bien au-delà du campus de l’université Rennes 2 !
En savoir plus
Données en plus
En trois mois, l'épicerie gratuite a réalisé 22 distributions, 3312 repas ont été distribués à 1248 étudiantes et étudiants, 5 tonnes de nourriture ont été revalorisées.
35 personnes sont inscrites comme bénévoles. Plus de 1000 heures de bénévolat ont été données à L'épicerie gratuite.
Au mois d’avril 2019, après trois mois, 34 personnes avaient déjà contacté l’association pour monter des épiceries gratuites dans leur école ou faculté.
L’initiative a deux partenaires financiers principaux : le FSDIE (Fonds de solidarité et de développement aux initiatives étudiantes) de l'Université Rennes 2 et la fondation SMERRA, qui a permis au projet de recevoir en 2019 un chèque de 5000 €. Le budget global du projet, qui bénéficie aussi des partenariats avec la plateforme Phénix ainsi que dix écoles primaires (pour les repas de leur cantine) est de 10 000 € pour la première année.
Publication / Mise à jour : 14.05.2019