La Terre en Partage : de réfugiés à néo-ruraux

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La ferme de la Terre en Partage à Saint-Just-le-Martel, Haute Vienne, qui accueillera, courant 2018, une dizaine de réfugiés.

Un jeune couple parisien développe actuellement, en milieu rural, une formule d'hébergement destinée aux réfugiés, mêlant activités professionnelles et culturelles, qui pourrait à la fois améliorer les conditions de vie et l'intégration de ces « nouveaux Français ».  

Selon une enquête d'Amnesty International réalisée en mai 2016, plus des deux tiers des demandeurs d'asile vivent dans des conditions matérielles non stabilisées. Cela s'explique par le fait qu'ils ne peuvent pas travailler, donc gagner de l'argent, durant toute la période de la procédure, soit deux ans en moyenne. « Durant cette période, la plupart d'entre eux ont des difficultés à se loger et à accéder à des conditions de vie dignes. Ils s'ennuient, perdent des compétences au lieu d'en acquérir, et ne peuvent pas commencer à construire une nouvelle vie », s'exaspère Clémence Skierkowski, cofondatrice de l’association la Terre en Partage.

Rien que pour l'année 2015, ils étaient 80 075 dans cette situation difficile, selon les chiffres donnés par l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce constat a été le point de départ du projet ambitieux de la Terre en Partage. Un lieu où les réfugiés pourraient s'intégrer à la société française, se loger dignement, travailler, tout en apprenant le français. Cet endroit multifonctions, appelé « la Terre en Partage », est sur le point de voir le jour !

La rencontre, déterminante, avec un jeune Afghan de 21 ans

Clémence et son mari Boris ont commencé à se préoccuper du sort des jeunes demandeurs d'asile en octobre 2015, en prêtant main forte lors d'opérations de distribution de nourriture et de produits de première nécessité, principalement dans les campements de fortune situés autour de la station de métro Stalingrad, au nord de Paris.

En décembre 2015, ils ouvrent la porte de leur foyer à un jeune Afghan de 21 ans, Sardarwali. Ce fut sans doute LA rencontre au commencement de tout. Celle qui va faire germer l’idée de Terre en Partage dans la tête du jeune couple. « Il n'a pas eu la chance d'aller à l'école. Il vient d'une région reculée d'Afghanistan où il aidait son père dans les champs. Depuis son arrivée en France, il doit se battre chaque jour pour trouver un abri. De plus, il n'a pas eu accès à des cours de français », se souvient Clémence. Les deux trentenaires décident d'en parler autour d'eux, à la fois à de jeunes réfugiés et à d'autres bénévoles comme eux, histoire de confronter leurs visions et de connaître, par la même occasion, les attentes de chacun.

Suite à ces différents échanges, le projet se précise peu à peu. En juillet 2016, ils montent un dossier de présentation et participent à la « European Social Innovation Competition », concours organisé par la Commission européenne pour promouvoir l'innovation sociale à l'échelle européenne, dont le thème de 2016 était l'intégration des migrants sur le continent. Malheureusement, ils ne finissent que demi-finalistes et n'obtiennent pas le prix tant espéré de 50 000 euros. En revanche, Clémence et Boris bénéficient depuis d'un réseau d'experts et de contacts précieux, susceptibles d'accélérer leurs démarches. Dans la foulée, ils participent au Prix Fondation Cognacq-Jay en décembre 2016. Là, ils décrochent, dans la catégorie Vision, une dotation de 5 000 euros et un accompagnement de six mois auprès d’Antropia ESSEC, partenaire du prix.

Un pont entre réfugiés et population locale

Concrètement, de quoi s'agit-il ? Le projet la Terre en Partage est une maison partagée : une vingtaine de réfugiés y seront hébergés pendant deux ans et y bénéficieront d'un lieu d’habitation stable tout au long de leur demande d'asile. Durant leur séjour, ils recevront des cours de français sur le modèle de ce qui se fait à l'école Thot, mélangeant cours théoriques et pratiques au contact de personnes dont le français est la langue maternelle. Parallèlement à cet apprentissage, des formations professionnelles seront également proposées aux réfugiés.

Côté lien social et intégration, des activités culturelles et sportives seront organisées, destinées à favoriser la rencontre entre les réfugiés et les habitants alentours. « N'oublions pas que le sport favori des Afghans est le cricket. Nous pourrions créer une équipe et enseigner ce sport aux habitants », s'amuse Clémence. D'ailleurs, pour se donner toutes les chances de réussir, Clémence et Boris tenteront d'impliquer, à un stade très précoce, le maire et les habitants de la commune d'accueil en leur demandant de donner des idées d'activités auxquelles ils souhaiteraient participer. « L'objectif est d'apporter une vraie valeur ajoutée au village par notre présence », explique Clémence.

La Terre en partage : un projet « autofinancé »

Dès lors, comment financer un tel projet ? Le couple souhaite mettre sur pied une véritable production maraichère de fruits et légumes biologiques. Selon leurs prévisions, en se basant sur l'hypothèse d'un travail de 15 heures hebdomadaires par résident, Clémence et Boris pensent réaliser 35 000 euros de chiffres d'affaires dès la première année. Ce qui permettrait à la fois de financer le fonctionnement de la ferme (la partie sociale du projet), de créer de l'activité dans le village et de servir de chantier d'insertion pour les réfugiés sur le modèle, cette fois-ci, de ce qui se passe aux Jardins de Cocagne. Autres sources de financement possibles : les subventions publiques. À titre indicatif, l'État subventionne, à hauteur de 15,65 euros par jour et par personne accueillie, les structures d'hébergement d'urgence de type AT-SA (Accueil temporaire, service de l'asile). Des demandes sont actuellement en cours.

Au final, la Terre en Partage tentera donc de résoudre trois problématiques essentielles : répondre au manque de solutions d'hébergement pour les demandeurs d'asile ; pallier l'absence d'interactions entre les demandeurs d'asile et la population française ; et permettre aux réfugiés d'envisager sereinement un avenir professionnel dans notre pays. « Ce projet est une expérimentation. Si tout se passe comme prévu, on pourrait même imaginer un essaimage sur tout le territoire, soit par nous, soit par d'autres. » Pour les aider dans leur démarche, une équipe devrait être constituée, d'un professionnel du maraîchage, à plein temps, pour encadrer l'activité de production ; d'une assistance sociale, à temps partiel ; et d'un ou deux jeunes en service civique.

« Symboliser leur enracinement sur le sol français »

À ce jour, Clémence et Boris ont obtenu une ferme dans le village de Saint-Just-Le-Martel à 11 kilomètres de Limoges, mise à leur disposition par la fondation des Apprentis d'Auteuil qui en reste le propriétaire. Les travaux y ont déjà commencé (pour la partie hébergement et dans le jardin pour la mise en route de leur activité de maraîchage). Les premiers résidents sont attendus d’ici début 2018. Par ailleurs, une demande de statut OACAS, Organisme d'accueil communautaire et d'activités solidaires, est en cours. Elle permettra aux demandeurs d'asile de participer à des activités encadrées, à commencer par le maraîchage, et d'avoir accès à des cours de FLE (français langue étrangère), à des ateliers de préparation à la recherche d'emploi (rédaction d'un CV, démarches en ligne, actualisation au Pôle Emploi...), et enfin de pouvoir percevoir une indemnité. En attendant, le couple compte sur l'implication au projet d'associations telles que Singa, les Apprentis d'Auteuil et le Service jésuite des réfugiés (JRS).

En plus de l'accueil de réfugiés en milieu rural, cette initiative pourrait être également un moyen supplémentaire de revitaliser les villages, comme ce fût déjà le cas dans le Gard (cf. article Reporterre). Gagnant-gagnant ! C’est l’espoir de Clémence, qui conclut : « Le choix de l'agriculture comme moyen d'intégration et développement personnel n’a pas été fait par hasard. Il favorise les compétences des demandeurs d'asile, car nous nous adressons particulièrement aux réfugiés originaires de zones rurales et faiblement, voire pas scolarisés. De plus, il symbolise leur “enracinement” sur le sol français, tout en créant des relations positives avec la communauté locale. Les réfugiés seront vus, je l'espère, comme des producteurs plutôt que comme des bénéficiaires. »