Banlieues Santé, sur le terrain pour créer du lien

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Séance de gymnastique, le jeudi 8 avril 2021 au Parc des impressionnistes, au sein d’un quartier populaire de Clichy-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine. Avec au premier plan, guidant les femmes dans leurs gestes, la professeure Natalia. ©© Sandra Mignot

L’association Banlieues Santé a été fondée pour rapprocher du système de soin les populations qui en sont éloignées. À sa tête, Abdelaali El Badaoui est un infirmier qui a remisé sa carte professionnelle au fond d’un tiroir afin de se consacrer entièrement au développement de nombreux projets. Parmi ceux-ci, outre la distribution de produits d’urgence lors de la crise sanitaire, des consultations gratuites d’ophtalmologie en Seine-et-Marne, des « entretiens inclusifs de prévention santé » à Saint-Denis et à Marseille, ou un « Café des femmes » à Clichy-la-Garenne en banlieue parisienne, tout juste lancé en avril dernier.

 

« J’inspire, je plie et je tends. Pour que ça tire les adducteurs, il ne faut être pas trop loin de la barre. » Dans le Parc des impressionnistes, à Clichy-la-Garenne, quatre femmes sont réunies autour de Natalia, professeure de gymnastique volontaire pour une heure d’exercice physique en plein air. L’association Banlieues Santé, au travers de son initiative Café des femmes, les rassemble via trois créneaux hebdomadaires pour un temps de remise en forme. « Cela nous permet de nous rencontrer, d’échanger. On est en groupe, on peut apprendre les unes des autres, sortir avec les enfants ou sans, et aussi sortir sans les hommes, explique Samira en riant. Et j’espère aussi que l’équipe pourra m’aider dans mes recherches d’emploi. » La jeune femme, en effet, est en cours de formation au « cake-design », art culinaire consistant à créer des gâteaux « décoratifs » à l’occasion d’événements.

Pour l’heure, l’équipe du Café a passé plusieurs semaines à consulter les femmes de Clichy-la-Garenne. Toutes ont été réunies par Kalthoum Ben Najeh, travailleuse sociale de longue date dans cette ville en périphérie de Paris, afin de recenser leurs besoins et envies : formation professionnelle, nutrition, sport, solutions de garde d’enfants… Les sujets sont nombreux, les attentes tout autant. Les activités de ce tiers-lieu viennent tout juste d’être lancées en ce mois d’avril 2021, avant même que les locaux ne soient aménagés. Le Café des femmes se veut d’abord dédié à l’élaboration de leurs projets personnels et professionnels, « même si nous tenons à préserver une mixité des usages avec un espace de restauration, un autre pour le co-working, ainsi qu’une salle de sports ouverte à tous », esquisse Camille Perlès, responsable des programmes femmes chez Banlieues Santé.

 

Créer des passerelles vers le droit commun

« Parmi nos bénévoles, nous avons 70 % de femmes qui sont elles-mêmes dans une situation de précarité ou vivent des difficultés diverses, résume Abdelaali El Badaoui, président fondateur de Banlieues Santé. Pourtant, ce sont les premières à s’occuper des autres, de leur famille, de leurs voisins, et elles s’oublient elles-mêmes. Nous voulons que les femmes des quartiers aient accès à tous les dispositifs qui leur permettront de se former, d’avoir une action sur l’estime de soi, de régler leurs problèmes spécifiques et de gagner une autonomie pour qu’elles puissent elles-mêmes se sortir de leurs difficultés. » Faire le lien, créer des passerelles vers le droit commun, c’est l’ADN de Banlieues Santé.

L’association a été créée en 2018 pour rapprocher du soin les personnes les plus éloignées du système sanitaire. « Il faut aller chercher ces publics, les accompagner, les former, les outiller pour qu’ils se sentent mieux », résume Abdelaali qui est infirmier de métier.

Ce soignant, lui-même originaire d’un quartier populaire de Seine-et-Marne, a en effet conscience depuis toujours des inégalités qui sévissent dans son environnement : les difficultés linguistiques, culturelles ou sociales empêchent nombre de Franciliens d’accéder aux soins, mais aussi à la prévention. Il en a fait la douloureuse expérience enfant : grièvement brûlé, il a été pris en charge à l’hôpital, dans un univers totalement méconnu de ses parents illettrés. « J’ai vu dans leurs yeux l’incompréhension et le désarroi que ça générait. » Un constat qui se confirme lorsqu’il devient agent de service hospitalier puis auxiliaire de vie, avant d’intégrer un cursus infirmier : « Il fallait parfois que je traduise pour des patients qui ne comprenaient pas le médecin, et très vite j’ai mobilisé mes collègues professionnels de santé pour qu’ils viennent faire de la prévention sur le terrain. »

 

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Abdelaali El Badaoui, président fondateur de Banlieues Santé, le 14 novembre 2020 dans un gymnase de Livry-Gargan, où sont préparés des colis de nourriture et des kits d’hygiène pour des populations en grande précarité de la région Ile-de-France. ©© Sandra Mignot

 

Premières consultations en ophtalmologie et entretiens de prévention santé

Parmi les premières initiatives lancées par Banlieues Santé : accompagner en ophtalmologie des personnes présentant des troubles de la vue, identifiées grâce à son tissu d’associations partenaires. « Il s’agit d’emmener en consultation au centre de santé Edmond de Rothschild, à Paris, les populations les plus fragiles ou les moins enclines à s’offrir des lunettes pour de multiples raisons – le manque de droits ouverts, le fait de ne pas avoir de mutuelle, le fait d'attendre des mois un rendez-vous. » Des transferts en bus, par petits groupes préparés et accompagnés par les professionnels de santé bénévoles de l’association, ont permis cette opération grâce au soutien du mécénat d’entreprise. Quelque 2000 personnes, allant de familles monoparentales à des anciens vivant seuls en logement social, ont pu bénéficier d’une consultation, et à presque 90 % d’entre elles de repartir du centre avec des lunettes, gratuitement, les autres nécessitant des soins à programmer.

Autre initiative : les « entretiens inclusifs et de prévention santé (EIPS) », mis en place dans des foyers de travailleurs retraités. Une centaine ont été réalisés à Saint-Denis et une quarantaine à Marseille en 2019. Les entretiens font partie d’un parcours organisé grâce à une permanence santé dans les foyers, tenue par un professionnel infirmier qui peut proposer une pesée, une prise de tension, puis progressivement aborder l’accès aux soins, les besoins de la personne, etc. « Nous avons développé une grille composée de vingt items, et surtout créé un temps durant lequel les gens peuvent venir aborder toutes les questions qu’ils se posent sur la santé, précise Yassine Ennomany, coordinateur national de Banlieues Santé, installé à Marseille. On apprend énormément de choses sur la façon dont les termes qu’on utilise en tant que soignant peuvent être reçus. Par exemple un monsieur nous a expliqué que “la prévention ce n’est pas bien, car prévenir, ça veut dire provoquer l’arrivée du destin. » Le dispositif EIPS est actuellement intégré dans une recherche pilotée par un laboratoire en anthropologie de la santé (ADES-CNRS) à Marseille.

 

Une politique au plus près du terrain pour identifier les besoins

« L’idée est toujours de raccorder les patients à un parcours de soin, résume Abdelaali El Badaoui. Mais on ne peut pas juste leur dire “Vous devez voir un médecin”, il faut d’abord se rencontrer, parler de santé en général, comprendre aussi comment vivent les gens. » Et les bénévoles de Banlieues Santé le savent puisqu’ils vivent dans les mêmes territoires, partagent les mêmes codes et fondent toutes leurs interventions sur les intervenants locaux, qu’il s’agisse d’associations diverses, de CCAS, de professionnels de santé se déplaçant à domicile… « Prochainement on envisage même d’inclure certains petits commerçants dans nos actions, observe le président de l’association. Eux aussi peuvent connaître des clients très éloignés du système de soins. Ils pourraient leur distribuer des colis alimentaires, des kits d’hygiène. »

Car depuis le premier confinement, Banlieues Santé s’est également lancé dans la distribution de nourriture et de produits d’hygiène : gel douche, shampooing, masques, gel hydro-alcoolique. En mars et avril 2020, chaque jour, des bénévoles ont confectionné des colis alimentés par des dons divers et variés dans un gymnase de Livry-Gargan. Des associations de quartier de toute l’Ile-de-France venaient les chercher pour les redistribuer aux personnes dans le besoin qu’elles avaient repérées. « Le kit d’hygiène, c’est important pour prendre contact, nouer un lien, observe Abdelaali El Badaoui. Quand on a commencé à le distribuer, on a rencontré des gens qui, rien qu’à sentir l’odeur du shampooing, retrouvaient le sourire. » Les livraisons de colis se sont poursuivies toute l’année. Environ 750 000 repas ont été distribués en 2020. Plus de 200 associations ont été fédérées. « Et nous espérons en rassembler le double sur 2021 », annonce le président de Banlieues Santé.

 

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En novembre 2020 dans un gymnase de Livry-Gargan, deux bénévoles de l’association Banlieues Santé préparent des kits d’hygiène : shampooing, gel douche, solution hydro-alcoolique… ©© Sandra Mignot

 

Prendre soin, dans tous les sens du terme

Après avoir récolté plus de 115 000 euros durant le premier confinement via un financement en ligne (sans compter bien sûr les dons en denrées), l’association s’appuie désormais sur un fond de dotation, baptisé La France du cœur. Il lui permet de recevoir des financements d’entreprises, de particuliers, de l’État et de fondations (L’Oréal, Vinci, Positive Planet, Abbé Pierre, entre autres), et de salarier ainsi une dizaine de personnes. De quoi renforcer cette présence essentielle sur le terrain, qui permet de découvrir d’autres besoins.

Ainsi Banlieues Santé a mis en place une action originale, qui consiste à offrir des aliments pour animaux domestiques, via les infirmiers libéraux qui exercent autour de Melun. « Nous avons rencontré tellement de gens qui, dans la précarité, se privent d’un repas pour pouvoir nourrir leur chien ou leur chat, remarque Abdelaali. Leur animal est essentiel en termes de bien-être. » Banlieues Santé a même décidé de mettre en contact certaines personnes isolées avec des refuges afin de les soutenir dans l’adoption d’un compagnon à quatre pattes.

Car la santé, cela ne relève pas uniquement de l’accès au soin. « Nous avons une vision assez holistique et inclusive de la santé, explique Abdelaali. Pour nous c'est un état de bien-être complet, physique, mental et social, donc cela peut aussi passer par des actions culturelles, sportives, la formation, l’emploi, tout ce qui permet qu’une personne en situation précaire ou de fragilité aille mieux. » Et dans ces domaines, l’association ne manque pas de projets. Elle ouvrira prochainement dans un centre d’hébergement pour femmes une cuisine organisée autour d’une cheffe formée chez Lenôtre, s’engage auprès de grandes écoles de commerce pour sensibiliser les entrepreneurs de demain, démarre un partenariat avec le club de foot du Red Star de Saint-Ouen, notamment pour des activités sportives, etc.

Et l’association compte bien étendre ses actions à travers tout le territoire français (voire au Maroc, où elle possède déjà une antenne) : « Nous avons commencé à travailler à Alès, précise Abdelaali. Nous recevons des demandes du côté de Roubaix, de Toulouse, en Bretagne et même en ruralité, car les campagnes connaissent également de vrais problèmes d’accès à la santé. » Avec trois mots d’ordre : « Mettre sur pied des actions simples, reproductibles facilement et avec un impact rapide », conclut Yassine Ennomany.

En savoir plus

Données en plus

10 salariés.
80 bénévoles permanents, et jusqu’à 1250 bénévoles lors du premier confinement.
25 000 kits hygiène distribués en 2020.
40 000 colis alimentaires livrés en 2020.