À l’écoute des soucis des passants

Les Écouteurs de rue_1.jpg

Septembre 2020 dans le quartier de la Goutte d’Or, au nord-est de Paris : des « écouteurs de rue », pour la plupart psycho-praticiens de formation, proposent aux passants de discuter… ©© Sandra Mignot

À Paris, dans le quartier de la Goutte d’Or, des thérapeutes prêtent l’oreille à ceux qui ont envie de se confier. Simplement, dans la rue et bénévolement, dans l’unique but d’apporter un instant de mieux-être.

« Bonjour, vous ne voulez pas me parler ? », une dame au brassard orange interpelle un passant pressé qui décline l’offre. Derrière elle, quelques chaises disposées par paires, en vis-à-vis. « Bonjour, nous sommes les Écouteurs de rue », se présente une autre, à quelques mètres de là. Un homme interloqué s’arrête et prend connaissance de ce qui lui est proposé : un petit moment de conversation, tout simple, avec un spécialiste de l’écoute, face à face, assis au beau milieu du brouhaha automobile de la Goutte d’Or, quartier populaire du Nord parisien.

L’idée a fleuri il y a deux ans dans l’esprit de Séverine Bourguignon, à la fois artiste et thérapeute, alors qu’elle réalisait un projet créatif et participatif. Installée dans une friche devenue un point d’animation du quartier qu’elle habite, elle construisait des costumes et des cabanes avec du matériel de récupération et l’aide des habitants. « Les gens venaient spontanément me parler, parce que j’étais là, se souvient-elle. Et je me suis dit quun psychologue de rue, cela pourrait être utile. » Peu de temps après, une amie lui envoie une vidéo parue en ligne à propos des « sidewalk talks » aux États-Unis. Des thérapeutes ont en effet lancé depuis 2015, à San Francisco, l’idée de transformer des trottoirs en espaces de rencontre et de partage afin de lutter contre la solitude, la violence et les discriminations. « Cela ressemblait beaucoup à ce que je voulais faire », explique Séverine.

Des consultations mensuelles ouvertes à tous

Au printemps 2019, elle sollicite quelques confrères et consœurs thérapeutes. Et met au point un dispositif très simple : une signalétique (financée grâce au fond de participation des habitants abondé par la ville de Paris dans les quartiers populaires), des sièges et des écoutants, dans l’espace public. « Au début nous nous sommes installés sur les lieux d’évènements, la fête de la Goutte dOr par exemple, poursuit Séverine. Mais cela ne nous permettait pas davoir notre véritable espace. Les gens venaient pour samuser, pour une activité ou un concert, pas pour nous parler. »

Elle décide donc d’installer l’action dans la rue, un samedi par mois, jour de marché. Chaises et banderole sont disposées devant la friche où elle avait réalisé son projet artistique. À chaque rendez-vous, ils sont cinq professionnels à haranguer bénévolement les passants de cette rue hyper active qui permet d’accéder au cœur du quartier africain-maghrébin de Paris. Ils proposent leur oreille à ceux qui viennent y faire des courses, comme à ceux qui y vivent ou y travaillent. Ils touchent ainsi des personnes issues de cultures où rencontrer un psy, cela ne se fait pas trop, et des populations qui n’en ont, de toute façon, souvent pas les moyens.

« En un an nous avons accueilli environ 150 personnes, explique Marie Sylvie Rushton, psychothérapeute et psychologue clinicienne. Les gens nous parlent de tout, de leur quotidien, de leurs souffrances, de leurs doutes. Je ne sais pas quelle suite ils donnent à cela. Mais au moins ils ont pu parler. » Un viol, une migration traumatique, des tortures, des deuils personnels ou familiaux, des errances sont livrées… Séverine se souvient par exemple de cette jeune femme accompagnée de sa mère et de ses sœurs, qui disait avoir envie de parler, mais n’en avait pas le temps car elle partait rencontrer son futur mari. « Mais jai eu aussi aujourdhui deux hommes qui mont dit : “Ça va super bien”, se réjouit Christophe Béguin. Et cest bien de faire de la place pour ces moments-là. Ça peut paraître peu, mais ça valorise ce que les gens sont. »

Les Écouteurs de rue_2.jpg

En ce jour de fin d’été 2020 à la Goutte d’Or, alors que chacun espère qu’il n’y aura pas de « deuxième vague » épidémique, les « écouteurs de rue » ont plus que jamais les « oreilles bienveillantes et attentives », comme le clame l’un de leurs panneaux. ©© Sandra Mignot

Plus que des solutions, proposer de premières orientations

Christophe, « gestalt praticien », est le seul homme parmi toutes les écoutantes volontaires. « Dailleurs, je craignais que dans ce quartier où lespace public est avant tout le domaine des hommes, ceux-ci hésitent à venir se raconter, note Marie Sylvie Rushton. Or ils sont plus nombreux que les femmes. Cest le contraire de ce qui se passe dans nos cabinets. » Il ne s’agit évidemment pas de faire ici de la thérapie, le but est simplement d’écouter, sans juger, et de créer un lien, une passerelle même éphémère. « Nous ne sommes pas là non plus pour trouver des solutions », tient à préciser Séverine. Afin de pouvoir répondre et orienter les personnes rencontrant des difficultés sociales ou administratives, les Écouteurs de rue ont quand même constitué un petit vade-mecum avec tous les contacts sociaux et associatifs du quartier. Car, par la force des choses, on vient beaucoup leur demander de l’aide.

Et en juillet 2020, l’action s’est constituée en association. « Pas forcément pour démultiplier notre activité, remarque Séverine. Nous ne voulons pas être happés par linstitutionnel ou devenir une machine à faire des dossiers de financement. Mais nous aurons peut-être besoin dune petite subvention pour un site web, refaire notre matériel de communication ou louer une salle pour la supervision. Des choses simples. »

Lors du premier confinement, les « Écouteurs de rue » ont cessé toute activité. Ils ont repris à partir de la fin du printemps 2020, à raison d’une ou deux sessions par mois, mais aimeraient désormais en faire beaucoup plus. Depuis cet hiver, des écoutes sont également organisées sur le lieu d’une distribution d’aide alimentaire pour étudiants dans le 18e arrondissement de Paris. À l’heure où est évoquée une vague de troubles psychiques suite aux différents confinements, l’association recherche surtout d’autres bénévoles, psycho-praticiens, psychologues et psychothérapeutes. « Nous-mêmes à lissue dune séance nous nous sentons fatigués, mais heureux, alors nhésitez pas », assure Séverine Bourguignon.