Villa Grenadine, un lieu de répit pour les enfants et les parents

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La villa Grenadine-maison des répits accueille à Paris des enfants vivant avec un handicap ou un polyhandicap, durant un week-end ou une semaine lors des vacances scolaires. Cet accueil de jour ou en hébergement permet aux parents et proches aidants de retrouver du temps pour s’occuper du reste de la fratrie ou tout simplement d’eux-mêmes.

« Les services d’accueil d’enfants présentant un ou plusieurs handicaps comme ceux qui séjournent ici n’ouvrent que 210 jours par an. Il suffit de faire le compte : pour les parents ou les aidants en général, il y a donc 155 jours sans aucune prise en charge. » C’est sur la foi de ce constat, rappelé par Karine Hillibert, coordinatrice du service des répits et de l’aide aux aidants à la fondation Saint Jean de Dieu, que s’est ouverte en janvier 2018 la Villa Grenadine-Maison des répits dans les locaux de l’Institut d’Éducation Motrice (IEM) de la Fondation Saint Jean de Dieu. Fonctionnant quand celui-ci est fermé, ce lieu accueille des enfants tous les week-ends et durant les vacances scolaires. « Les autorités de tutelle ne comprenaient pas la démarche, prétextant qu’elles n’identifiaient pas le besoin. Comment pouvaient-elles savoir puisqu’aucune structure ne proposait ce genre d’accueil », se souvient Christian père d’Augustin, 11 ans.

 

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« Pendant quinze ans on a vécu avec notre fils sans se poser la question du répit, les rares week-ends où l’on pouvait souffler, c’était grâce aux grands-parents qui le prenaient parfois quand il était petit. Dès qu’il a grandi, le handicap est devenu trop lourd pour eux », expliquent Christelle et Jean Marc, les parents de Vincent.

« Le répit est une nécessité en plus d’être un droit », poursuit Karine Hillibert, « Certaines pathologies requièrent une attention de tous les instants. Il est indispensable que les parents puissent avoir du répit pour s’occuper du reste de la fratrie s’il y en a, d’eux-mêmes et de leur couple. »

« Le premier week-end end où on a laissé Vincent, on était complètement perdus », dit Christelle, la maman de Vincent. Même sentiment pour Nicole, la maman d’Alexie. Avec le recul Christelle se dépeint avec humour : « J’étais persuadée qu’on allait m’appeler : je restais scotchée près du téléphone. Mais non, rien… désespérément rien ! J’étais désemparée… On n’a rien fait qu’attendre ! » Et puis le deuxième week-end, ils ont commencé à mesurer à quel point ces instants de répit répondaient à un besoin, comme l’analyse a posteriori son mari : « Pour s’occuper des deux sœurs de Vincent, se faire un restaurant, ou un ciné. Dernièrement on a pu aller à un week-end d’anniversaire d’un ami d’enfance, ça n’avait jamais été possible en 18 ans. »

 

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Le répit peut s’entendre dans les deux sens. « Il est également nécessaire pour l’enfant, car c’est une occasion pour lui de sortir de la relation très fusionnelle avec le parent ou l’aidant », reprend Karine Hillibert.

« Pour moi, ç’a été une grande surprise, confirme Nicole, la maman d’Alexie. Au retour du premier week-end end j’ai vu qu’Alexia était heureuse. Elle voulait y retourner. Je me suis rendue compte qu’elle n’était plus une petite fille, qu’elle avait grandi. Désormais nous avons, toutes les deux, besoin de ces week-ends : cette coupure désamorce les tensions dans nos rapports qui sont parfois complexes parce qu’ils mélangent les soins et les relations mère-fille. »

« Le vendredi, quand Vincent prépare sa valise, c’est tout un rituel, on sent son impatience. Je crois qu’il est plus heureux ici qu’à la maison, c’est normal : il a 18 ans, il veut retrouver ses copains, et puis il regarde les jeunes filles… », confie Christelle.

Les séjours ici sont aussi une solution préventive, une soupape pour faire retomber la pression comme en témoigne la maman de trois enfants, dont Aya atteinte du syndrome d’Angelman : « Aya s’ennuyait à la maison, elle devenait nerveuse. Je peux m’occuper d’elle, mais je ne sais pas la distraire, je n’ai pas le temps de jouer avec elle. Et puis je sentais de la jalousie depuis la naissance de son dernier petit frère qui lui aussi demande de l’attention. Cette maison des répits est arrivée au bon moment, Aya est heureuse d’y aller. »

 

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Créé à l’initiative de Clarisse Ménager, le centre a une capacité d’accueil de 20 enfants au maximum en même temps. Les demandes sont nombreuses et toutes ne peuvent être satisfaites : il faut donc faire une estimation des besoins et garder la priorité aux familles dont l’enfant n’a aucune solution de prise en charge durant la semaine. Ils sont une quarantaine dans ce cas sur les 200 enfants venus de toute l’île de France suivis ici.

« Quand il n’y a aucune prise en charge, les situations sont souvent compliquées, les aidants sont épuisés, parfois au bord de la rupture, constate Karine Hillibert. Et quand la précarité s’ajoute au handicap et à une culpabilité de ne pouvoir répondre parfaitement aux demandes de l’enfant, les choses peuvent mal tourner. »

« Avant toute prise en charge, nous organisons un entretien suivi de visites à domicile, afin d’évaluer l’urgence de la situation, le degré de handicap, mais aussi pour connaître l’enfant dans son environnement familial et présenter les possibilités de l’institution, poursuit Marie Segala, responsable de la maison des répits. Ensuite, on commence par un accueil de jour, petit à petit on glisse vers une prise en charge jour et nuit pour un week-end, puis des vacances. C’est un parcours qui demande du temps et beaucoup d’efforts pour les parents qui doivent là encore vaincre des réticences : ne pas se sentir dépossédés de leur compétence par des professionnels dans ce passage de relais, mais surtout ne pas éprouver de culpabilité avec la notion de répit qui peut être vécue comme un abandon. »

 

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Le centre emploie une vingtaine de personnes, éducateurs, aides médico-psychologiques (AMP), accompagnants éducatifs et sociaux (AES) ainsi qu’une infirmière, divisées en deux équipes. Chacune travaille entre deux et trois jours de suite avant d’être relayée par l’autre. « Cela permet un équilibre entre le besoin de repos du personnel et la nécessité d’une fidélité des rapports entre les éducateurs et les enfants », précise Marie Ségala.

 

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À leur arrivée vendredi soir, les enfants peuvent déposer leurs affaires dans les chambres qui leur ont été attribuées à l’avance. La journée est rythmée entre ateliers, sorties dans la grande cour et repas. Outre les chambres, seules ou doubles, il y a une salle vidéo, une médiathèque, une salle de jeux, une salle de repos collective où les enfants qui ne supportent pas de dormir dans une chambre peuvent venir dormir la nuit, ainsi qu’une salle à manger où les repas se prennent en commun.

 

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La Villa Grenadine est en partie financée par la fondation Saint Jean de Dieu (locaux et administration) et par les forfaits journaliers payés par la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie). Pour les familles, quelle que soit leur situation financière, la prise en charge de l’enfant à la Villa est gratuite. Malheureusement, la lourdeur administrative constitue souvent un obstacle à cette égalité d’accès et à la mixité sociale. Car pour ne pas avoir à payer de prise en charge, il faut avoir obtenu une Notification d’Accueil Temporaire. Or souvent, la précarité, le manque d’informations, les dossiers à remplir et leurs délais de traitement, la jungle des acronymes (MDPH, SESAD, IEM, USEP etc.) diminuent la réactivité et l’efficience de l’aide au handicap et poussent les familles les plus précaires à se replier sur elles-mêmes.

« Pour casser cet isolement, réintégrer ces familles dans la chaine de l’aide et les accueillir à la villa, on travaille avec les assistantes sociales, la MDPH (Maison départementale des personnes handicapés), les associations, le bouche-à-oreille », explique Karine Hillibert.

 

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La loi prévoit jusqu’à 90 jours de répit pour un aidant (parent ou membre de la famille) mais « trop peu de structures le proposent, car les polyhandicaps sont souvent très lourds et couvrent également des maladies génétiques dégénératives (syndrome d’Angelman, etc.). Ils nécessitent une assistance médicale permanente, au-delà des éducateurs et des accompagnants éducatifs et sociaux », détaille Marie Segala.

Ce que confirme Jean-Marc, père de Vincent : « Vincent a une gastrostomie et les rares fois où on a cherché une structure pour quelques jours de vacances, il s’est vu refuser l’accès, car son handicap nécessitait des soins que la structure ne pouvait pas fournir. C’était très stigmatisant pour lui, ses copains de l’IEM pouvaient y aller mais pas lui... »

 

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La Villa Grenadine est l’unique centre d’accueil de ce type sur le territoire national. « Cela tient à une raison simple : nous avons un poste d’infirmière à plein temps jour et nuit. C’est un budget conséquent sur lequel butent beaucoup de structures qui choisissent plutôt de limiter le type de handicap qu’elles accueillent », explique Marie Ségala. Ici seuls les cas d’autisme et de troubles psychiatriques graves comme première pathologie ne sont pas pris en charge, car ils nécessitent un personnel spécifiquement formé.

 

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« Professionnellement cette expérience est très enrichissante, insiste Leila, aide médico-psychologique (AMP) depuis 2016 et à la Villa Grenadine depuis février 2019. Le fait que les enfants ne viennent ici que pour le week-end ou les vacances change complètement notre travail en redonnant de l’importance à l’aspect éducatif et animation par rapport à la nurserie. Il n’y a pas la routine que l’on rencontre à l’internat, ni le cadre rigide de l’emploi du temps très structuré des lieux de prise en charge du quotidien. Si un enfant veut dormir le matin on le laisse, ce n’est pas grave. Les ateliers et les activités proposées sont libres. Du coup, quand les enfants participent on sent leurs désirs de s’exprimer. On les découvre sous un autre jour et on les voit développer eux-mêmes des relations entre eux. Bien sûr, c’est moins rassurant : parfois on tâtonne, mais on développe des capacités d’adaptation et de tolérance par rapport à la pathologie. »

D’ailleurs, comme l’explique Christelle, coordinatrice de l’équipe : « Les enfants perçoivent très bien cette différence. Mathilde, l’une des enfants que nous accueillons parfois le week-end à la Villa et la semaine à l’IEM, l’a parfaitement intégré. Ici à la Villa elle demande des câlins, et je peux les lui donner, alors que dans la semaine à l’internat je ne peux pas, elle le sait et ne me le demande jamais. »

 

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La pluralité des handicaps constitue une ouverture selon Monelle, aide-soignante depuis deux ans à la Villa. Souvent, dans les structures de prise en charge au quotidien, les enfants se retrouvent avec des camarades qui ont les mêmes pathologies et s’évaluent entre eux. « Ici, les enfants découvrent d’autres formes de handicaps que les leurs. Ça les interroge et ils tissent des liens d’un mois à l’autre. »

« Ce qui est génial, c’est qu’ici Augustin passe parfois d’aidé à aidant », se réjouit son père Christian. « Il accueille les nouveaux arrivants, il s’occupe d’eux, il met la table. Des trucs qu’il ne fait jamais à la maison ! » 

 

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« C’est sûr que le travail est intense, confirme Michael, éducateur à la Villa et à l’IME. À la Villa, la liberté que l’on offre aux enfants exige beaucoup d’attention, et comme ils le ressentent, ils nous en demandent encore plus… Mais trois ans ici m’ont plus apporté que mes dix ans ailleurs. J’ai vu des enfants qui ne bougeaient pas durant la semaine à l’IME et qui tout à coup à la Villa se mettaient à faire tout tout seuls spontanément. »

Anne, infirmière vacataire à la maison des répits, confirme et cite le cas d’une petite fille qui, en quelques mois, a radicalement changé : « L’enfant nécessitait une surveillance constante, car elle pouvait se mettre en danger. Aujourd’hui, elle est parfaitement capable de s’occuper seule dans un canapé au milieu des autres. C’est impressionnant comme elle a gagné en autonomie. »

C’est un point essentiel selon Jean-Marc, le père de Vincent : « Mon fils a 18 ans, il va devoir partir un jour en structure d’accueil pour adultes, faire sa vie. Ces séjours où il apprend l’autonomie et la socialisation sont nécessaires. Pour lui comme pour nous, il s’agit d’une transition en douceur, comme une façon de tourner lentement une page. »

 

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« Dans nos rapports avec les parents, il y a plus de confiance, moins de discours professionnels, médicaux ou éducatifs, ils se confient plus sur leurs difficultés, souligne Michael. Ici, j’ai compris des choses dans les relations avec les familles. J’ai aussi vu le regard des parents qui change au cours du temps. C’est le plus important ! Mon rôle, c’est aussi de modifier ce petit regard, de tisser une histoire commune avec les familles autour de l’enfant. »

En savoir plus

Données en plus

La Villa Grenadine est hébergée dans les locaux de l’IEM de la fondation Saint Jean de Dieu qui met également à disposition ses services support et transversaux (comptabilité, administration). La structure est financée par les forfaits journaliers payés par la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie), qui sont regroupés sous la forme d’un CPOM (contrat pluriannuel d’objectif et de moyen). Cela couvre les salaires d’une équipe de 14 personnes dont une infirmière jour et nuit, deux éducateurs dont une coordinatrice, des aides médico-psychologiques (AMP) et des accompagnants éducatifs et sociaux (AES). Le financement de la CPAM ne couvre pas les différents intervenants extérieurs, les sorties ou les activités qui reposent sur des dons privés ou des subventions.
Pour les familles, quelle que soit leur situation financière, le séjour de l’enfant à la Villa est gratuit. Ne sont aux frais des familles que les protections, les traitements et le transport pour accompagner l’enfant au centre.
Chaîne active de 200 enfants venants de l’Ile de France.
Capacité d’accueil d’une vingtaine d’enfants en même temps.