« Partager l’alpinisme avec ceux qu’ont pas un rond », c’est l’ambition de cette association fondée par le guide de montagne Hugues Chardonnet et des amis alpinistes. Basée à Briançon, 82-4000 Solidaires organise des stages d’alpinisme pour des personnes très précaires, en partenariat avec d’autres associations. Comme du 14 au 19 avril 2019, où neuf jeunes de l’antenne marseillaise d’ATD Quart Monde ont découvert les montagnes du Briançonnais, bien au-delà des 2000 mètres. De quoi prendre un bon bol d’air frais et oxygéner sa vie, inspirer d’autres envies. Récit en photos, prises presque toutes par les stagiaires eux-mêmes.
Mouloud Ouchen
« Mon meilleur moment de ces vacances – mes premières vacances – c’était le ski, assure Ali (à gauche dans le télésiège sur la photo). Je n’avais jamais essayé le ski, jamais porté des vêtements de ski. En plus, j’étais avec mes meilleurs amis. » Accompagnés par des alpinistes professionnels de l’association 82-4000 Solidaires, les neuf jeunes de l’antenne marseillaise d’ATD Quart Monde ont découvert les montagnes hautes-alpines lors des vacances d'avril dernier. Au programme : escalade, visite d’une ferme, randonnées et initiation au ski.
Aurélien Brès
« On ne devrait pas faire payer la montagne », affirme Hugues Chardonnet. « J’ai passé tardivement le diplôme de guide, et quand j'ai exercé un peu le métier, ça m'a frappé dès le départ : il n’y a que des gens cultivés ou économiquement favorisés qui ont la chance d’être introduits dans ce milieu extra, qui devrait normalement être ouvert, donné… » Pour pallier cette injustice, il a créé en 2012 « avec quelques copains alpinistes » l’association 82-4000 Solidaires à Chamonix – il y a 82 sommets de plus de 4000 mètres dans les Alpes. Une mission de transmission qui s’inscrit dans le cours des choses pour celui qui est, ou a été, médecin du sport, journaliste, guide de haute-montagne et diacre dans les paroisses briançonnaises.
Hugues Chardonnet
« Faire un sommet, ça devrait être obligatoire ! » Hugues Chardonnet croit fermement aux vertus de la montagne. Il parle du « choc esthétique », qu’il a lui-même vécu, à douze ans, quand un copain l’a convié pour la première fois dans les Alpes. « Et lorsqu’on vient d’une banlieue crasseuse mal entretenue, qu’on vit dans le goudron… C’est encore plus incroyable. Rien que sur la route, ils font 500 photos. La beauté est un élément essentiel. »
Mouloud Ouchen
« Le ski, c'est ce que j'ai préféré, affirme Bhaa Aldeen (à gauche sur l'image avec Naomi). Au début je tombais, trois fois, quatre fois. Mais l'après-midi, je ne suis pas tombé, je pouvais tourner, m'arrêter. » Au-delà de la sensation esthétique, le fondateur Hugues Chardonnet parle du « choc éducatif » de la haute-montagne. Il évoque « l’obligation de s’encorder, d’être relié à l’autre. Si je fais une connerie, tu peux te tuer ; si je tombe, tu me retiens… Je fais l’apologie de la cordée, c’est-à-dire d’avancer au rythme du plus lent. »
Naomi Anderson
« Je m'étais fixé un objectif, atteindre 2250 mètres, et je l'ai atteint. Tout le monde était fier de moi, et moi le premier parce que c'est moi qui l'ai fait, c'est mes jambes », vibre encore Romain (en photo). Prendre confiance en soi, c’est l'un des objectifs des stages de l’association 82-4000 Solidaires, tout particulièrement pour des jeunes de milieux défavorisés, qui ne partent jamais en vacances et doutent d'eux-mêmes. « Face à une crevasse, quand tu arrives à la franchir, tu te dis : “Ça y est, je l’ai fait!’”. La montagne t’éduque de manière très concrète », souligne Hugues Chardonnet.
Naomi Anderson
« Ils m'ont dit ‘: “Il faut descendre ton corps !" Alors moi j'ai reculé en arrière... et j'ai oublié mes pieds en haut », blague Mouloud (pris ici en pleine action). Depuis 2012, une cinquantaine de stages ont été organisés par 82-4000 Solidaires. Des centaines de jeunes issus de quartiers populaires de toute la France ont ainsi pu chausser des crampons, se frotter aux cascades de glaces, grignoter une barre céréalière en surplombant Le Monch (4107 mètres) ou bivouaquer au cœur des Alpes. Concrètement, la structure se rapproche d’associations spécialisées pour organiser ses stages, et notamment d’ATD Quart Monde.
Naomi Anderson
À la « Maison des bêtes à laine », une ferme pédagogique à Cervières (05), le groupe a appris les techniques de filage de la laine, à l'instar d’Aurélien Brès, sur la photo. Plusieurs jeunes ont renoué avec des savoir-faire appris dans leurs pays d'origine familiale, et ont même résolu une énigme pour les fermiers en retrouvant l’usage d’un vieil outil en bois. Au travers de ces stages emblématiques, l’association 82-4000 cherche à renouer des contacts entre les uns et les autres, milite pour que chaque individu, quelles que soient sa situation sociale ou sa vulnérabilité, ait accès aux loisirs, « droit fondamental pour la dignité de toute personne humaine ».
Mouloud Ouchen
Après la session d’alpinisme, le groupe est parti lors d’une dernière expédition, en raquettes, pour rejoindre le refuge du Chardonnet - avec ici Quorban et Isaure – , puis, le lendemain, gravir le Pic Ombière (2832 mètres). Si le but n’est pas de transformer les participants aux stages en alpinistes chevronnés, certains en ressortent pourtant passionnés. L’association met alors en place un travail d’accompagnement et d’insertion vers l’autonomie en montagne, voire les oriente vers un cursus professionnalisant. « Une stagiaire, rencontrée il y a six ans, veut devenir guide de haute montagne ! C’est à nous de l’aider à concrétiser son rêve ! » D’autres, une fois familiarisés avec la montagne « qui a l’aspect revêche mais qui est accueillante », reviennent pour encadrer de nouveaux stagiaires.
Mouloud Ouchen
Selon Hugues Chardonnet, « on pourrait rendre la montagne plus accessible. Ce milieu fait peur, car on n’en parle que lorsqu’il y a des accidents ou bien sous l’angle de l’exploit, du héros surdoué, grand sportif qui risque sa vie… Ça contribue à ce qu’elle devienne un lieu réservé à une élite. » En 2018, l’association a permis à des stagiaires de gravir trois sommets de plus de 4000 mètres et a permis à 137 jeunes de participer à 682 journées de montagne partagée. Fonctionnant grâce à l'apport de 186 particuliers ainsi que de partenaires privés, en finance ou en matériels, 82-4000 ne compte que deux salariés, mais beaucoup de bénévoles !
Mouloud Ouchen
Outre les stages d’alpinisme, l’association organise des Rencontres de la montagne une fois par an, depuis 2016. S’y côtoient professionnels de la montagne, membres d’associations et participants aux stages de 82-4000 Solidaires. « On a tout de suite eu le soutien de tous les gens de la montagne, des grosses structures comme Millet au petit artisan du coin dans la vallée de Serre Chevalier », rajoute ce militant des « loisirs pour tous ». Ici, la « solidarité des montagnards » se « vit concrètement » : « Tout part d'une expérience partagée. C’est pour cela qu’il est important que les stagiaires soient parmi nous lors des Rencontres de la montagne », dont la prochaine journée avec ateliers et tables-rondes se déroule au village de La Grave le 7 septembre 2019.
En savoir plus
Données en plus
L’association 82-4000 Solidaires a organisé plus de 50 stages depuis 2013, pour plus de 500 adolescents et jeunes adultes de tous les quartiers défavorisés de France, Belgique et Suisse. Soit au total : 2795 journées de montagne partagée.
Elle rassemble une cinquantaine de guides de haute-montagne, grimpeurs, alpinistes, et marcheurs bénévoles.
L’association est financée grâce à des partenaires financiers et techniques privés, comme la marque de montagne Millet, la fondation Terres d’aventure, Ardian ou la Fondation de France. En outre, 186 personnes ont contribué à leur cagnotte en ligne. Il est également fréquent que les associations partenaires participent aux frais du séjour, et que les participants eux-mêmes donnent une somme, même symbolique. Son budget annuel, en 2018, était de 124 133 €.
Publication / Mise à jour : 04.07.2019