En France, chaque année, 10 millions de tonnes de nourriture sont jetées tandis que chaque jour quatre millions de personnes ne mangent pas à leur faim. Face à ce constat alarmant, en plus des maraudes des vendredi et dimanche soirs, l’association Cœurs résistants a ouvert une épicerie gratuite depuis 2016. Cinq jours par semaine, quiconque peut recevoir des denrées alimentaires, mais chacun peut aussi donner de son temps en devenant bénévole bénéficiaire de l’association. Au-delà de la lutte contre le gaspillage alimentaire, cette gestion et cette démarche très participatives redonnent confiance aux personnes les plus vulnérables.
Sylvie Legoupi
C’est en 2016 que Simon (photo) et Mathieu ont créé l’association Cœurs résistants, à Rennes. L’objectif : « Palier aux problèmes des habitants de la rue, mais également de toute personne en situation de précarité en toute impartialité et sans discrimination ». Depuis deux ans, avec l’ouverture d’une épicerie gratuite non loin du centre-ville, l’association distribue en moyenne 200 repas quatre jours sur sept, à tout un chacun, sans justificatif de ressources. « Donner la preuve de sa pauvreté, c’est extrêmement dégradant. Il y a énormément de gens qui pourraient avoir droit à une aide alimentaire et qui ne le font même pas. Notre système de don se régule de lui-même, assez bien en fait », explique Mathieu, trésorier de l’association.
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À Cœurs résistants, tout fonctionne à la synergie et à la convivialité. Du lundi au vendredi, les bénévoles et le référent du jour, bénévole formé par l’association, ouvrent le local à 10 heures, et pendant que certains s’activent au ménage du local prêté par l’association Et Si On Se Parlait, d’autres préparent du café qu’ils partageront avec certains bénéficiaires vivant dans la rue, déjà présents et venus attendre la distribution de 12h30. « Ici, on essaie d’avoir un fonctionnement le plus calme et le plus tempéré possible, souligne Mathieu, car ce sont des personnes qui ont été trop souvent cassées."
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Simon (à droite), référent du jour, répartit les différents rôles et les postes qui assureront le bon déroulé de la distribution des denrées : qui fera l’accueil, qui gérera les fruits et légumes, qui sera dans la salle des frigos… Les bénéficiaires n’ayant pas le droit d’entrer dans les locaux, du fait du manque d’espace et des normes de sécurité, Francis (debout à gauche), bénéficiaire bénévole depuis 4 mois, se chargera des allers et retours et de la bonne élaboration des paniers distribués. « Maintenant que je vois comment la distribution se passe, dit-il, quand je rentre avec mon sac plein de provisions, je mesure les efforts accomplis auxquels j’ai un peu participé. »
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Afin de pouvoir distribuer suffisamment de paniers solidaires tous les midis, du lundi au jeudi, l’association a développé des partenariats avec différents supermarchés rennais grâce à l’entreprise sociale Breizh Phénix, spécialisée dans la réduction du gaspillage alimentaire. Depuis 2016, la loi Garot oblige les supermarchés de plus de 400 mètres carrés à donner leurs invendus alimentaires aux associations caritatives. En contrepartie, les grandes surfaces alimentaires bénéficient de déductions fiscales. Un tiers de la production alimentaire en France est encore jeté ou gaspillé chaque année. En 2017, Cœurs résistants estimait avoir évité le gaspillage de 75 tonnes de nourriture, profitant à 6 000 foyers ou personnes.
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Après la collecte, chacun s’active pour ranger les denrées. Les produits frais montent à l’étage, dans la « salle des frigos », tandis que les fruits, légumes et produits élaborés sont entreposés au rez-de-chaussée. Le bon déroulé de la distribution dépend beaucoup de l’organisation de l’équipe bénévole. « C’est cette ambiance d’équipe et la joie d’en faire partie » qu’apprécie Killian (à gauche), membre actif depuis 5 mois. « Tout repose sur l’incitation, la proposition, précise Mathieu, le cofondateur. Cela marche parce que ce n’est pas rigide, planifié. Il faut garder cette légèreté car elle est non culpabilisante pour les bénévoles. »
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Les bénévoles prennent les commandes de chacun. Nul justificatif pour bénéficier de cette aide alimentaire : les personnes les plus démunies sont de toute façon très souvent dans l’impossibilité de produire un document officiel. Certains des bénéficiaires vivent dans la rue, d’autres sont sans emploi ou traversent une période difficile économiquement. « Certaines personnes dépassent parfois de seulement quelques euros le plafond pour avoir une aide, c’est assez injuste, déplore Mathieu, l’autre cofondateur et bénévole. Pour certains, chercher un sac de provisions, c’est un ticket de cinéma ou un spectacle qu’ils peuvent s’offrir. » Et ça non plus, ce n’est pas du luxe…
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S’il s’agit ici d’apporter un nécessaire soutien alimentaire, en réponse au gaspillage, Cœurs résistants ne se contente pas d’une juste redistribution. L’autre enjeu est de redonner confiance aux personnes et de les réinsérer dans une structure sociale en favorisant l’activité des bénéficiaires au sein de l’association. « On les incite, mais on ne les culpabilise pas s’ils n’ont pas eu la force physique ou mentale de le faire. C’est compliqué de revenir quand on a été déconnecté des cercles sociaux, explique Simon. On essaie d’être juste une première marche vers une réinsertion, une porte d’entrée à la prise de conscience de son environnement. »
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Bénéficiaire et bénévole depuis le début de l’année, Aurélie a trouvé l’aide alimentaire dont elle avait besoin « pour se remettre à flot financièrement, mais surtout l’envie de m’en sortir et de devenir autonome ». Grâce à son implication en tant que bénévole, elle a trouvé en elle « la force de prendre les soucis à bras le corps ». Et cela fonctionne : depuis peu, elle occupe un poste à mi-temps dans une entreprise de nettoyage. Pour beaucoup, s’engager dans une démarche participative donne l’impulsion pour raccrocher les wagons en quelque sorte, grâce à la revalorisation de leur savoir-faire ainsi que de leur personne que procure cette participation.
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13h30. les bénévoles font les comptes des paniers distribués, et soulèvent ce qui pourrait être amélioré dans l’organisation. Toutes les voix comptent. « Même si on vient récupérer une aide alimentaire, on doit avoir le droit de donner son avis, de participer à la vie de l’association. » Pour Simon et Mathieu, l’association structure la force du collectif autour de la prise de responsabilité des bénévoles. « Nous avons des bénévoles qui sont montés en compétences et il serait légitime de leur donner un statut qui leur donnerait une reconnaissance ». Un cap qu’ils aimeraient franchir pour élargir et construire la transmission de l’association. Et c’est fort de ce concept basé sur la confiance et le bénévolat que les deux cofondateurs ont apporté leur expérience à la création d’une autre association estudiantine, l’épicerie Gratuite de Rennes 2.
En savoir plus
Données en plus
L’association Cœurs résistants distribue en moyenne 200 repas quatre jours sur sept. Elle évite le gaspillage d’environ 75 tonnes de nourriture par an, profitant à 6 000 foyers ou personnes.
8,5 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 35 % de familles monoparentales (INSEE 2016).
Selon l’IPSOS et le Secours Populaire, 21 % de la population française ne peut s’offrir trois repas par jour. Une personne précaire sur deux ne mange pas à sa faim, soit 4,25 millions de personnes.
10 millions de tonnes de nourritures consommables sont jetées chaque année en France (foyers, producteurs et distributeurs), soit 317 kg par jour.
Publication / Mise à jour : 15.10.2019