Le restaurant solidaire du centre hospitalier du Mans

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Didier Girard (au centre) avec Michel Drouin (Ordre de Malte, deuxième à gauche) et des bénévoles dans les cuisines du Centre hospitalier du Mans.

D’un côté, 7000 repas par an qui vont à la poubelle, de l’autre des populations qui ne mangent pas toujours à leur faim… Entre gaspillage et urgence alimentaire, le Centre hospitalier du Mans a mis en place un circuit inédit de distribution de surplus alimentaires. Une première en France ! Et un succès qui inspire déjà d’autres secteurs de la restauration collective.

« L’hôpital sert 3 700 repas par jour mais jette chaque année 4,2 tonnes de surplus alimentaires, soit près de 7 000 repas ! » : tout a commencé en 2010 pour Didier Girard, 58 ans, ingénieur chargé de la restauration au Centre hospitalier du Mans, avec ce constat suite à l’analyse de la production de déchets organiques dans son établissement. « Il y avait une nouvelle réglementation sur la gestion des bio déchets (déchets organiques). Nous savions qu’à la préparation des plateaux du dîner, il restait des surplus alimentaires, et dans le cadre de la réglementation, certains produits ne pouvaient être consommés le lendemain, et seraient donc jetés. J’ai cherché le moyen de les valoriser. » Il décide alors d’organiser une gestion écologique des déchets et un circuit de récupération et de distribution de denrées alimentaires du centre hospitalier à destination de populations en grande précarité. Dans une ville où 18 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le projet était bienvenu. Avec une ambition, pour ne pas dire une obsession : un processus gratuit, simple, durable et reproductible.

Trois ans d’analyse minutieuse et de recherche de partenaires

« Je pensais qu’en trois mois je pourrais mettre en place ce projet. En fait, il m’a fallu trois ans », reconnaît Didier Girard. La première étape : un état des lieux minutieux des différentes conditions nécessaires de la préparation des repas jusqu’à la distribution, prenant en compte les normes d’hygiène et de sécurité lié au Plan de Maîtrise Sanitaire du service de restauration du Centre hospitalier ainsi que les conditions de redistribution. « On ne donne pas  n’importe quoi, n’importe où… Il s’agit de surplus alimentaire et non de reste d’assiette », souligne-t-il, fier de pouvoir offrir de vrais repas à des personnes en difficulté.

Qui dit surplus alimentaire, dit « produit alimentaire non consommé frais (plat cuisiné, produit laitier, fruit, etc.) dont la température et la date limite de consommation sont maîtrisées, ou produit agroalimentaire (conserve, compote, confiture, gâteau sec, etc.) non consommé en fin de date limite d’utilisation optimale ». D’où la nécessité  d’élaborer un système assurant la sécurité au niveau sanitaire. Pour cela, le Centre hospitalier du Mans est chef de projet et responsable de la levée jusqu’au retour des plats.

La deuxième étape : trouver les partenaires associatifs pour la distribution des repas. Si Didier Girard a été soutenu d’abord par sa direction et par son équipe, il a eu du mal à trouver des interlocuteurs sur le terrain. Car le circuit qu’il propose impose aux associations relais de modifier des habitudes et de professionnaliser leurs pratiques (liées au respect des règles d’hygiène et de sécurité, telle que la maîtrise de la chaîne du froid de l’enlèvement jusqu’à la livraison, la chauffe des plats qui doit être supérieure ou égale à 63°). « Quand j’arrive avec ma proposition, je viens les perturber car les associations ont déjà leur propre organisation et aussi leur propre fournisseur d’achat de produit dans des restaurations collectives, ou de don alimentaire. Difficile pour les associations d’arrêter ces contrats. Et puis elles ont un certain budget prévu pour cela qui va baisser et certaines peuvent craindre de perdre des subventions. »

Une coordination de trois acteurs

Après des mois de recherche infructueuse de partenaires associatifs, Didier Girard identifie un service à la Préfecture de la Sarthe chargé de coordonner les initiatives en matière de protection des populations et de les financer : la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS). Avec son aide, il parvient à réunir toutes les associations autour d’une table pour présenter dans le détail son projet. Dès lors deux associations acceptent de jouer le jeu : l’Ordre de Malte France pour la logistique et le service des repas ; l’association Tarmac pour la mise en relation avec la population bénéficiaire, à savoir des personnes en grande précarité du Mans.

Les trente bénévoles de l’Ordre de Malte sont les pivots logistiques : ils récupèrent les conteneurs à la cuisine centrale de l’hôpital, les transportent au restaurant, assurent le service du repas et l’entretien des locaux. Quant à la deuxième structure, Tarmac, elle gère l’hôtel dit « d’urgence sociale » et définit les personnes qui bénéficient du dîner solidaire. « Grâce au soutien de la direction de mon établissement et de la préfecture, grâce à la qualité des relations qui se sont nouées à cette occasion,  j’ai pu concrétiser mon projet : j’ai transmis à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Préfecture le formulaire CERFA réglementaire, élaboré et organisé la signature de la convention entre les trois partenaires et, surtout, formalisé la procédure (qui fait partie du Plan de Maîtrise Sanitaire du service Restauration de l’hôpital), document qui fonde la convention », explique Didier Girard, avec la minutie qui le caractérise.

Signé pour une année et renouvelable tacitement, ce document intègre tous les processus et règles d’hygiène applicables à chaque étape : la préparation des plats, mise en conteneurs isothermes (fournis par l’hôpital), le transport en véhicule utilitaire (financé notamment par la DDCS et le Conseil Général), le matériel nécessaire, le stockage des plats dans le réfrigérateur, le service des repas, l’entretien des locaux…  Et ainsi en assure la reproductibilité.

Quatre repas par semaine au restaurant solidaire

Depuis le 22 mai 2013, du lundi au vendredi, les conteneurs sont récupérés à l’hôpital par le chauffeur de l’Ordre de Malte France dès 16h45 et les repas servis chauds entre 18 heures et 20 heures dans le restaurant d’un des hôtels d’accueil gérés par l’association Tarmac. « Toute cette organisation a été longue à mettre en place, souligne Michel Drouin, délégué de l’Ordre de Malte France de la Sarthe. Mais elle est indispensable car sans elle, les familles, souvent des femmes seules et leurs enfants, ne pourraient manger tous les jours un vrai repas, le même que celui servi aux patients de l’hôpital. Ce sont généralement des personnes venues par le 115 (numéro pour le logement d’urgence) et prise en charge ensuite par l’association Tarmac. Des réfugiés, des femmes battues, des SDF… »

Au menu ce soir : melons, macédoine, dinde, bœuf, poisson, purée, riz, haricots verts, tarte au citron, fruits et pain. Chaque jour de distribution, trois bénévoles sont présents et servent en moyenne une vingtaine de repas, jusqu’à quarante repas certains soirs, répartis en deux services. Les jours où les repas ne sont pas servis, les familles vont au Restau du cœur ou reçoivent des bons pour acheter à manger. « Les personnes doivent manger sur place le jour même. Pas de repas emporté, les restes sont jetés le soir même, seuls les fruits peuvent être conservés… C’est une des conditions d’hygiène obligatoire », insiste Valérie, bénévole depuis un an.

Et maintenant, d’autres secteurs suivent

Fort de sa réussite au Mans et de la viabilité prouvée de son projet, Didier Girard compte bien reproduire une telle initiative, malgré sa complexité. Depuis début 2015, il s’en fait le porte-parole lors de colloques, et fait des émules. Dans la restauration collective : « Un chef cuisinier d’un collège du Mans est venu me voir et il a depuis mis en place une politique de dons alimentaires avec une autre association de la ville ! », se réjouit-il.

Mais aussi dans les cuisines des centres hospitaliers de France : les hôpitaux de Strasbourg, Dijon et Créteil ont ainsi adopté ce processus inédit de dons alimentaires et l’ont adapté au réseau associatif de leur ville. Les médias aussi s’emparent du sujet et l’initiative est reconnue, entre autres, par le ministère de l’Agriculture, et par l’ADEME. La Fédération hospitalière de France (FHF) lui a même décerné le trophée FHF 2014 « Hôpital durable » dans la catégorie « Gestion des déchets ». Autant d’indices qui poussent Didier Girard à voir toujours plus loin : « Mon rêve est de voir une réglementation obligatoire votée au parlement pour les dons en restauration collective vers les services de la précarité ! »

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« L’hôpital sert 3 700 repas par jour mais jette chaque année 4,2 tonnes de surplus alimentaires, soit près de 7 000 repas ! »