Comment les personnes sans domicile vivent-elles la crise du Coronavirus et le confinement qui s’impose à toutes et tous ? Lui-même sans-abri, Gilles est ambassadeur de La Cloche depuis 2016, et il s’est mobilisé avec l’association dans une dynamique d’engagement auprès des autres personnes, qu’elles soient sans abri ou non. Il témoigne depuis l’endroit où il a trouvé refuge dans le dixième arrondissement de Paris, pas loin de la place du Colonel Fabien.
Solidarum : Comment se passe cette période de confinement pour vous ?
Gilles : Moi je suis dans un squat, que je ne quitte pour ainsi dire pas, je suis enfermé entre quatre murs. Heureusement que j'ai la radio pour me tenir compagnie, et puis comme j'ai beaucoup de livres, j'ai de quoi faire passer le temps. Je me lave les mains au moins 60 à 70 fois par jour, je n’arrête pas, je ne fais que ça. Je suis également bénévole aux Restos du cœur. Heureusement que le téléphone me permet de rester en contact avec l'extérieur parce que je sens que sinon, je m'ennuierais pas mal.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile depuis l'annonce du confinement ?
De ne voir personne, quasiment personne. Même si en général rester tout seul, ça ne me dérange pas, mais là c'est trop. Habituellement, je vois les mamies à qui je vais faire les courses tous les jours, je vois les bénévoles de La Cloche, je participe aux petits déjeuners du P'tit café, qui est fermé à cause du confinement. Je suis coincé là.
Quelles difficultés avez-vous pu vivre ou observer pour les personnes sans-abri ?
On tourne au strict ralenti. D'habitude quand les gens viennent aux Restos du cœur, il y a toujours un plat chaud, du café, de la soupe. Mais là, ils arrivent et s’en vont le plus vite possible. On leur donne un sac avec des salades, des biscuits, une bouteille d'eau, un fruit et puis il faut qu'ils partent aussitôt. Donc ils n'ont même pas la possibilité de rester un peu sur les lieux de distribution. D'habitude, en plus de manger, les Restos du cœur c'est un endroit où les personnes de la rue peuvent se retrouver, causer ensemble. Avant le confinement, ça pouvait pratiquement durer deux bonnes heures, maintenant en quarante minutes, c'est réglé.
Rencontrez-vous d'autres difficultés ?
Pour moi ça va, je ne suis pas malade donc tout se passe bien. Je règle tout ce qui peut l’être par téléphone, et le reste est mis en attente. Voilà tout. Après ce sont des petits tracas du quotidien, comme aller chez le coiffeur, mais dans l'ensemble ça va, je n’ai pas à me plaindre, je ne suis pas trop mal loti par rapport à certains.
Dans votre entourage, avez-vous des exemples de personnes en difficulté ?
Pas très loin de mon squat, il y a un monsieur qui est dehors, j'essaie de l'aider à ma façon, car je sais qu'il ne bougera pas : il est là, un peu désocialisé, il restera dans son coin. Donc comme il a des thermos, je lui fais chauffer de l'eau pour qu'il puisse prendre son thé et puis se laver. Je lui apporte aussi à manger dans la mesure du possible. Mais je ne suis pas tout seul, plein de gens dans le quartier viennent l'aider. Là, vraiment, il y a de la solidarité. Évidemment avec les mesures barrières, tenir un mètre de distance, avoir un masque, avoir des gants, toutes les précautions sont prises pour aller le voir. Au moins il a ça. Dans mon coin ça ne marche pas trop mal.
Quels conseils donneriez-vous pour aider les personnes sans domicile ?
Les petites choses à faire, c'est au minimum d'emmener une savonnette et de l’eau pour qu'ils puissent se laver les mains. Discuter, s'ils acceptent, en respectant bien les barrières de sécurité. Il paraît que des points d'eau ont été coupés dans Paris alors je ne sais même pas comment ils vont faire pour se laver, car d'après ce que j'ai entendu tous les bains douches municipaux de Paris ne sont plus ouverts : comme tout le monde y va à la même heure, ça ne peut pas marcher. Et puis le personnel doit aussi être à l'abri. C'est quand même une population fragile de ce côté-là. Mais courage, on va s'en sortir, c'est la phrase que je dis à tout le monde, je termine mes textos comme ça. Du courage, et il faut tenir.
Voir aussi sur le sujet l’interview de Laura Gruarin, co-directrice de l’association La Cloche.