C’est à quelques jours de Noël 2017 qu’a été inauguré en centre-ville de Rennes ce coffee shop pas tout-à-fait comme les autres. Ici, les employés ont tous des handicaps mentaux ou des troubles cognitifs. Là, ils trouvent le plaisir de travailler, comme n’importe quel autre apprenti ou jeune salarié… À la clef, la plupart ont trouvé leur chemin dans la vie active, sans renier tout ce qui fait leur différence.
Sylvie Legoupi
Sitôt poussée la porte, un « Bonjour et bienvenue au Joyeux » vous accueille. Au Café Joyeux, le confit de poireaux de Youenn est assaisonné au poivre « pour rendre tous les convives amoureux ». Ce nom de « Joyeux », choisi par le fondateur Yann Bucaille, colle bien à la complicité entre employés, autistes ou atteints de trisomie 21, qui se dégage de ce lieu en apparence ordinaire. Les enjeux ? Redonner confiance à ces jeunes en situation de handicap, en leur donnant l’opportunité de décrocher un CDI ; mais aussi créer un bel endroit grâce à ces moments de connivence qui font sourire les convives.
Sylvie Legoupi
La joie de vivre. La joie de progresser, de créer des pâtisseries et surtout d’acquérir de nouveaux savoir-faire. Brandon, sous le regard bienveillant de Catherine, la responsable en cuisine, a réalisé seul une tarte au citron meringuée très prisée par la clientèle. « Vivez joyeux » est la maxime de Rabelais, adressée aux lecteurs dans l’édition originale de Gargantua. C’est cette philosophie humaniste qui anime les huit serveurs du Café Joyeux, cinq en CDI et trois encore en stage. Tous soudés par un esprit d’entraide. Ici, la différence est visible, mais assumée.
Sylvie Legoupi
Marion, maman de Constance, est une cliente assidue du Café Joyeux, car elle souhaite montrer à ses enfants « que l’on est tous porteurs de différence, mais que c’est une belle vie ». C’était l’enjeu du fondateur, Yann Bucaille, lorsqu’il a créé ce coffee shop au cœur du centre-ville de Rennes, réunissant une clientèle des plus diverses. Depuis l’ouverture, le 20 décembre 2017, il n’est pas rare de voir des familles venir déjeuner ou déguster des pâtisseries maison.
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Mercredi après-midi, Thérèse, originaire de la région bordelaise, mère de cinq enfants, est venue pour la première fois au Café Joyeux, car elle se dit « attentive à toute initiative de solution innovante qui pourrait changer le regard sur le handicap ». Et pour cause, Sophie, l’une de ses trois filles, est atteinte de trisomie 21. « Le chromosome d’amour », renchérit-elle en confiant que, grâce à ce lieu, sa fille a réalisé que l’exclusion n’était pas une fatalité, et qu’elle pourrait elle aussi un jour travailler et en retirer une reconnaissance personnelle.
Sylvie Legoupi
Chaque convive, après avoir réglé sa commande au comptoir, dépose un cube de couleur sur sa table. Ludique pour les enfants, il est l’objet clé du process d’adaptabilité mis en place par les managers pour faciliter le bon déroulement du service en salle. Le serveur repère en effet le plateau qui contient le cube identique à celui placé sur la table, et peut ainsi délivrer la commande aux clients qui l’attende. Sur un autre registre, afin de minimiser les effets de chutes éventuelles, les responsables du café ont choisi une vaisselle jetable pour les boissons chaudes, alors qu’ils avaient au départ opté pour de la porcelaine.
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Vianney, autiste, excelle dans le service en salle, et cette aptitude relationnelle, valorisée par l’équipe, a pu être décelée grâce à une conversation préalable avec le candidat, qui a été la première étape de l’insertion de Vianney au cours de son stage. Chaque recrutement est en effet précédé d’un entretien entre les managers, le postulant et son référent éducatif au sein de son ESAT ou de son IME – qui accompagne systématiquement le stagiaire dans son projet professionnel.
Sylvie Legoupi
Pas besoin d’avoir une expérience en restauration. En revanche, une période de stage, fortement accompagnée, est indispensable. Celle-ci varie selon les profils (de un à quatre mois), les compétences et le projet de vie de chacun. La motivation est un critère décisif. Il faut que le futur serveur ou apprenti pâtissier ait le désir d’évoluer, de cultiver sa relation à autrui, et surtout qu’il ait la soif d’apprendre, par exemple « à apprécier de nouvelles saveurs comme la rhubarbe, et ne pas la confondre avec le céléri branche », dit Catherine en souriant.
Sylvie Legoupi
Tous les contrats sont personnalisés : le temps de travail est défini selon le profil et le projet de vie de chacun. Sa durée hebdomadaire varie de 17 à 35 heures, et elle est ajustable ou évolutive selon les savoir-faire acquis et les besoins de l’établissement. Dans l’organisation professionnelle, si les managers ont à cœur de développer la polyvalence de tous, ils définissent le poste de chacun en fonction de ses affinités voire de ses talents. Mais ici, l’organisation collective prime sur la performance individuelle.
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Le concept du Joyeux était non seulement d’intégrer des personnes porteuses de handicap dans le milieu professionnel de la restauration, mais également de proposer aux convives des produits de qualité, originaux et de saison. Toutes les pâtisseries sont confectionnées quotidiennement dans la cuisine ouverte pour montrer que ces cuisiniers « différents » sont aussi capables que les chefs étoilés de réaliser des plats riches en saveurs. Chacun a d’ailleurs une recette pâtissière de prédilection, qu’il s’empresse de servir.
Sylvie Legoupi
En plus de leur qualité d’organisation, les managers doivent être dotés de qualités humaines telle que la bienveillance, le sens de l’écoute… Et avec le sens de l’humour c’est encore mieux ! Pour le reste, ce restaurant « particulier » ne déroge en rien aux us et coutumes du monde de la restauration, à savoir des moments de tension à l’heure du déjeuner et des instants plus bon enfant qui ponctuent le rythme journalier et consolident les liens entre les membres de l’équipe.
Sylvie Legoupi
« Quand j’entends Cécile dire Aïe !, ouille !, je me dois d’être plus attentive à elle, de l’accompagner à ce moment précis de la journée ! », confie Catherine, l’une des manageuses de l’équipe. Après une solide expérience en restauration, elle avait mis cette carrière entre parenthèses. Elle est devenue agent immobilier, mais n’y trouvant guère de plaisir, elle a rempli un bilan de compétences chez Pole Emploi… qui a mis en lumière son goût de la transmission et son attention à la différence. Bref, ce poste de manager semblait taillé pour elle. Au Café Joyeux, il redonne du sens à son parcours, et tout simplement à sa vie.
Sylvie Legoupi
Le choix du lieu pour le café-restaurant, par exemple ici au centre-ville de Rennes, est primordial. À peine trois mois après la capitale de la Bretagne, le Joyeux a d’ailleurs essaimé rue Saint-Augustin, dans le deuxième arrondissement parisien, avec 20 serveurs et cuisiniers eux aussi porteurs d’un handicap ou d’un trouble cognitif. Cette présence au cœur de la cité permet de briser l’anathème du travail handicapé, le plus souvent confiné dans des milieux protégés, à l’extérieur de la ville, loin du regard des citadins en balade ou en pause déjeuner.
Sylvie Legoupi
Après quatre mois à Rennes, l’équipe de managers a constaté une évolution dans les acquis professionnels des serveurs. Malgré leurs profils, au départ peu ou pas formés au monde de la restauration, ils ont pris leur élan, au point d’être aujourd’hui autonome, de prendre des initiatives, anticipant les taches nécessaires au bon déroulement du service : tables nettoyées, vaisselle faite au fur et à mesure, légumes lavés sans que la consigne n’en soit formulée oralement, etc.
Sylvie Legoupi
À tous points de vue, l’entreprise semble bien partie, et ce malgré les inévitables petites difficultés lors du lancement. Aujourd’hui, les convives affluent, de toutes générations. Certains, comme ces deux étudiants sensibilisés à cet obstacle sociétal que constitue le handicap, ont consience que « ces personnes n’ont que trop peu accès à l’emploi ». D’autres avouent qu’ils n’avaient jamais pensé que le handicap, appréhendé comme source de difficultés, pouvait être associé à une concentration, un service de qualité et un accueil chaleureux. Le Café Joyeux est déjà devenu un exemple.
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Données en plus
Le Café Joyeux a ouvert à Rennes le 20 décembre 2017, à Paris le 21 mars 2018.
Le Joyeux est une entreprise commerciale régie par la SARL Grain de Moutarde, qui est labellisée entreprise solidaire et d’utilité sociale.
L’équipe rennaise se compose de 3 managers salariés (sans handicap), et de 8 personnes en situation de handicap : 5 serveurs en CDI et 3 stagiaires.
8 personnes ont été formées au Café de Rennes de fin décembre 2017 à fin mai 2018.
L’entreprise redistribue 100% de ses dividendes à des actions caritatives via la Fondation Émeraude Solidaire.
Publication / Mise à jour : 06.06.2018