Dossier / Empowerment

RéaVie : quand réemploi rime avec emploi

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Dans un atelier participatif autour du réemploi des matériaux, basé sur l’entraide et l’échange de compétences, le président de l’association RéaVie Mohamed Hamaoui manie la scie à côté de Laurent Radisson, à l’origine de l’initiative citoyenne Cultivons Châtenay.

RéaVie agit pour limiter l’impact environnemental des chantiers et développer une économie circulaire locale autour du réemploi des matériaux collectés. Au cœur de cette initiative, des acteurs du bâtiment et des salariés en réinsertion. L’association a par ailleurs mis en place un dispositif au service des citoyens et acteurs de l’Économie sociale et solidaire de ses quartiers de la banlieue sud de Paris.

Ce 6 juillet 2019, en quittant le site de l’écoquartier en construction de LaVallée à Châtenay-Malabry, François-Xavier a le sourire. Cet artisan de 57 ans, peintre en bâtiment, aura traversé trois décennies d’intérim et de sous-traitance ponctuées par des passages au RSA pour signer enfin son premier CDD, trois mois seulement après avoir intégré l’association RéaVie. Sa première mission : le démontage soigné de portes, de fenêtres et de radiateurs récupérés sur des chantiers de démolition, afin de les transporter et de les stocker sur les plateformes de l’association, à Antony ou à Châtenay, où ils seront inventoriés et reconditionnés.

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C’est à 57 ans, grâce à RéaVie, que François-Xavier signe son tout premier contrat en CDD. Au sein de l’association, il a pour mission de récupérer très soigneusement, puis de transporter jusqu’à leur lieu de stockage des portes, fenêtres et autres radiateurs des chantiers de démolition.

Premier pari : une filière contre l’obsolescence programmée

Réduire les déchets du bâtiment en développant le réemploi des matériaux collectés et en leur redonnant de la valeur, lutter contre le gaspillage et l’obsolescence programmée, telles sont les ambitions de Mohamed Hamaoui, conducteur chez Eiffage Construction Amélioration de l’Habitat et président de RéaVie : « Sur les chantiers, trop de bennes sont remplies de matériaux et d’équipements qui ont encore un potentiel d’usage, constate-t-il. Pour limiter l’impact environnemental de ces chantiers et amener les différents acteurs du BTP à changer, il fallait imaginer des méthodes pour diagnostiquer les éléments susceptibles d’être conservés avant de commencer les travaux, les quantifier, organiser leur dépose méthodique et trouver des filières de réemploi. » Pour concrétiser ces réflexions, face à la nécessité de logistique et d’organisation, il crée RéaVie en avril 2017.

L’association, qui regroupe désormais des architectes, des conducteurs de travaux, des responsables qualité sécurité environnement et un médecin du travail, tous motivés par les enjeux du recyclage, a trouvé en la démolition de l’École Centrale à Châtenay-Malabry le site idéal pour mettre ses idées en pratique. Le chantier, lui-même placé sous le signe du réemploi des matériaux, est d’envergure : 20 hectares de bâtiments abritant des salles de cours, des amphithéâtres, un restaurant, les résidences des étudiants, des logements de fonction, destinés à être rasés et concassés, soit plus 100 000 tonnes de déchets et de gravats qui resserviront à la construction des voiries et des infrastructures d’un écoquartier dont la livraison est prévue en 2024. C’est là, au beau milieu des terrils et des monticules, dans les deux derniers bâtiments qui tiennent encore debout, que Réavie a installé ses quartiers. C’est là aussi qu’ont commencé à œuvrer les premiers bénéficiaires du projet, adressés par l’association intermédiaire Active Faraide. On y retrouve des personnes sans emploi et en grande difficulté, y compris de santé, cabossés par des accidents du travail, des dépressions, et même, pour l’un d’entre eux, par un AVC.

Deuxième objectif : recycler les compétences des personnes éloignées de l’emploi

Pour Mohamed Hamaoui, réemploi des matériaux rime forcément avec emploi, insertion et réinsertion professionnelles. C’est pour cette raison qu’il fait appel à des personnes éloignées de l’emploi, de préférence des locaux, adressés par les services de la ville en charge des actions de la gestion sociale urbaine de proximité (GSUP). Une vingtaine d’habitants de Châtenay-Malabry et des communes voisines ont ainsi bénéficié jusqu’à présent de 2200 heures d’insertion professionnelle. Des personnes dont la mise à disposition est facturée par les associations d’insertion et qu’il va former à ces nouveaux métiers du réemploi et du bâtiment, en commençant par l’intervention en situation sécurisée. En étroite collaboration avec Émilie, médecin du travail spécialiste des risques professionnels et de santé, il leur apprend quels outils et quelles protections utiliser. Car sur les chantiers, non seulement il y a des risques à évaluer, mais il y a des procédures à respecter, vis à vis du client, le maître d’ouvrage, de l’architecte comme du maître d’œuvre, chargé de la conception.

Lorsque toutes les règles de sécurité ont été maîtrisées, l’apprentissage de la dépose méthodique des premiers matériaux peut alors commencer : c’est le travail des cureurs, qui arrivent en amont, avant la démolition. « On récupère tout ce qui est bon, il faut donc faire attention quand on démolit, il ne faut pas tout casser », explique Demba, 31 ans, logisticien, Français d’origine malienne, en contrat d’un an avec RéaVie. Les cureurs, à Châtenay, ils seront une quinzaine, travaillant dix heures par semaine, puis tous les jours, lorsqu’il a fallu démonter le grand amphi. Depuis, certains ont pu poursuivre leur formation ou trouver un contrat avec des structures déjà existantes. « L’idée est de les garder au moins trois mois, le temps de développer le vivre ensemble, insiste Mohamed Hamaoui. L’important est de leur donner le sens du projet et de leur donner les moyens d’y adhérer. »

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Sur le Plateau Urbain Collaboratif d’Antony, Demba, logisticien et « valoriste », découpe une fenêtre provenant du chantier du Grand Paris pour récupérer une partie du chambranle. Arrivé en France il y a huit ans, ce travailleur malien a multiplié les emplois précaires avant d’être embauché en CDD par RéaVie et de trouver un logement au Bourget dans un foyer de jeunes travailleurs.

Troisième ambition : créer un réseau de formations continues et de collaborations solidaires avec les associations de l’ESS

L’intégration, François-Xavier la vit au quotidien. Heureux de retrouver les chantiers et l’ambiance de camaraderie qui y règne, il est le premier à partager ses compétences avec ses collègues : « Cette petite expérience me sert autant pour aller démonter mes robinets que pour donner des conseils. J’essaie toujours de me perfectionner, j’apprends autant que j’apprends aux autres. C’est un échange. » Apprendre à ceux qui ont été formés à former à leur tour, pour que cela devienne un geste naturel. Sur le chantier d’Ivry-sur-Seine où RéaVie intervient pour le compte de Grand Paris Aménagement, l’aménageur du Grand Paris, c’est au tour de Demba de former Majid, 42 ans, le troisième ouvrier à avoir intégré l’association. « On a fait trois bâtiments de 13 étages et on a démonté tous les radiateurs, raconte ce dernier. Ça fait 1000 radiateurs à rassembler ! On les a laissés sur place dans un container puis on les a transportés par camion ici à Antony, après être passé par Châtenay-Malabry où on les a nettoyés. »

Une fois la dépose effectuée, l’étape suivante consiste à stocker les matériaux collectés dans des zones dites de massification. Pour faire face à leur accumulation, RéaVie a rejoint le Plateau Urbain Collaboratif d’Antony, un collectif d’associations installées dans les anciens entrepôts d’Universal, la grande maison de disques. Là, l’équipe apprend à les trier, les identifier, puis les réparer, les nettoyer afin de leur donner une seconde vie.

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Émilie Swidersky, en train de « retaper » une échelle au sein des ateliers de revalorisation. Médecin du travail et membre bénévole du conseil d'administration, elle est en charge des sujet de sécurité, de protection et de santé au sein de Réavie.

 

Ce travail de « valoriste » permet à RéaVie de revendre ces matériaux recyclés à petit prix (plus de 50% inférieurs à ceux du marché) à des particuliers ou à des professionnels, avec des certificats de qualité, dans des boutiques ouvertes au grand public, organisées selon des rayons classiques (électricité, plomberie) sur les plateformes de l’association. De véritables cavernes d’Ali Baba où l’on peut acheter à petits prix des robinets, des lavabos, des poignées de portes, des extincteurs, mais aussi beaucoup d’appareillages électrique très recherchés : des prises encastrées, des blocs de secours, des disjoncteurs de marque ou encore des luminaires industriels authentiques à 40 € seulement. Des produits que l’on aussi retrouve sur Internet, sur la page Facebook de RenouVo, la marque des matériaux de réemploi reconditionnés et revendus par RéaVie, ainsi que sur le site de son partenaire Cycle Up.

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Ce magasin des produits recyclés des chantiers, accessibles aux particuliers comme aux professionnels, a été ouvert par RéaVie le 6 avril 2019 sur le site du futur écoquartier LaVallée, à Châtenay-Malabry.

Autre clé : soutenir les autres associations de solidarité ou agissant pour une économie alternative

L’originalité de la démarche, c’est que tous ces articles sont accessibles à prix libres à des associations de l’ESS moyennant adhésion (75 € l’année en 2018). Sur le Plateau d’Antony, l’espace de restauration alternatif dirigé par Claudia a ainsi pu bénéficier à moindre coût de gros matériels et d’équipements de cuisine récupérés et recyclés. Depuis la création de RéaVie, elles sont déjà une quinzaine d’associations à avoir profité de ce dispositif, parmi lesquelles le restaurant solidaire Le Faitout à Montreuil ou le marché alternatif et solidaire Colonie à Argenteuil, que RéaVie a contribué à rénover. Les meubles de design Maximum, fabriqués à partir de chutes, pertes et rebuts des productions industrielles, ont construit leurs bureaux à partir de portes de vestiaires, des gonds, des vitrages, de la verrière, des chemins de câbles, des isolants, des luminaires et des parquets de Centrale Supélec ; grâce aux matériaux recyclés de l’école, le collectif Yes We Camp (construire, habiter et utiliser des espaces partagés), a pu réaliser une partie de l'éclairage et du mobilier de la cuisine du restaurant des Grands Voisins : L’Oratoire.

Tous ces projets de réemploi peuvent demander un accompagnement. À Antony, Mohamed Hamaoui collabore régulièrement avec les architectes présents sur le Plateau : « Nous leur proposons de venir visiter nos plateformes et de limiter les achats sur leurs chantiers en composant avec certains de nos matériaux. C’est l’occasion d’inverser la manière de concevoir. » Ainsi, lorsqu’Alexis, de Pimp Your Waste, présente un projet d’espace détente au célèbre serrurier d’art parisien Rémy Garnier, c’est Mohamed qui va suggérer et fournir, pour la fabrication des panneaux, du parquet que son équipe aura récupéré et nettoyé. Mais si l’association soutient essentiellement l’émergence de projets locaux en Île de France, le plus gros chantier solidaire à ce jour reste celui effectué pour le compte de l'Université du Sine Saloum El-Hâdj Ibrahima NIASS (USSEIN) au Sénégal : RéaVie y a livré en janvier 2019 par container les 1200 sièges des 7 amphithéâtres de l'École Centrale, déposés boulon par boulon, éléments par éléments, et cédés au prix du transport.

Enfin, RéaVie organise des ateliers participatifs ouverts à tous, basés sur l’entraide solidaire et l’échange de compétences. Ainsi, sur le site en construction de LaVallée, ce sont les riverains des jardins partagés Cultivons Châtenay qui sont venus fabriquer du mobilier de jardin à partir de palettes de récupération, sous la houlette des bénévoles de l’association. « Ces ateliers ont été une réussite, se félicite Laurent, le responsable de cette initiative citoyenne. En plus du matériel, RéaVie nous a apporté la compétence technique et l'encadrement nécessaire ». Les membres de Zone-AH &Co-Système –  association qui agit pour la réintroduction de l'agriculture et du partage dans les écosystèmes urbains – ont quant à eux construit des tables de tri « upcyclées » – c’est-à-dire fabriquées à partir d’objets inutiles ou devenus tels.

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Les sympathisants de l’association Cultivons Châtenay, en plein assemblage de bacs de culture, sous l’œil attentif du président Hamaoui et d’un bénévole. RéaVie leur a fourni les outils et le matériel : des palettes et des lattes de plancher récupérées par les « valoristes » lors de la démolition de l’École Centrale.

Et un nouvel enjeu : consolider la réinsertion professionnelle

Tout, bien sûr, n’est pas rose. Pour que le réemploi devienne la norme, encore faut-il que le grand public soit sensible aux problèmes liés aux déchets. « Même si les achats de matériaux reconditionnés sont maintenant monnaie courante, il reste encore beaucoup de freins psychologiques liés à la qualité des produits issus des chantiers et à l’absence de réglementation », constate Mohamed Hamaoui. D’où, sans doute, la nécessité de nouvelles dispositions légales.

Réavie est éligible à des subventions d’investissement de la part de la Région Île-de-France. Mais l’association fonctionne essentiellement grâce à des fonds propres, issus de ses prestations : conseil et accompagnement des maîtres d'ouvrage pour répondre à des appels d'offre ; formation aux techniques du réemploi ; diagnostics ressources concernant les divers matériaux ; interventions sur les chantiers pour effectuer la dépose de ces matériaux jusqu’à leur vente sur les plateformes une fois reconditionnés, etc.

Les nouveaux « valoristes » sont les premiers à profiter de ce large panel d’activités, qui permet désormais à certains d’entre eux, selon l’importance des chantiers, d’être embauchés en CDD. « Ce temps partiel, c'est l'idéal, ça me permet d'aller à mon rythme, souligne François-Xavier. Franchement, pour l’instant, je ne pouvais pas trouver mieux que cette belle organisation ». Et ils bénéficieront tous bientôt d’un accompagnement individuel, notamment pour la recherche de logement, puisque l’association est en cours de conventionnement pour être reconnue entreprise d’insertion.

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Données en plus

Une vingtaine d’habitants de Châtenay-Malabry et des communes voisines ont bénéficié jusqu’à présent de 2200 heures d’insertion professionnelle.

La démolition de l’École Centrale à Châtenay-Malabry est un chantier d’envergure : 20 hectares de bâtiments, destinés à être rasés et concassés, soit plus 100 000 tonnes de déchets et de gravats qui resserviront à la construction des voiries et des infrastructures d’un écoquartier dont la livraison est prévue en 2024.