C’est en s’inspirant du professeur Mohammed Yunus qu’un couple d’entrepreneurs écossais a construit un réseau de cafés, dont les piliers sont la réinsertion des SDF et la redistribution des bénéfices. Un modèle qui convainc de plus en plus de citoyens.
Dans les rues d’Édimbourg, les salons de café à l’enseigne verte et à la devanture couleur bois ne surprennent plus personne. Bienvenue chez Social Bite, un café pas tout à fait comme les autres. Comme chez ses concurrents Starbucks, Eat ou Prêt à Manger, vous y trouverez votre café latte, vos sandwiches aux céréales et la salade pour caler votre déjeuner. Un coffeeshop des plus classiques, en somme. À une différence près : en achetant votre snack, vous aidez des gens à l’autre bout de la planète ou juste de l’autre côté de la rue.
Le livre « Creating a World without poverty » du Professeur Mohammed Yunus, prix Nobel de la paix et inventeur du micro-crédit, est à la base de cette initiative sociale. Cet ouvrage, qui vise à promouvoir le capitalisme social, a changé la vie d’Alice et Josh Littlejohn. C’est en effet après l’avoir lu qu’ils décident de partir au Bangladesh pour rencontrer l’intellectuel-écrivain. Lors de ce voyage « initiatique », ils visitent des entreprises qui pratiquent les préceptes du Professeur Yunus. C’est décidé, Alice et Josh vont les importer en Écosse.
Une entreprise au secours des sans-abris
À leur retour, en août 2012, ils vendent leur entreprise évènementielle et leur maison afin d’ouvrir leur premier salon de café à Édimbourg. Josh résume leur pari de l’époque, toujours juste aujourd’hui : « Si l’on arrive à proposer des produits de qualité et un excellent service, mais avec comme ambition de changer le monde, on arrivera peut-être à convaincre nos futurs clients de nous choisir ». Première réussite : très vite, ils arrivent à s’offrir les services d’un chef étoilé réceptif à leur initiative, Mike Mathieson, pour la conception des « petits » plats. Ou quand le social et le haut de gamme s’associent… Au menu, justement : le salon de café initie le concept du « café suspendu », aujourd’hui de plus en plus répandu à travers le monde. Principe simple : au lieu d’acheter une unique boisson chaude, vous en achetez deux ; le serveur vous remet votre boisson, l’autre sera proposée à une personne qui n’a pas les moyens de se l’offrir.
Quelques semaines après l’ouverture du coffee shop, l’aventure prend une toute autre dimension. « Nous avons fait la connaissance d’un jeune homme SDF qui s’est présenté au comptoir et nous a demandé si nous avions un job à lui proposer, explique Josh. Nous l’avons pris avec nous. Tout s’est très bien passé. Puis un jour, je lui ai demandé s’il connaissait quelqu’un d’autre dans sa situation. Il a répondu : oui, mon frère. Après l’avoir rencontré, nous lui avons également offert un travail. » Depuis, la réinsertion des sans domicile fixe est intégrée à la politique maison : la « petite » chaîne emploie quinze ex-SDF, soit un quart du personnel. « Leur réinsertion n’a pas été chose facile. La plupart d’entre eux n’ont ni papiers officiels ni compte bancaire. Ce qui peut être un obstacle pour leur employabilité », explique Josh. Afin de contourner les difficultés administratives, l’entreprise s’est engagée à accompagner ses salariés dans leur recherche d’hébergement, à les aider à ouvrir un compte à la banque et à mettre de l’ordre dans leurs papiers.
Redistribution des bénéfices et solution concrète
Une fois les comptes équilibrés et les salaires payés, pour aller plus loin Alice et Josh versent la totalité de leurs bénéfices à des associations de solidarité et à des projets humanitaires. C’est ainsi qu’ils financent un hôpital spécialisé dans les maladies oculaires au Bangladesh, une fondation qui fournit des micro-crédits à des femmes en Afrique mais aussi des associations, plus proches géographiquement, qui luttent contre les ravages de la pauvreté en Écosse. Ces différentes actions démontrent qu’il est possible de générer des revenus, de créer de l’activité économique, tout en ayant un impact social sur la société. Ce qui ne va pas sans quelques interrogations… La prise en charge croissante de la problématique sociale par des entreprises privées est-elle corrélée au désengagement progressif de l’Etat vis-à-vis de la protection sociale ? Est-ce une dynamique viable, ou souhaitable ?
Quoi qu’il en soit, Alice et Josh apportent une « première » solution concrète à la pauvreté qui frappe en Écosse, comme partout. Ce qui ne manque pas d’avoir un écho auprès de clients, de plus en plus concernés par ce type d’engagement. D’ailleurs, le modèle Social Bite essaime : d’autres succursales sont en cours d’ouverture en Écosse et dans le reste du Royaume-Uni.
(Les propos de Josh Littlejohn ont été recueillis sur le site We are salt.)