Retour sur une expérience menée au centre hospitalier de Haut-Lévêque, à Pessac, où des œuvres d’art contemporain issues de l’artothèque ont été accrochées sur les murs. De quoi susciter un autre type de dialogue entre soignants et soignés, informel, déstressant car plus équilibré.
En ce mois de décembre 2020, le père Noël est arrivé avec trois jours d’avance au service de radiothérapie du CHU de Bordeaux à Haut-Lévêque (Pessac). Dans la hotte d’Alexandre, médiateur des Arts aux murs, l’artothèque de Pessac, une quinzaine d’œuvres d’artistes contemporains prêtées pour une durée de quatre mois. Dans le hall d’entrée du service, Florence Proust, dosimétriste très investie dans ce partenariat, est impatiente de découvrir les tableaux qu’elle et ses collègues ont sélectionnés parmi le fonds de l’artothèque. « Avec le confinement, nous avons dû choisir les œuvres à distance. Nous allons enfin pouvoir les découvrir en vrai ! », se réjouit-elle.
Des œuvres pour éclairer les lieux et susciter des discussions
Première œuvre installée ce jour-là, 22 décembre, un joyeux chat de l’artiste Alain Séchas, poing levé et yeux écarquillés, qui vient orner l’espace d’accueil destiné aux enfants. Chaque œuvre s’accompagne d’un cartel de présentation de l’artiste et de sa démarche. Dans la salle d’attente des consultations, Alexandre installe ensuite une sérigraphie de l’artiste Ghada Amer avant de vérifier son alignement. D’origine égyptienne, la plasticienne a retravaillé dans un esprit pop art la photo d’un couple souriant, en ajoutant de la broderie blanche.
Une discussion s’engage avec les malades présents. « Derrière son aspect très coloré, cette pièce traite d’un sujet grave : la situation des femmes et les relations de couple au Moyen-Orient », explique Alexandre. « Je ne connaissais pas cette artiste, mais j’ai apprécié cette présentation, confie un patient. Cela permet d’oublier un peu pourquoi nous sommes ici, c’est un petit moment d’évasion. » Le médiateur aime valoriser le propos de l’artiste, mais sans pour autant lui donner trop d’importance, afin de mieux laisser chacun interpréter les pièces selon ses désirs ou centres d’intérêt. Ne pas proposer uniquement à l’accrochage des œuvres séduisantes au seul plan esthétique est également pour lui assez essentiel.
« Il est important d’avoir une offre culturelle de même niveau qualitatif que ce que le patient peut trouver en dehors de l’hôpital », renchérit Lucile Renaud, chargée de l’action culturelle au CHU. Mis en place dans le cadre du dispositif national Culture et Santé, le partenariat entre le CHU et l’artothèque bénéficie du soutien de la DRAC (Direction régionale de l’action culturelle), de l’ARS (Agence régionale de santé) et de la Région, ainsi que du soutien de la Ligue contre le cancer.
Un moment pour « sortir » du contexte médico-technique
L’équipe du Centre est consciente que l’enjeu de l’accrochage dépasse l’aspect décoratif. C’est aussi un moment privilégié pour présenter les œuvres à l’équipe et aux patients atteints de cancer venus suivre des séances de radiothérapie. « Cela permet d’engager une discussion sur un autre plan que la relation asymétrique entre le soignant et le soigné, insiste Aymeri Huchet, le radiothérapeute, à l’origine du projet avec Françoise Proust. Face à une peinture ou un dessin, nous sommes tous sur un pied d’égalité. »
Jean-Bernard Boutolleau, cadre de santé, tient quant à lui à rappeler le contexte de travail des équipes, qui est aussi celui de cet accrochage. Ce service peut accueillir quotidiennement jusqu’à 200 patients qui suivent un parcours lourd et éprouvant. « Ici, nous sommes entourés d’ordinateurs, d’accélérateurs de particules et de scanners. Dans cet environnement très technique, l’art apporte véritablement un plus. »
Plusieurs membres du personnel du centre de radiothérapie sont à l’origine de cette initiative. « Lorsque nous avons emménagés dans ce nouveau bâtiment en 2012, les murs étaient encore nus, se rappelle Florence Proust, la dosimétriste. Nous souhaitions avoir autre chose que des posters ou des publicités, alors nous avons écrit une lettre au service culturel du CHU. » Après plusieurs échanges et pas mal d’interrogations, le partenariat avec l’artothèque s’engage en 2016. Le dispositif a depuis suscité une forte implication des membres du service de radiothérapie.
Plus d’une vingtaine des soixante-dix salariés – secrétaires, aides-soignants, médecins, physiciens, etc. – participent au choix, en sélectionnant des œuvres qu’ils apprécient parmi celles proposées par l’artothèque. Florence Proust se rappelle encore de la première réunion à l’artothèque, où les salariés ont découvert une cinquantaine de pièces d’art contemporain, et le lien fort qui s‘est créé au sein de l’équipe autour du projet. A chaque renouvellement, le choix des œuvres génère des débats entre les collègues. Et au gré de ces échanges, une véritable dynamique collective s’est mise en place. Depuis son lancement, l’initiative a porté ses fruits, essaimant dans six autres services du CHU de Bordeaux qui ont adopté cette démarche. Avec des bénéfices tant pour les patients que pour le personnel de l’hôpital.
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Données en plus
15 œuvres accrochées, deux ou trois fois par an dans le service de radiothérapie.
Budget de 2700 €, financé grâce au soutien de la DRAC, l’ARS et la Région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de l’appel à projets régional « Culture et Santé », avec en plus une aide complémentaire de la Ligue contre le cancer.
4000 patients accueillis par an dans le service de radiothérapie.
25 salariés ont participé à la sélection des œuvres.