De façon plutôt informelle et en complément des soins hospitaliers, L’Atelier accueille des femmes et des hommes touchés par un cancer, quel que soit le stade de la maladie. Pour nombre d’entre eux, ce lieu du sixième arrondissement parisien devient vite un oasis. Il apaise un quotidien trop souvent douloureux ou angoissant, et parfois rompt l’isolement provoqué par la maladie.
« Ici, ce qui est formidable, c’est qu’on n’est pas à l’hôpital » : tel est le type de phrase que l’on entend au hasard des conversations qui fleurissent dans L’Atelier. Établissement de la Fondation Cognacq-Jay, ce lieu s’est installé rue Notre-Dame-des-Champs à Paris en Octobre 2019, doublant ainsi sa capacité d’accueil à peine deux ans après sa création par le docteur Clémentine Villeminey, praticien hospitalier à l’hôpital Cochin, Véronique Durouchoux, psychologue clinicienne qui exerce essentiellement en cabinet, et Thibaut Tenailleau, aujourd’hui directeur général de l’Hôpital franco-britannique à Levallois-Perret.
Certains ont connu le lieu par leur médecin ou leur hôpital, d’autres en écoutant un sujet à la radio, ou sur les conseils d’une amie. Il s’agit en majorité de femmes venant de l’île de France, qui n’hésitent pas pour certaines à faire de longs trajets pour passer une demi journée ici.
Un grand salon accueillant, des livres, un espace où se faire réchauffer de la nourriture, etc. : tout est fait pour que chacun se sente un peu chez soi et puisse rester le temps qu’il souhaite. Le but : rompre l’isolement dans lequel les a plongé la maladie, partager son expérience, faire des rencontres, mais aussi se renforcer et prendre soin de soi pour se reconstruire. « Ici la maladie est une expérience commune et non plus un sujet, bien sûr on échange sur des crèmes ou des conseils pour apaiser les effets secondaires des traitements. Mais l’essentiel, ce sont les liens qu’on tisse, la convivialité du lieu et son accueil presque familial, avec beaucoup d’écoute et d’humanité », résume une bénéficiaire.
« Il est essentiel de préserver ce cadre non hospitalier » insiste Fanny Rault, directrice de l’Atelier. Initialement inspiré des Centres Ressource fondés par Jean-Loup Mouysset et son équipe, cet espace suit désormais son propre chemin et développe un programme personnalisé, animé par des professionnels : Mieux vivre sa vie avec un cancer.
Chaque personne qui arrive ici pour la première fois est reçue en entretien personnalisé, par des bénévoles se chargeant de l’accueil ou le plus souvent par Karima, une ancienne infirmière qui rassure autant par sa formation que par son caractère très doux. « Je ne regarde pas le dossier médical, explique-t-elle, mais on évalue ensemble l’état de la maladie, les effets du traitement, les besoins et les attentes ainsi que la situation financière. » Moyennant une participation libre, autour de trente euros par mois ou bien nulle si la personne s’avère en situation de précarité, chacun peut participer à un nombre illimité d’activités. « Le but de l’entretien est aussi de déterminer les ateliers les mieux adaptés aux symptômes et à l’état physique de la personne, comme à ses horaires et son lieu de résidence. »
Si Karima est coordinatrice et salariée à temps plein, l’accueil et les ateliers sont assurés par des bénévoles. Jean, médecin à la retraite et voisin, s’occupe par exemple de l’accueil une fois par semaine. « S’occuper des autres, c’est bon pour soi », dit-il. C’est aussi ce qu’a l’air de penser Marie, jeune productrice de court-métrages qui, après avoir fait un service civique d’un an à L’Atelier, a senti le besoin de revenir faire du bénévolat. « L’expérience humaine, les rencontres, la chaleur des relations tout ça m’a manqué », confie-t-elle.
Financé en partie par la Fondation Cognacq-Jay qui prend en charge les locaux, L’Atelier compte, en complément, sur du mécénat ou les dons de particuliers.
En centralisant ses différentes activités dédiées au mieux être, L’Atelier permet à chacun de réapprendre à écouter un corps soumis à l’épreuve de la maladie et à la dureté des traitements. Les activités proposées sont regroupées en 5 familles d’ateliers : mise en mouvement, détente et équilibre, mise en beauté, activités créatrices et soutien psychologique.
Les activités de « mise en mouvement » proposent chaque semaine, entre autres, plusieurs ateliers de Yoga et de Pilates. Comme le dit avec le sourire François, intervenant bénévole et professeur de Pilates qui adapte ses exercices à la situation de chacun : « On ne fait pas de la chouchou-thérapie… Il faut allier détente et courbatures afin de retrouver des sensations corporelles et des douleurs voulues par l’effort physique. Le but est de continuer l’activité physique tout au long et au-delà de la maladie. »
L’Atelier est un lieu où chacun peut parler, partager, bouger, pleurer et rire.
Et pourquoi pas danser, avec Aude, fondatrice de l’association Elles dansent, qui propose des ateliers de salsa une fois par semaine. « Faire une pause sur le 4ème et le 8ème temps, déhancher sur les autres, c’est reprendre un peu le dessus sur son corps, de façon consciente, et cela aide à traverser autrement la maladie ». Et il n’est pas rare que des bénévoles de l’accueil ou un membre de la famille se joignent au cours pour partager la joie et l’énergie des rythmes latinos.
« À l’hôpital, les médecins s’occupent de ma maladie, mais moi je n’y existe plus, je n’y suis au mieux qu’une patiente, au pire un dossier », s’exclame cette jeune femme en atelier de méditation. Ici, on tente au contraire de remettre la personne au centre, pour favoriser l’impact positif du psychique sur la maladie. « La méditation n’est jamais ratée, elle ouvre un espace où il n’y a ni échec ni objectif de réussite, cela libère les personnes soumises à une sémantique médicale qui renvoie à la performance : analyse, examens, bilan, chiffres, taux, combat, etc. », explique Clarisse qui anime ces ateliers. « Avec la méditation, on se pose en haut d’une montagne pour admirer un paysage où tout a sa place : les émotions, la douleur, l’injustice de la maladie, les relations familiales. On apprend à apprivoiser sa peur et à trouver un équilibre entre une solitude incontournable et une relation aux autres indispensable. »
Détente et relaxation individuelle, via des massages, de la sophrologie, de l’hypnose ou de l’ostéopathie. Pour beaucoup, c’est d’abord accepter de prendre un temps pour soi, découvrir des pratiques qui apprennent à mieux se connaître. « Les Indiens disent que prendre soin des pieds », c’est prendre soin de soi de façon très profonde, explique Alain qui dispense bénévolement des massages ayurvédiques. « En acceptant de se laisser toucher physiquement, les patients se laissent toucher émotionnellement. L’énergie se remet à circuler, les émotions aussi, et c’est la vie qui reprend. Le travail sur les pieds génère un ancrage, un enracinement qui apaise le mental, permet de faire le vide dans les pensées. Et la plus belle des récompenses, pour moi, c’est de voir cette transfiguration du visage après le massage, de partager cette émotion avec le patient. »
« Le vêtement est la première surface sociale. Quand on est pas bien, fatigué ou malade, on s’en désintéresse, au risque de renforcer l’isolement dont on souffre déjà », explique Anne-Cécile, qui anime l’atelier de stylisme médical personnalisé, qui fait partie de la famille « mise en beauté ». Par petits groupes de trois ou quatre personnes, Anne-Cécile aide à trouver des solutions pour renouer avec le plaisir de s’habiller en dépit des cicatrices, des brûlures ou des chutes de cheveux. Ce qui passe aussi, comme sur la photo ci-dessus, par des séances où chacune construit ses planches de tendance, selon ses goûts, ses couleurs et ses matières préférées.
Les entretiens occasionnels en face à face, le suivi d’un psychologue, d’une conseillère conjugale ou d’une assistante sociale, jusqu’à un atelier de retour à l’emploi permettent aux patients de prendre du recul, de se décharger de leurs angoisses de retour dans la vie active. C’est un soutien essentiel, qui parfois aide à se réorienter dans ses choix. « Il faut aller au delà du mieux être, explique Fanny Rault (en photo ci-dessous). L’enjeu est de casser le ressentiment de la maladie pour gérer la phase psychologique entre guérison et rétablissement, ou apprendre à faire avec la chronicité de la maladie. »
L’Atelier accueille une centaine de participants par semaine, avec une file active de 400 personnes par an. « On est plébiscité par nos bénéficiaires mais il y a encore de gros chantiers pour 2020 », précise Fanny. « Augmenter la mixité hommes femmes par une communication et de nouveaux ateliers plus ciblés auprès des hommes. Veiller à maintenir aussi la mixité sociale et de génération en développant encore nos liens avec les centres d’accueil de la ville de Paris, la Ligue contre le cancer ou encore la maison rose. Et puis, poser les bases d’une évaluation interne, centrée sur les bénéficiaires et l’impact des ateliers sur leur qualité de vie. Cela permettrait de mieux adapter l’offre des ateliers. » Et de leur donner une vraie légitimité, plus scientifique peut-être, mais sans jamais oublier l’essentiel : au-delà des épreuves communes à toutes et tous, le plaisir de partager des moments de vie.