Initié par l’Institut Catholique de Lille et sorti de terre en l’espace d’une décennie, Humanicité est un quartier d’innovation citoyenne situé sur les communes de Lomme et Capinghem, à la périphérie de Lille. Cette initiative à l’échelle d’une petite cité est un laboratoire du vivre-ensemble unique en France, faisant le pari d’une forte mixité sociale avec toutes sortes de publics fragilisés. Reportage en dix-sept photos.
Maxence Thiberge
Ce 15 septembre 2018, c’est la journée mondiale de ramassage des déchets. Les volontaires se sont donnés rendez-vous aux Ateliers Humanicité. Initié voici près de quinze ans par l’Institut Catholique de Lille sur une réserve foncière de l’hôpital Saint-Philibert, ce pôle d’innovation urbaine et citoyenne vise à remettre les populations fragiles et vulnérables au cœur de la cité. Avec un enjeu qui est désormais partagé par les acteurs qui se sont impliqués dans l’aventure : recréer du vivre-ensemble.
Maxence Thiberge
Parmi les habitants volontaires venus nettoyer les rues et espaces verts, des familles côtoient des résidents de l’Abej Solidarité, une association baptiste qui offre un logement à des accidentés de la vie, anciens SDF ou personnes en situation de handicap psychique. Dans la grande salle des Ateliers Humanicité, quelques personnes malentendantes plaisantent lorsqu’il s’agit d’enfiler les gilets fluo. Elles vivent en bon voisinage avec l’Abej, dans la résidence Émeraude située juste au-dessus des Ateliers.
Maxence Thiberge
Les habitants s’attaquent aux déchets laissés sur la Noue, grand fossé vert qui collecte les eaux de pluie. En 2019, la Métropole européenne de Lille devrait récupérer la propriété de la voirie et des réseaux, les municipalités de Lomme et de Capinghem se chargeant de l’éclairage public et des espaces verts. « La promesse de faire travailler ensemble bailleurs sociaux, propriétaires fonciers, directeurs d’établissement et collectivités n’est pas toujours simple à tenir, notamment pour la gestion des déchets », explique Jean-Gabriel Prieur, qui préside l’Association Syndicale Libre Humanicité, le syndic des syndics des copropriétés du quartier.
Maxence Thiberge
C’est l’heure du premier bilan après les opérations de ramassage sur le parvis de l’Accueil Marthe et Marie. Les résidents du centre Hélène-Borel, un foyer d’accueil médicalisé pour personnes en lourd handicap moteur, ouvert dès 2011 dans le quartier Humanicité, font partie des courageux venus arpenter les trottoirs. L’ambiance est bonne, et tous les bénévoles (éducateurs, habitants, etc.) doivent se retrouver ensuite aux Ateliers Humanicité pour un pique-nique de clôture.
Maxence Thiberge
À travers la dimension living lab des Ateliers, Humanicité essaie d’inclure les habitants dans leur multiplicité : familles, étudiants, grands seniors, personnes en situation de handicap, etc. « C’est un travail de tous les jours et cela constitue pour nous également une recherche : est-ce qu’il est possible de vivre ensemble avec des publics très diversifiés ? Quelles sont les méthodologies, les outils, les projets, qui peuvent être mis en œuvre avec une réelle participation des usagers ? », confie Thérèse Lebrun, à l’initiative du projet dès 2003, et rectrice de la Catho (comme on appelle l’Institut Catholique de Lille et son Université). Ces enjeux sont régulièrement discutés au sein des comités stratégiques qui orientent la gouvernance du quartier.
Maxence Thiberge
La plupart, pour ce World Clean Up Day, ont eu l’information par Julie François, médiatrice sociale de quartier de l’association Citéo qui a porté l’initiative. « J’ai invité des personnes du quartier à l’organiser avec moi, mais l’objectif est qu’elles puissent l’organiser sans moi. » Depuis bientôt trois ans, Julie fait de la présence active de proximité, maraude, discute avec les habitants, évalue les dysfonctionnements. Elle accompagne aussi des projets collectifs. « Ce qui m’intéresse, c’est la coélaboration de projets, le faire ensemble, tous au même niveau. Le quartier est neuf, il faut rêver. »
Maxence Thiberge
La veille, le vendredi 14 septembre, Julie François a coordonné l’organisation d’un « café signe » dans les salons tout neufs de la résidence Happy Senior, une maison pour retraités autonomes qui a ouvert en décembre 2017. L’objectif est d’accompagner l’initiative portée par deux animateurs, un habitant malentendant et une salariée de l’Abej, qui souhaitaient créer un temps mensuel convivial, afin d’apprendre la langue des signes à tous ceux en ayant le désir. Le quartier est un lieu de convergence pour malentendants, car l’EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) Saint-François de Salles accueille 42 personnes sourdes de naissance.
Maxence Thiberge
Certains des encadrants sont spécialisés dans l’accompagnement des sourds entrant en EHPAD ou le sont eux-mêmes de naissance. L’ensemble du personnel est spécialement formé à la langue des signes française, notamment à l’école IF Santé de la Catho qui se trouve également à Humanicité. L’assemblée des habitants, qui se réunit tous les six à huit semaines, propose ainsi une traduction en langue des signes de manière à réellement intégrer cette population dans les processus de mise en commun du quartier.
Maxence Thiberge
Atelier tricot à l’Accueil Marthe et Marie. Cette maison fut l’un des premiers bâtiments du quartier à ouvrir il y a sept ans, suite à une volonté de la Catho d’avoir une présence d’église. Une chapelle à l’étage propose en effet messes et temps de prière. Elle communique directement avec la maison médicale Jean XXIII pour personnes en soins palliatifs et fin de vie. La maison d’église propose un espace de détente, le temps d’un café ou d’un goûter, tandis que son forum accueille des événements du quartier, comme des concerts, des cours de chi gong, des expositions, etc.
Maxence Thiberge
Directrice de l’Accueil Marthe et Marie, Carine Cacornac explique le rôle de ce lieu dans le quartier : « Certains, au Centre Hélène-Borel, doivent diriger leur fauteuil avec leur menton. Quand nous les recevons, ils sont juste eux-mêmes, sans soins, sans kiné. Ils peuvent dès lors prendre leur temps et dire des choses qu’ils ne disent pas ailleurs. » Pour Carine Cacornac, ce nouvel ensemble urbain oblige à repenser jusqu’où une structure comme la sienne peut imaginer laisser son personnel aller vers le quartier. « Il faut un “savoir être” pour travailler à Humanicité. »
Maxence Thiberge
Installés dès janvier 2014, Elisabeth et Jean-Gabriel Prieur figurent parmi les premiers propriétaires du quartier. Tous deux étaient intéressés par le projet, qui correspondait à la philosophie d’un engagement qu’ils avaient mené auparavant avec ATD Quart Monde. Jean-Gabriel Prieur, qui préside désormais l’association syndicale libre du quartier, définit son objectif : « Réduire l’écart entre la promesse qui a été faite, d’un éco-quartier qui pense le vivre-ensemble avec le handicap et la dépendance - quelque chose d’assez ambitieux - et la réalité telle qu’on la vit. »
Maxence Thiberge
Des fenêtres de chez les Prieur, on constate que le quartier est séparé de Capinghem par un à deux kilomètres de champs. « En 2012 le nouveau maire de Capinghem s’est fait élire en véhiculant le message “Attention, Humanicité danger” », dit Jean-Gabriel Prieur. Elisabeth Prieur poursuit : « Faire la jonction entre un bourg essentiellement constitué de pavillons à la population plutôt vieillissante, et un quartier neuf, plus urbain, avec une forte mixité sociale, a pu effrayer. » La municipalité a donc bloqué le plan local d’urbanisme et mis en sommeil la construction d’une voie douce faisant le lien entre le bourg du village et le métro lillois...
Maxence Thiberge
Portrait du groupe qui a conçu et réalisé petit à petit le livret d’accueil des habitants d’Humanicité. Pour la plupart, les membres de ce comité ne se connaissaient pas avant de se mettre à la tâche. Les Ateliers les ont accompagnés pour coordonner la coconception du livret, en leur proposant des modalités pour apprendre à s’entendre, accueillir de nouveaux collaborateurs, puis organiser la coélaboration, réaliser leur plan de financement, leurs demandes de subventions, etc. Ce document de présentation du quartier a été publié cet automne 2018.
Maxence Thiberge
Ludovic Delplace, résident de l’Abej Solidarité, coanime l’émission de radio mise en place à la maison médicalisée avec le groupe de recherche « Handicap, dépendance et participation sociale » de la Catho. Elle est diffusée sur la radio lilloise RPL 99 FM. « L’impact de cette émission et plus largement du projet de recherche-action a été énorme pour moi, parce que je partais d’une lourde sensation d’échec de vie. J’éprouvais une sensation d’abandon complet, je nourrissais des pensées noires du fait de mon handicap, et je peux vous dire qu’on peut saturer. Heureusement que les chercheurs et les éducateurs ne s’arrêtent pas sur les légendes urbaines que les gens peuvent imaginer sur nous. »
Maxence Thiberge
Odile Levasseur, présidente de l’association Vivre ensemble à Humanicité, a rencontré d’autres habitants grâce à un projet de jardin partagé. « En emménageant en juillet 2017, on a vite cherché un panier bio. On a découvert que les Ateliers en distribuaient. En discutant, j’ai découvert le projet de jardin partagé, et j’ai eu envie d’entrer dans le collectif qui cherchait à le monter. Ce jardin partagé, c’est une bonne excuse pour créer du lien dans le quartier. C’est le processus de réalisation en commun qui créera peu à peu le sens de notre collectivité. »
Maxence Thiberge
Inspiré de l’urbanisme de Louvain-la-Neuve en Belgique, « ce quartier a pour ambition d’être durable et responsable, de faire droit à la mixité des populations, et de faciliter notre travail universitaire, à savoir former, chercher et servir la société », explique Thérèse Lebrun, vice-rectrice en charge du projet à l’ICL. Pour cette économiste de la santé, il était essentiel de « déployer nos lieux d’expérimentation autour du vieillissement, du soin, du prendre soin, de l’accompagnement, du handicap, créant ainsi de nouveaux types d’emplois ».
Maxence Thiberge
« Nous avons réalisé les voiries qui ont viabilisé les îlots, que nous avons vendus à des promoteurs-constructeurs, avec une dimension d’intérêt social validée en amont par une commission », précise Etienne de Boisredon, en charge des projets immobiliers de l’Institut Catholique de Lille. En 2018, Humanicité c’est 2200 habitants, 255 résidents, 3 foyers d’accueil médicalisés, 60 patients à la maison médicale, une résidence étudiante, 2000 salariés et travailleurs (hôpital inclus), 1100 étudiants, et au total 900 logements. Et même si la dimension chrétienne de pas mal d’organisations est manifeste dans le quartier, les structures laïques y sont nombreuses.
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En 2018, Humanicité c’est 2200 habitants, 255 résidents, 3 foyers d’accueil médicalisés, 60 patients à la maison médicale, une résidence étudiante, 2000 salariés et travailleurs (hôpital inclus), 1100 étudiants, et au total 900 logements.