« Sanitas du Futur » est une initiative pluriculturelle qui fédère un nombre conséquent de femmes (mais également d’hommes) dans un quartier HLM de Tours défini « d’intérêt national » par l’Agence nationale de rénovation urbaine et qui va traverser de grandes transformations dans les années à venir. Mené par l’association Pih-Poh, en lien avec le Centre Social Pluriel(le)s, le programme vise l’amélioration des conditions de vie de ce quartier. Premières étapes : définir les futurs usages du quartier, sonder les désirs et identifier les besoins des 9000 habitants du Sanitas, afin que leur parole compte dans les chantiers à venir
- Maxence Thiberge
Depuis deux ans, l’association Pih Poh (hip hop à l’envers) s’installe chaque mois de juin près du marché de la place Saint Paul pour sonder les habitants sur leur « Sanitas du Futur ». Situé sur un grand parking au milieu de quatre barres d’immeubles, le marché est très fréquenté, par les gens du quartier, mais aussi par ceux qui viennent d’autres quartiers et villes périphériques. Beaucoup de barres HLM vont tomber et le marché sera déplacé, selon le projet annoncé par la ville de Tours et l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), ce qui ne manque pas de susciter des interrogations sur le devenir de la vie de quartier.
- Maxence Thiberge
Emie Perroquin, en stage de carrière sociale et animation socio-culturelle, et Ida Tesla, metteur en scène à la fibre sociale et directrice de Pih Poh, accrochent textiles et photos de l’association, pour créer un peu de convivialité dans une partie ombragée à proximité du marché. L’association propose un café, occupe les enfants, recueille désirs et témoignages. Ainsi Régine, 50 ans, voudrait que le nettoyage urbain soit plus régulier, que les espaces verts soient mieux respectés. « Même si j’aime jardiner, je pense qu’il faut surtout des équipements pour les jeunes. » Mahmoudi abonde : « L’éducation, c’est important. Les problèmes n’ont rien à voir avec le quartier en lui-même. »
- Maxence Thiberge
Installé dans le quartier depuis une dizaine d’années, Pih Poh a identifié six nouveaux projets possibles à Sanitas : une salle des fêtes, un café associatif, un studio d’enregistrement, une cuisine partagée, un jardin à investir, un nouveau centre social. « Au départ, les demandes sont très modestes. La première réaction peut même être de véhiculer des idées fermées, qui viennent suite à un vécu très négatif, souvent à des expériences douloureuses d’incivilités dans les halls d’immeubles, etc. Mais une fois la glace brisée, on peut commencer à imaginer un avenir plus positif », analyse Ida Tesla.
- Maxence Thiberge
Construit durant les années 1960, le Sanitas est un quartier de 20 hectares qui accueille 9000 habitants. Selon l’Observatoire des inégalités, il se caractérise par un très fort taux de chômage, beaucoup de familles monoparentales, un panier alimentaire au plus bas et un revenu médian inférieur à 8000 euros par an. Le taux de logements HLM est de 93 %. L’objectif de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) est de le faire tomber à 80 %. Faut-il y voir une montée en puissance du secteur privé au détriment des bailleurs sociaux, voire la porte ouverte à une « gentrification » progressive ? C’est l’inquiétude de pas mal d’habitants, parfois désarmés face au peu d’accompagnement social dans un quartier trop souvent estampillé « quartier de la drogue ».
- Maxence Thiberge
Construit entre l’avenue Gramont, une des principales artères de Tours qui mène vers la Place de la Mairie, et les larges voies de chemin de fer qui aboutissent à la gare terminus de la ville à deux pas, le quartier du Sanitas demeure enclavé, malgré cette centralité. Une récente passerelle vient tenter d’y remédier. Le quartier reste cependant tenu à distance par le reste de la cité. Beaucoup aimeraient qu'il disparaisse, même s'ils ne l'affirment pas toujours ouvertement. Selon Meryl Septier de Pih Poh, « les habitants sont très conscients des intentions sur le quartier, alors ils s’entraident. »
- Maxence Thiberge
L’association Pih Poh rassemble diverses compétences et savoir-faire. Notamment Meryl Septier, une paysagiste de l’école de Versailles qui avait rencontré Ida et d’autres acteurs de Pih Poh sur le quartier des Rives du Cher quelques années auparavant. Un peu comme Ida, elle s’intéressait déjà à mettre ses méthodologies culturelles et paysagères au service de la participation citoyenne dans les quartiers populaires qui souffrent des préjugés de l’extérieur. Quant à Violette Antigny, une créatrice textile alliant son travail de recherche avec sa passion pour l'Asie et l'Afrique, elle avait déjà mené des ateliers avec les habitantes du quartier au centre social du Sanitas.
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L’équipe culturelle de Pih Poh a été rejointe par des habitantes du quartier qui s’impliquent également dans l’animation au centre social, comme Jessica Leroy, intervenante sur des ateliers maroquinerie, ou Malika Bellahcène, une bénévole qui pilote des ateliers couture. Toutes s’accordent pour rester toujours soucieuses de soutenir les idées plutôt que de les imposer, de manière à consolider la solidarité et renforcer le lien social. « Lors des interventions extérieures, j’apporte un soutien logistique bénévole et je propose des ateliers de fabrication rapide d’objets, des choses accessibles aux petits, à tous », insiste Jessica, mère de quatre enfants qui vit ici depuis vingt ans.
- Maxence Thiberge
Près de 70 nationalités cohabitent dans le quartier. Pour Violette Antigny de Pih Poh, cela constitue « une vraie richesse, tant sont forts les liens qui unissent toutes ces dissemblances ». Pih Poh a tissé un important maillage impliquant de multiples acteurs associatifs et institutionnels, dont l’association Régie Plus qui met en place des actions et des projets pour davantage de solidarité, l’amélioration du cadre de vie et l’insertion socioprofessionnelle des habitants, le Cré-Sol (Centre réseau d'économie solidaire) qui accompagne les acteurs d’un développement humain durable, et le laboratoire universitaire CITERES d’analyse des dynamiques spatiales et territoriales des sociétés.
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Le « Planitas », un petit espace partagé et ouvert de jardinières, a fédéré les associations du quartier. Voici cinq ans, Aurélie Thomas fut à l’impulsion de cette initiative citoyenne. « J’avais entendu parler des Incroyables Comestibles en Angleterre et avec mon compagnon ou voulait lancer quelque chose de semblable, mais sans créer d’association, ce qui est trop contraignant à mon goût. J’ai toqué à différentes portes, dont celle de la mairie, avant de croiser la route de Pih Poh qui menait des ateliers sur la Place de Bretagne. » Un groupe se créé alors pour sonder les habitants, et un système de vote permet de choisir le nom. « Ce sont les enfants qui ont trouvé cette contraction : Planète Sanitas ! »
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Aurélie Thomas a bénéficié de l’aide de Méryl Septier, la paysagiste de l’association Pih Poh, pour l’aider à préparer un dossier pour la mairie. La Ville leur propose un terrain de pétanque au bout du Jardin André Theuriet, un joli espace vert ouvert en 2007 dans le cadre de l’ANRU. Mais la terre, polluée depuis les remblais de la guerre, n’est pas vraiment adaptée à la culture vivrière. La paysagiste trouve la solution : installer une quinzaine de palox, ces grands bacs à pommes, qui pourront permettre de cultiver herbes aromatiques et petits légumes.
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Paul Huguen, de la coopérative d'activités et d'emploi Artefacts, a également rejoint l’aventure, apportant ses compétences en menuiserie pour rendre l’espace vert plus accueillant, construire des bancs avec du bois de récupération, une pergola et des voiles d’ombrage. « Nous avons aussi obtenu un local pour le matériel derrière la pépinière, juste à côté du Secours populaire. Et cette année, nous pouvons raccorder un tuyau à un point d’eau de la ville, ce qui facilite énormément l’arrosage ! », se félicite Aurélie Thomas.
- Maxence Thiberge
Depuis 2016, Pih Poh investit chaque automne la Galerie neuve, un espace multi-usages au pied du Centre de vie du quartier pour proposer le programme Portraits Textiles. « L’objectif, explique Violette Antigny qui pilote les ateliers, est l’accompagnement de la création de vêtements conçus et fabriqués par les habitants. Ils sont ensuite portés et photographiés dans les jardins du Sanitas. » Violette est tombée amoureuse du wax, le fameux coton africain ciré et coloré. Au printemps, Pih Poh expose les portraits dans les jardins du quartier, et collabore à l’automne avec le festival Plumes d’Afrique.
- Maxence Thiberge
« Ici c’est très intergénérationnel et multiculturel. Avec les enfants, on fait des patrons par collage, je crée de la colle naturelle pour cela, de la teinture végétale », explique Violette Antigny. En 2018, Pih Poh a organisé Textile dans la place, un événement pour transformer la place avec du textile de façon usuelle ou artistique. « On s’inscrit aussi dans différents événements, comme la journée mondiale du refus de la misère avec ATD Quart Monde, ou la journée Fraternité Générale au printemps, un mouvement pour promouvoir la fraternité à travers des actions culturelles, pédagogiques et citoyennes. »
- Maxence Thiberge
Ida Tesla passe de nombreux moments à la sortie de l’école primaire du quartier pour collecter les envies des enfants et les désirs des parents pour le quartier. « Le Sanitas défie tous les codes : ce n’est pas une banlieue, c’est au centre ; ce n’est pas homogène socialement, il n’y a pas de problèmes de mobilité… Il n’y a que la pauvreté qui serait le point commun avec les schémas habituels auxquels est confrontée l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine). Le problème vient peut-être du fait que cette instance traite tout de la même manière. »
- Maxence Thiberge
Le centre social Pluriel(le)s, à deux pas du marché Saint Paul, existe depuis 2013. Son directeur, Julien Keruhel, explique que « l’histoire des centres sociaux a été très mouvementée dans le quartier. Sur vingt ans, ce local a connu quatre centres sociaux. Plusieurs expériences ce sont succédées dans les années 2000, et avant Pluriel(le)s, il n’y avait même plus rien. » Mais si Pluriel(le)s a comblé ces dernières années un déficit patent d’action sociale, ses moyens restent limités. « Pour 9000 habitants, nous ne sommes que 12. Pour comparer, une collègue vient d’être embauchée dans un quartier prioritaire de 1500 habitants et ils sont 10. Ici on a 2 animateurs jeunesse pour 2000 jeunes. Comment faire ? »
- Maxence Thiberge
Quand on lui demande pourquoi il s’est retrouvé dans la démarche du programme Sanitas du Futur, Julien Keruhel répond : « Il faut renouveler les relations entre habitants, associations et élus, afin de valoriser l’expression citoyenne. Les gens ont envie de changement. Notre politique c’est “aller vers”, les affiches ne suffisent plus pour faire venir les gens. On le constate à travers les “porteurs de parole”, un dispositif d’animation de débats dans l’espace public sur de grands panneaux avec des animateurs d’ateliers. On mène aussi des animations pour les jeunes, plusieurs fois par an. Pour les vacances, on organise les “animactions”, pour délocaliser le centre social dans la rue, pour tous les publics. »
- Maxence Thiberge
Il arrive que Pih Poh s’improvise écrivain public de rue, comme quand Ida Tesla se retrouve à aider une mère de famille face à des documents scolaires. Une situation qui illustre des manques, malgré les efforts de Pluriel(le)s qui propose un service d’accès au droit avec une Maison de Service Au Public (MSAP) et un écrivain public. Julien Keruhel, directeur du centre social, alerte sur les risques de décrochages liés à la numérisation des démarches administratives : « Pour les quartiers prioritaires, c’est une vraie catastrophe, on rajoute de la difficulté à la difficulté, et ce n’est pas tant une affaire d’accès au matériel : beaucoup de gens ont des smartphones et pourraient y arriver. C’est plutôt l’illectronisme qui fait que beaucoup ne refont pas leurs papiers, cartes grises, permis de conduire, etc. Cela cause des problèmes graves. »
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À l’arrière de Pluriel(le)s se trouvait le Ti Studio, un petit studio d’enregistrement de musique porté à bout de bras par Yann Luc, dit Mighty Ki La. Julien Keruhel a réussi à convaincre la préfecture, la ville et le département de donner les moyens pour en doubler la superficie et l’intégrer au centre social afin d’en assurer la pérennité. Aujourd’hui, Mighty travaille pour Pluriel(le)s au titre d’un emploi « adulte-relais » de médiateur social auprès des publics fragilisés. Comme le dit Mourad dans les témoignages recueillis au marché de la place Saint Paul : « C’est très important qu’il y ait un studio d’enregistrement au Sanitas, parce qu’il y a des rappeurs. Personnellement, je fais des percussions. » Et pour Popol : « Ce serait bien qu’il y ait des danseurs. J’y viendrais souvent. »
- Maxence Thiberge
Une antenne du centre social, à 500 mètres de ses locaux principaux, accueille l’atelier maroquinerie animé par Jessica Leroy, à la tête d’une micro-entreprise. Elle vend un peu de confection et intervient en tant qu’animatrice au centre social, notamment lors des « animactions ». Elle travaille avec les participants sur le réemploi de cuir, de vieux sacs, blousons, bijoux, qu’elle réintègre dans les créations. Et elle embarque chaque année ses adhérents dans un voyage de groupe pour acheter de la matière dans une centrale à Poitiers. « Ici ce qui est bien c’est qu’on s’entraide ! », se réjouit une participante, au diapason de l’expérience de Jessica auprès de Pih Poh pour bâtir un futur à Sanitas : « Depuis 2015, et cette cette fameuse soirée où ils ont fait du bruit dans le square en bas de chez moi, de belles amitiés ce sont créées. »
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Construit durant les années 1960, le Sanitas est un quartier de 20 hectares qui accueille 9000 habitants. Près de 70 nationalités y cohabitent. Selon l’Observatoire des inégalités, il se caractérise par un très fort taux de chômage, beaucoup de familles monoparentales, un panier alimentaire au plus bas et un revenu médian inférieur à 8000 € par an. Le taux de logements HLM est de 93 %. L’objectif de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) est de le faire tomber à 80 %.