Dossier / Empowerment

LinkedOut, le réseau professionnel de ceux qui n’en ont pas

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Demba Sarambounou, promotion 3 de LinkedOut. Arrivé en France, il y a 4 ans en provenance du Mali, il est désormais en alternance chez Episaveurs en contrat de professionnalisation dans la logistique. © Thibault Desplats

Partager le CV de personnes dénuées d’emploi et de réseau, c’est le principe de LinkedOut. Un petit clic pour chacun, un grand pas pour l’inclusion sociale ? Analyse d’une plateforme numérique solidaire.

Demba Sarambounou a signé un contrat de professionnalisation chez le grossiste alimentaire Episaveurs. Ali Dewedar a décroché un travail au S.A.V. de ManoMano, une entreprise qui vend des articles de bricolage. Tous deux, issus d’un parcours d’immigration, ne trouvaient pas de solutions pour s’insérer professionnellement jusqu’à ce qu’ils rencontrent l’association Entourage et utilisent son nouvel outil numérique : la plateforme LinkedOut.

LinkedOut, le volet professionnel de l’application Entourage

L’association Entourage n’en est pas à son premier essai de solidarité numérique. En effet, son application mobile de réseau social solidaire, créée en 2016, permet aujourd’hui à 90 000 riverains et personnes sans-abri de tisser des liens de proximité, luttant ainsi contre l’isolement social (voir le reportage vidéo Un Entourage bienveillant des personnes sans abri). C’est cette expérience avec les personnes vivant ou ayant vécu dans la rue qui a conduit l’association à se préoccuper d’une autre forme d’isolement : « Les personnes précaires manquent de réseau professionnel et c’est un point que n’adressent pas ou peu les autres programmes d’accompagnement vers l’emploi », explique Marie Périer, une des responsables du « parcours candidat » de LinkedOut.

Entourage a donc lancé en 2019 un projet de plateforme numérique de partage de CV : « nous avons imaginé que ceux qui ont un réseau professionnel pourraient l’utiliser pour partager les CV de ceux qui en manquent », argumente-t-elle. LinkedOut est ainsi né en miroir de la célèbre plateforme LinkedIn, et désormais avec son soutien.

Plus qu’un partage de CV, un accompagnement dans la durée

Au-delà du simple partage de CV, LinkedOut est un programme d’accompagnement de six mois qu’intègrent des promotions de 15 à 50 candidats. Accessible aux personnes résidant à Paris, dans le 92, le 93, à Lille et à Lyon, LinkedOut compte plus de 215 000 partages de CV et quatre promotions, dont une spécifiquement tournée vers les jeunes. D’ici mars 2023, l’association espère accompagner 500 personnes vers un emploi. A ce jour, 60% des candidats ont trouvé un travail, recrutés par une cinquantaine d’entreprises différentes, majoritairement dans des métiers ayant trait à l’administration, la logistique, la distribution et le BTP.

Le parcours d’apprentissage mêle formations à la recherche d’emploi, entraînements aux entretiens d’embauche et ateliers de mise en confiance ou de motivation (journée d’intégration, voile, théâtre). En outre, il est structuré autour d’une relation continue avec un ou une coach bénévole.

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Journée d'intégration de la promotion 4 de LinkedOut. Les candidats font connaissance au stade Bauer de Saint-Ouen, dont les joueurs de l’équipe locale, le Red Star, arborent le logo de LinkedOut sur leur maillot. © Laptiste

 

Enfin, LinkedOut est plus globalement un vecteur de communication et de sensibilisation pour l’inclusion sociale. « Pour rendre visibles les invisibles, Entourage utilise le sponsoring sportif par l’intermédiaire de mécénats d’entreprises », précise Iris Delahousse, une des responsables du pôle entreprises de LinkedOut. Ainsi, le voilier du skipper Thomas Ruyant, vainqueur de la dernière transat Jacques Vabre avec Morgan Lagravière, porte le nom et les couleurs de LinkedOut. « Grâce à la course, 44 entreprises nous ont contactés et ont déposé des offres sur la plateforme », se réjouit Jean-Marc Poitevin, le fondateur d’Entourage. Et depuis la saison dernière, le logo LinkedOut s’affiche sur les maillots des joueurs du club de football le Red Star.

Des candidats qui racontent une autre histoire de France

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Loriane Kouakanou, promotion 3 de LinkedOut. Elle a quitté son pays pour venir étudier, elle est aujourd'hui à la recherche d'un emploi dans le secteur de la communication ou de l'événementiel. © Thibault Desplats

 

Mères célibataires, étudiants isolés, parcours d’immigration, ruptures de vie, aide sociale à l’enfance, les candidats du programme dépeignent le tableau d’une autre France, fragilisée, voire reléguée. Néanmoins, LinkedOut se positionne en fin de parcours d’insertion, une fois les principaux freins levés, comme l’accès au logement ou aux soins. En revanche, LinkedOut n’encourage pas les candidats à dissimuler leur parcours de précarité, mais les incite plutôt à l’assumer. Ainsi les CV mettent en avant la photo des candidats et présentent en quelques lignes leur histoire singulière. Et si ce qui pourrait être perçu comme un handicap devenait un atout ?

L’histoire de Laith Bouziane, par exemple, c’est l’immigration, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et la rue. Coupé de ses liens familiaux et balloté de foyer en foyer, ce jeune Algérien n’a pas pu construire de réseau social stable : « Avoir zéro capital, ce n’est pas une question d’argent, c’est le fait de ne pas avoir de réseau. Si on tombe, on tombe. C’est ça, la réalité de l’isolement social. » Jusqu’au jour où il rencontre la présidente du Comité de la rue d’Entourage à l’association Repairs, un réseau d’association qui rassemble les anciens de l’ASE (lire Repairs !44 : les pairs aidants de jeunes issus de l’ASE). Elle lui parle du projet LinkedOut, il s’inscrit à la première promotion en 2019, il a 20 ans.

Avec le concours de LinkedOut, Laith a trouvé une entreprise en alternance et a donc pu s’inscrire en Bac pro. Son diplôme en poche, il a de nouveau été accompagné par le programme, cette fois-ci avec l’objectif de trouver un emploi. Après plusieurs mois de recherche, il a été embauché comme agent d’accueil à l’aéroport d’Orly. Il annonce les départs, accueille les passagers. Le jeune homme prévoit de poursuivre ses études via Open Class Room pour se perfectionner sur les outils de communication numérique et envisage de faire une licence à Munich dans le tourisme et la communication.

 

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Laith Bouziane (en haut à gauche) à Lorient avec Thomas Ruyant (à droite), à côté de son voilier aux couleurs de LinkedOut. © Thibault Desplats

 

« Grâce à LinkedOut, j’ai appris à travailler avec des outils numériques. J’ai aussi appris les codes de l’entreprise, comment me comporter aux entretiens et comment communiquer de façon professionnelle. Avec les autres candidats, on a pu s’entraîner à prendre la parole en public, on a fait du théâtre aussi. Et puis, j’ai rencontré le skipper Thomas Ruyant à Lorient. Il m’a beaucoup aidé à trouver de la motivation », se rappelle Laith. Mention toute spéciale à sa coach, Pascale Nesci, « la meilleure de la promo ». « Elle ne lâche rien. Il fallait que je me renseigne bien sur les entreprises que j’allais rencontrer, que je veille à être en forme le jour de l’entretien. Je n’avais pas le droit à l’erreur. » L’effort paie, et lui en sourit a posteriori.

Être coach : un engagement mais aussi un apprentissage

Une des premières tâches de l’équipe de LinkedOut est de composer un binôme coach-candidat. Tous bénévoles, parfois salariés d’une entreprise partenaire, les coaches ne peuvent suivre qu’une personne à la fois. Ils s’engagent à maintenir un rendez-vous régulier, au minimum une fois par semaine pendant six mois, « mais 70% des liens entre coach et candidat se poursuivent au-delà », précise Marie Périer. Actuellement, 101 binômes sont en action.

Pascale Nesci travaille à Swiss Life, une entreprise partenaire de LinkedOut. « Nous étions cinq coaches à Swiss Life, cela nous a permis d’échanger des idées pour maintenir la motivation des candidats, mais aussi de parler des situations dans lesquelles nous avons pu nous retrouver désarmés, notamment face à la détresse de certains candidats. En tous cas, ce que je constate, c’est que devenir coach intéresse de plus en plus de salariés dans notre entreprise », rapporte-t-elle.

Pascale a été très investie dans son rôle de coach auprès de Laith. Elle n’a pas hésité à appeler les entreprises en amont d’un entretien afin de parler du programme d’inclusion, d’attirer l’attention sur la candidature singulière de Laith et d’apporter un gage de confiance. « Chaque fois qu’il passait un entretien, j’avais l’impression de le passer aussi. On répétait ensemble et après on se voyait pour en parler. Là où je l’ai aidé le plus, je pense, c’est en lui apprenant à être rigoureux dans son approche du travail et de la recherche d’emploi », estime-t-elle.

Pascale a pu noter les progrès de Laith à travers les retours des recruteurs de plus en plus concrets jusqu’au moment tant attendu de la proposition d’embauche. « Les recruteurs arrivaient à mieux cerner sa personnalité, ses aspirations. Il répondait aussi à des offres qui correspondaient mieux à sa situation, son expérience et ses compétences, observe-t-elle. Il a finalement trouvé son emploi tout seul et c’est une grande satisfaction pour moi. » En effet, Laith s’est appuyé sur le réseau professionnel qu’il avait commencé à développer avec LinkedOut : « Je me suis dit qu’après les restrictions liées au Covid, les aéroports allaient avoir besoin de personnel, alors j’ai cherché dans ce secteur. Une nuit, je n’arrivais pas à dormir, j’ai répondu à une offre de l’entreprise qui m’avait formé en alternance. Le lendemain matin le recruteur m’a appelé, il se souvenait de moi, il m’a dit : “Je valide ta candidature directement, on te connaît, on a besoin de renfort.” »

Bien sûr, toutes les relations entre coach et candidat ne se ressemblent pas. Certains coaches se retrouvent face à des candidats avec lesquels il est difficile d’établir une relation de confiance. Ils peuvent aussi se sentir impuissants en raison, par exemple, d’un niveau de français ou de compétences informatiques trop faible des candidats. D’autres peuvent rencontrer des difficultés à trouver la bonne posture, le juste engagement. Être coach, c’est tout autant un apprentissage, d’ailleurs l’association demande aux coaches de suivre une séance de formation afin de les préparer à leur mission. En outre, être coach offre la possibilité de se confronter de près aux problèmes que rencontrent les personnes comme Laith et de nouer des relations qui se rapprochent du mentorat anglo-saxon. Selon l’étude menée en 2021 par le cabinet Archipel & Co sur la deuxième promotion de LinkedOut, 80% des coaches se sont sentis utiles. 58% ont le sentiment d’avoir changé de regard sur la pauvreté et l’exclusion, 93% déclarent diffuser ce message autour d’eux. 66% sont prêts à renouveler l’expérience.

Soutenir un recrutement plus inclusif

Les entreprises qui contactent LinkedOut souhaitent s’engager dans l’inclusion sociale sans vraiment savoir comment faire. En effet, près de la moitié d’entre elles n’ont jamais recruté en dehors des circuits classiques du marché du travail. Aussi LinkedOut a mis en place un pôle entreprises afin de les accompagner tout au long du processus de recrutement. « Recruter une personne fragilisée par un parcours de vie difficile, c’est un moyen d’agir très concrètement sur l’inclusion sociale. C’est aussi un levier pour transformer l’entreprise de l’intérieur. En revanche, cela demande de changer certaines façons de faire, que ce soit dans le processus de recrutement ou celui de l’intégration d’un collaborateur », explique Iris Delahousse, une des responsables du parcours entreprises de LinkedOut.

Pour la phase de recrutement, il s’agit par exemple de rédiger les offres d’emploi de manière à ne pas exclure d’office les candidats : éviter les prérequis de type BAC + 2, expérience de 5 ans sur un poste similaire, etc. Il s’agit aussi de privilégier un temps de rencontre en personne plutôt qu’un entretien en visio qui peut être très stressant pour les candidats. Il est enfin important que les entreprises soient prêtes à recevoir des candidats dont le profil ne correspond pas à leurs attentes initiales. Certaines, comme le site d’achat en ligne ManoMano, sont même prêtes à adapter les fiches de poste aux personnes dont ils retiennent la candidature.

L’accompagnement de LinkedOut se poursuit ainsi jusqu’à la fin de la période d’essai, car il peut arriver qu’une fois en poste, la personne recrutée ait des difficultés à s’intégrer dans l’équipe ou encore que certains problèmes resurgissent et viennent perturber le travail (perte d’un logement, rechute d’addiction, etc.). « Dans ces cas-là, nous discutons avec les candidats et les managers pour tenter de résoudre la situation et pour rediriger au besoin les personnes vers des professionnels qui pourront les aider », précise Iris Delahousse, tout en ajoutant que les retours des entreprises sont globalement positifs. Toujours selon l’étude d’impact d’Archipel & Co, 46% des entreprises qui ont recruté un candidat estiment que ce dernier a un impact positif sur l’ouverture d’esprit et la motivation au sein de leur équipe. En outre, 36% des entreprises déclarent avoir repensé leurs pratiques RH et près de la moitié d’entre elles envisagent de systématiser une logique de recrutement solidaire.

Iris espère aussi voir se développer un réseau de pair-aidance en soutien de l’accompagnement de LinkedOut, à l’image d’Ali Dewedar, la première personne issue du programme recrutée par ManoMano. « Il est en train de devenir une porte d’entrée dans l’entreprise pour d’autres candidats LinkedOut. Nous aimerions favoriser ces relations d’entraide entre anciens et nouveaux candidats. »

Les nouveaux développements de LinkedOut

Dans cette logique d’inclusion toujours plus forte, l’association Entourage tente désormais d’embarquer plus largement ses bénévoles sur LinkedOut en leur proposant de devenir des connecteurs, une mission moins chronophage que le coaching. En tant que connecteur, ils peuvent mettre en relation les entreprises de leur réseau avec LinkedOut ou relayer des offres d’emploi, augmentant ainsi l’impact de la plateforme.

Prochainement, le programme va s’implanter à Rennes. Une nouvelle étape d’un essaimage sur le territoire qui devrait se poursuivre, mais sans précipitation : les responsables de LinkedOut se refusent à faire « du volume », préférant maintenir des petites promotions et porter leur attention sur le taux de sortie positive, ainsi que sur la pérennité des emplois décrochés par les candidats. Moins mais mieux, ce pourrait être le slogan de cette plateforme qui ne veut pas entrer dans des logiques comptables et démontre par son exemplarité, à l’inverse des grandes plateformes de service qui produisent de la précarité et des bulles de filtres des réseaux sociaux qui fabriquent de l’entre-soi, les capacités du numérique à servir les multiples besoins de solidarité.

En savoir plus

Données en plus

Dispositif lancé en 2019 par l’association Entourage.

Plus de 215 000 partages de CV.

Engagement : accompagner 500 candidats en trois ans.

Implantation : Paris, dans le 92, le 93, à Lille, Lyon et bientôt Rennes.

60% de sorties positives.

Une cinquantaine d’entreprises ont recruté des candidats via LinkedOut.

Financements : PIC 100% inclusion, mécénats d’entreprise, dons.