Au cœur de l’hôpital, la Fabrique de l’hospitalité

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Avec son petit air de soucoupe volante, le cœur de la salle de soin de la maternité de l’hôpital de Hautepierre, que les designers de La Fabrique de l’Hospitalité a conçu avec les professionnels du lieu.

Depuis huit ans, les hôpitaux universitaires de Strasbourg innovent grâce à la Fabrique de l’hospitalité. Pleinement intégrée aux côtés des soignants, une équipe de designers y œuvre au quotidien pour l’amélioration des services et activités proposés.

« C’est incroyable toutes les propositions que nous font ces designers : des couverts spéciaux pour ceux qui ont des difficultés de préhension, un lieu d’expérimentation d’assises pour les gens qui ont mal au dos, ou parfois des choses toutes simples comme des points d’affichage ou la simplification du parcours patient. Des choses qui nous permettent de prendre du recul sur nos pratiques. » L’intervention du design dans son quotidien fait visiblement plaisir à Christelle Sordet, rhumatologue, qui travaille sur une future maison de l’éducation thérapeutique à l’hôpital Hautepierre. L’établissement fait partie des hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) qui disposent d’une Fabrique de l’hospitalité, un service à part entière qui est intégré à la direction de la culture et de la communication.

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À Strasbourg, les équipes de l’hôpital de Hautepierre travaillent notamment aujourd’hui avec La Fabrique de l’hospitalité à la mise en place d’une Maison de l’éducation thérapeutique.

Une coconstruction avec les patients comme les soignants

Officiellement créé il y a huit ans, ce laboratoire de l’innovation est issu du programme national Culture à l’hôpital, lancé en 1998 et porté par la ministre de la Culture de l’époque,

Catherine Trautmann, longtemps maire de Strasbourg. Les hôpitaux universitaires de la ville avaient alors d’emblée créé une délégation à la culture rattachée directement à la direction générale de leur établissement, dont les projets ont très vite dépassé la simple volonté de proposer des activités ludiques ou distrayantes. Pour aboutir en 2012 à l’inscription, dans le projet de l’établissement, de la Fabrique dont l’objectif est d’améliorer prise en soin des patients et conditions de travail des hospitaliers via la création et le design, dans une démarche de coconstruction, avec l’ensemble des usagers, professionnels comme patients. Deux designers y sont employés à temps complet en tant qu’agents hospitaliers, Barbara Bay et Christelle Carrier. Et deux intervenantes en design viennent soutenir l’activité, projet par projet.

À son actif, plus de vingt projets ont été réalisés, et ce dans une gamme d’interventions très large. Cela va du réaménagement de la maternité de l’hôpital Hautepierre, avec sa salle de soin aux allures d’OVNI et ses caissons photos lumineux dans les couloirs pour aider aux déplacements nocturnes sans perturber la quiétude des chambres, à l’installation d’une œuvre tactile dans une crèche. Ce dispositif inédit comprend aussi une résidence artistique avec production d’un ouvrage photo dans un service de psychiatrie ou la coorganisation d’un colloque Couleur et soin. Sans oublier la conception d’outils de dialogue comme le passeport ambulatoire, dernier né de cette démarche, ou la décoration informative d’un service de pédiatrie.

Joindre le ludique au pédagogique

« Ici, nous avons proposé des fresques sur les murs qui permettent par exemple de présenter les différents professionnels qui travaillent dans le service, ou ceux qui interviennent ponctuellement, décrit Barbara Bay, l’une des designers-chef de projet des HUS. Là, nous avons un plan, centré sur la chambre et qui explique les différents lieux et services qui sont disponibles autour. » La visite du service a toujours été proposée aux nouvelles familles amenées à fréquenter ce service, mais ce support la rend plus ludique et chacun peut s’y reporter à tout moment du séjour au besoin. « Ailleurs, nous avons une illustration qui explique que cette petite salle où les professionnels semblent se reposer, une tasse de café à la main, c’est une salle de transmission. Une autre permet de comprendre que quand une infirmière prépare un traitement, elle n’est pas forcément disponible pour répondre correctement à une question. »

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Au service de chirurgie pédiatrique du CHU de Strasbourg, des fresques ont été peintes non seulement pour décorer les murs mais pour présenter aux familles les professionnels qui interviennent dans le suivi de leur enfant.

 

Cela semble aller de soi, une fois terminé, pourtant l’élaboration du projet a nécessité nombre d’observations, d’échanges et d’entretiens avec les usagers comme avec les professionnels pour déterminer les besoins des uns et des autres, mais surtout les faire comprendre aux uns et aux autres.  « Les professionnels par exemple, tiennent à leur titre, diplôme ou position hiérarchique. Mais le patient et sa famille n’en ont pas forcément cure, analyse Barbara Bay. Il faut donc trouver le moyen de les présenter autrement, comme nous l’avons fait avec cette fresque. »

Des conséquences visibles sur la qualité des soins

La démarche des designers permet même parfois aux professionnels de mieux connaître leurs interventions spécifiques. « Nous travaillons en ce moment dans un service d’urgence et nous nous sommes rendu compte que lorsque le médecin entre en scène, il ne connaît pas précisément toutes les interactions qui ont pu se produire au préalable. » Pour étudier ces parcours, les designers produisent des scénarios dessinés en fonction de leurs observations de l’activité d’un service. « Les parcours patients sont très utilisés en design de service, explique Anne Laure Desflaches, designer. Ce sont des outils qui permettent de construire du commun, de mettre tout le monde d’accord avec un diagnostic. Et à partir de cette vision commune, des propositions sont élaborées que tout le monde peut s’approprier plus facilement. »

« Par le travail sur les lieux et espaces, nous parvenons à exercer un impact positif sur les pratiques soignantes, ajoute Barbara Bay. » Et de citer la maternité Hautepierre où, entre autres, les baignoires ne sont plus situées face au mur, mais organisées en cercle autour du poste de soin, d’où le professionnel peut garder un œil sur le geste parental. « On peut également désormais être à plusieurs face à l’enfant, alors qu’avant les bassins étaient situés de telle façon que ce n’était pas possible. » La réorganisation de l’espace a également permis de recréer des lieux où les parents peuvent se rencontrer, échanger et se soutenir.

Accompagner au plus près les changements de l’hôpital

L’intervention des designers de la Fabrique vient généralement se greffer sur des projets de restructuration, afin de se glisser dans le budget global. Les HUS sortent d’une période difficile avec cinq années pour accomplir un « plan de retour à l’équilibre ». « Pendant ce temps, il y a eu peu ou pas de travaux de restructuration, précise Barbara Bay. Nous nous sommes donc axés sur les “outils du dialogue”. » À l’exemple du passeport ambulatoire, un livret conçu pour permettre de mieux expliquer l’intervention de jour au patient. « Nous sommes en veille sur ce qui change et évolue dans l’hôpital, explique la chef de projet. Et nous nous appuyons sur ces changements pour créer une opportunité. » Si ces évolutions sont accompagnées, elles seront d’autant plus efficaces à déployer et d’autant mieux acceptées par le patient.

Pour chaque projet, la Fabrique recherche également des financements complémentaires. « Il y a plusieurs options comme les budgets de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), l’agence régionale de santé (ARS) qui peut aussi subventionner certains projets, explique Yara El Eleywaa-Le Corff, directrice de la communication et de la culture des HUS. Et puis on peut faire appel au mécénat sur des projets d’envergure. » Comme pour l’aménagement de la future Maison de l’éducation thérapeutique, qui devrait être installée dans un ancien gymnase et nécessite un budget global d’un peu moins d’un million d’euros. « De plus en plus, l’hôpital envisage aussi de budgéter des missions de design sur des grands projets comme cela. Ça apporte une telle amélioration que cela vaut le coup », affirme encore Yara El Eleywaa-Le Corff.

Selon les besoins, La Fabrique peut faire appel à des cabinets de design extérieurs, mais surtout elle innove en offrant un terrain d’observation à des étudiants en design social. « Depuis huit ans, dans le cadre du In situ Lab (Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués, spécialité Design, de l’académie de Strasbourg), nous accueillons des étudiants dans un service pendant trois mois, résume Barbara Bay. Ils sont en observation, dans un lieu où nous sommes dans la phase d’amont d’un projet, au stade de l’état des lieux, du diagnostic. Cela nous permet de développer leur capacité à appréhender cet environnement complexe qu’est le secteur hospitalier. » Les propositions seront ensuite le fait de la Fabrique, les étudiants n’étant impliqués que dans les premières phases du diagnostic.

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Parmi les outils du design : la production de scénarios dessinés en fonction des observations réalisées dans un service. Ici, un parcours patient dans un service d’urgence, une étape de la démarche de la Fabrique de l’hospitalité pour construire un diagnostic plus facilement partagé.

Même si difficilement quantifiable, l’impact peut se mesurer au soin des patients pour chaque projet

Reste qu’il est difficile d’évaluer précisément l’impact de ces réalisations. Tout d’abord parce qu’elles s’inscrivent dans des projets plus vastes : restructurations, fusions d’équipes, déménagements...  Ensuite parce que l’action de la Fabrique se veut une expérimentation à petite échelle et, toujours, à la carte. Enfin parce que les personnels hospitaliers changent souvent et qu’avec le turn over que connaît actuellement l’univers hospitalier, il semble difficile de réaliser auprès d’eux une comparaison avant/après.  Aucune étude en ce sens n’a pour l’heure été réalisée. « Mais notre satisfaction vient des retours des personnels ou des patients qui ont participé aux diagnostics et à l’élaboration des solutions », observe Yara El Eleywaa-Le Corff.

« En ce qui concerne le passeport ambulatoire, nous sommes déjà en rupture de stock et nous avons dû relancer l’impression », précise la directrice de la communication. Barbara Bay observe également une réelle appropriation des projets. « La salle commune que nous avons créée dans la maternité est très utilisée. Et ses matériaux bien entretenus. Quand les utilisateurs prennent soin des choses, c’est qu’ils en ont saisi l’intérêt. » La maternité attire également toujours beaucoup de visites de la part d’établissements qui veulent s’inspirer du projet pour leur propre rénovation, plus de dix ans après sa mise en service. « Nous avons envie d’essaimer et de partager avec d’autres établissements bien sûr, observe Barbara Bay. Mais nos projets ne pourront jamais être copiés-collés. »

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