La Casa Um prend soin des jeunes LGBT+

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Pour les jeunes LGBT qui arrivent à la Casa Um suite à des violences familiales, leur hébergement provisoire commence bien souvent par de simples moments de repos.

À São Paulo, la Casa Um recueille de jeunes LGBT+ expulsés de chez eux en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité, leur fournissant assistance sociale et suivi psychologique. Pour favoriser leur intégration au sein du quartier, elle a créé un centre culturel lié aux questions de genre et de binarité. Fonctionnant à la fois avec des éducateurs sociaux, des professionnels de santé et en mode « pair à pair », cet espace multiplie les actions de communication auprès des habitants et expérimente un type de soin et d’accompagnement instructif, voire inspirant.

« Pas question de déranger la tranquillité des résidents du foyer pour recueillir le témoignage de leurs souffrances. Tant qu’ils se trouvent là, c’est tout ce qu’ils ont à transmettre ! » Diego de Almeida, éducateur à la Casa Um (la Maison Un), est catégorique : rien ne doit venir perturber le processus mis en œuvre auprès des jeunes LGBTQIA+ (cf. encadré « En savoir plus ») en grande difficulté, venus trouver refuge dans cette institution, une maison discrète à deux étages du quartier de Bixiga, en plein centre-ville de São Paulo. D’ordinaire une vingtaine, leur nombre a été réduit à neuf par la pandémie qui fait de nouveau rage au Brésil en cet été 2022, mais nous n’en rencontrerons pas un seul et devrons nous contenter de la parole des aidants qui s’affairent dans les locaux.

Diego, la trentaine, est éducateur et la vulnérabilité, il connaît. En 2018, lui aussi s’est retrouvé à la rue avant d’être accueilli au foyer, mais il refuse de livrer son histoire : « Je n’ai pas envie de revivre ça, c’est trop douloureux. » Après avoir donné quelques coups de main à l’équipe, Diego a fini par être embauché par la Casa Um pour s’occuper des jeunes expulsés de chez eux, comme lui, à cause leur orientation affective ou sexuelle, ou de leur identité.

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Diego, éducateur à la Casa Um, prépare un kit d’hygiène pour un nouveau résident. Arrivé lui-même au foyer en situation d’extrême vulnérabilité, il accompagne dorénavant les jeunes LGBT qu’il aide à se reconstruire.

Le nécessaire dialogue avec le quartier

Un an plus tôt, le journaliste Iran Giusti, qui avait commencé par recueillir chez lui de jeunes LGBTQIA+ en situation de vulnérabilité, fonde le foyer d’accueil de la Casa Um, dans un ancien hangar aménagé de la rue Adoniran Barbosa, du nom du plus célèbre des compositeurs de samba paulistas, symbole de ce quartier populaire aux origines italiennes. Le dialogue avec les habitants du quartier peu habitués à cohabiter avec cette population s’avérant très vite indispensable, ne serait-ce que pour permettre à ces jeunes accueillis d’y circuler en toute sécurité, le lieu est transformé en un centre d’information et de culture lié à la question LGBTQIA+, ouvert à tous, et le foyer déménage à proximité.

Constitué de chambres individuelles et d’un espace collectif avec cuisine, salle de bain, laverie et pièce de vie, le foyer de la Casa Um dispose aujourd’hui de 20 places et accueille pour une période de quatre mois maximum, transport et repas compris, des jeunes LGBTQIA+ en situation de vulnérabilité, âgés de 18 à 25 ans. Il leur assure un suivi thérapeutique ainsi qu’un travail éducatif, relatif à l’emploi et à l’insertion sur le marché du travail, qui leur permet de commencer à se reconstruire et à pouvoir envisager l’autonomie. Les jeunes ont leur propre clé et le foyer fonctionne selon le principe d’autogestion, avec de nombreux temps consacrés à la discussion. Un lever tôt leur est imposé, puis ceux qui ont un emploi partent travailler, tandis que les autres se mettent à la recherche d’un travail. Certains ont des consultations planifiées à l’avance et tous doivent suivre un agenda fixé avec les professionnels de santé. Depuis 2017, 250 de ces jeunes LGBT y ont trouvé refuge et assistance.

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Laeticia, psychologue à la Casa Um et fondatrice de la clinique sociale, réfléchit avec Brenda, l’assistante de communication, sur les actions à mener dans le quartier autour de la nutrition et des thérapies complémentaires, comme la massothérapie et l’acupuncture.

De l’accueil à la co-construction d’un projet de vie

À la Casa Um, le travail effectué auprès des jeunes se mène sur plusieurs fronts : santé, éducation, travail, culture, mais aussi loisirs. « Quelqu’un qui arrive complètement fragilisé a souvent besoin de commencer par se reposer ou dormir quelques heures, insiste Alvina Darc Siqueira, assistante sociale diplômée en pédagogie et l’un des piliers de l’institution. Notre objectif principal, c’est que la personne se sente bien et puisse, grâce à cette assistance pluridisciplinaire, reprendre sa vie avec calme et tranquillité, en respectant les limites de chacun. »

L’admission dans le foyer suit tout un processus. Il arrive que certains se présentent à la grille la valise à la main, mais la demande d’accueil se fait théoriquement en ligne, puis nécessite des entretiens avec une psychologue. La présélection prend en compte le profil du demandeur, son âge, son appartenance à la population LGBTQIA+, avant tout prioritaire, son niveau de santé mentale, sa situation et sa capacité à fonctionner au sein d’une collectivité. C’est à l’équipe qu’il revient d’apprécier la pertinence de l’appel au secours et sa possibilité d’y répondre positivement ou non. Le réseau développé par la Casa Um avec les autres centres de santé du quartier permet si besoin de rediriger les jeunes vers d’autres structures comme les centres de soins psychosociaux.

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Photo de gauche : « En cours – ne pas entrer ». Depuis 2018, la clinique sociale de la casa Um propose des consultations gratuites autour de la santé mentale aux jeunes LGBT ainsi qu’à tous les habitants du quartier. Photo de droite : Brenda, assistante de communication à la Casa Um. Les actions d’information auprès des habitants du quartier sont essentielles à la bonne circulation des jeunes résidents du foyer et à leur intégration.

 

« Leur histoire est marquée par la violence familiale et la déscolarisation », témoigne la psychologue Mariana Penteado, coordinatrice de l’équipe de santé et elle-même LGBTQIA+. En effet, beaucoup des résidents du foyer n’ont même pas atteint le niveau du collège, surtout parmi la population trans, particulièrement discriminée. La poursuite ou la reprise des études font partie des urgences de l’accueil. Car sans diplôme pour intégrer le marché du travail, et sans aucun revenu, ils risquent de retourner très vite à la rue.

« Dans cette tranche d’âge, les réseaux sont encore très fragiles, renchérit sa collègue Laetitia Ferreira, qui se présente également comme faisant partie de cette population. Privés du soutien de leur famille, leurs seuls appuis proviennent de leurs cercles d’amis, qui ne les hébergent que pour une ou plusieurs nuits.» Pour ces jeunes en situation de vulnérabilité, la co-construction d’un projet dont la finalité serait l’autonomie financière commence par la remise à jour de leurs documents administratifs. Il se poursuit, lorsqu’ils sortent du foyer, par une formation professionnelle accélérée.

« Je parle beaucoup avec eux, raconte Diego. C’est mon rôle en tant qu'éducateur, que de promouvoir auprès d’eux des actions de santé mentale liées au théâtre, au cinéma, au yoga, et de leur proposer des formations et des cours de langue ou d'informatique. » C’est dans cet esprit qu’a été mise en place une formation professionnelle gratuite de trois mois réservée aux jeunes femmes trans intéressées par la coiffure et la couture, et qui devrait accueillir une vingtaine de participantes dans chacune des disciplines. À son terme, chaque élève recevra du matériel qui lui permettra d’intégrer immédiatement le marché du travail : brosses et séchoir pour les unes, machine à coudre pour les autres. Comment faire néanmoins pour qu’une jeune femme trans soit acceptée par ses futurs collègues et qu’elle se sente respectée ? Pour répondre à ces questions, la Casa Um a décidé d’associer aux cours de formation les entreprises partenaires, dont le soutien financier rend ce don de matériel possible, afin de recevoir les futures diplômées dans les meilleures conditions possibles.

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Photo de gauche : « Affection (à gauche) – Écoute (à droite) ». L’accompagnement de la population LGBT en situation de vulnérabilité par les professionnels de la clinique sociale se fait de façon très graduelle et très lente. Photo de droite : ancienne bibliothécaire universitaire, Jaqueline est volontaire à la bibliothèque communautaire de la Casa UM depuis 2021. Une fois par semaine, elle répertorie les ouvrages consacrés aux minorités et s’occupe de l’accueil du public.

Une clinique sociale ouverte à tous les publics et une extension des interventions aux habitants du quartier

Chez la plupart de ces jeunes, le besoin de soutien psychologique ne se limite pas non plus à la période d’accueil. « Ce travail a un début et une suite, rappelle Alvina. Quatre mois c’est court, pour évacuer la souffrance et reconstruire ces vies. » Pour assurer leur suivi à leur sortie et poursuivre leur accompagnement, la Casa Um a créé en 2018 une clinique sociale à proximité du foyer, avec un service d’écoute, de psychothérapie, de psychiatrie et de nutrition, animé par une cinquantaine de professionnels diplômés, tous volontaires. Souvent peu préparés à recevoir les jeunes LGBTQIA+, ces professionnels ont d’abord été formés pendant un an par l’équipe de la Casa Um, pour éviter des violences supplémentaires qui pourraient résulter d’une méconnaissance de cette population. « Les consultations de santé des personnes en état de vulnérabilité doivent être menées avec beaucoup de précaution », rappelle Angelo de Castro, 26 ans, chargé des partenariats à la Casa Um, qui nous fait visiter les locaux, vidés pour l’instant de toute activité par la pandémie et transformés en centre d’hébergement provisoire pour les LGBTQIA+ atteint par le virus.

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Angelo, ancien volontaire, chargé désormais des partenariats à la Casa Um. Les formations professionnelles et les actions culturelles permettent de financer l’ensemble du projet.

 

Ouverte à tous, la clinique sociale oriente d’ordinaire les gens autour de la santé, y compris sexuelle, et de la prévention. Elle possède ainsi un espace dédié au PrEP (prophylaxie pré-exposition) 1519, une étude utilisant un médicament pour prévenir l’exposition au VIH des 15/19 ans LGBTQIA+ à risque.

L’ouverture de la clinique sociale à tous les habitants du quartier, marqué par une population à faibles revenus et un nombre croissant de sans-abri, est une donnée essentielle du projet, et participe de l’énorme travail de communication effectué par la Casa Um autour de l’accueil de la population LGBTQIA+.

Au rez-de-chaussée du foyer, tenue par des volontaires qui trient les dons et les archivent, une petite bibliothèque consacrée à toutes les minorités est ouverte à ceux désireux de s’informer. Indispensable à une bonne intégration de cette communauté dont il est devenu le point de repère, le centre culturel de la Casa Um, à l’origine depuis 2018 de la semaine de la visibilité trans, organise des débats, des soirées du style drag bingo, des shows et des pièces de théâtre, des événements auxquels reviennent régulièrement assister la plupart des anciens résidents du foyer. Il accueille aujourd’hui l’Editora Monstra, une maison d’édition autour de la pensée LGBTQIA+, le Laboratório de memórias, un laboratoire de la mémoire de ces minorités, ainsi que l’Enciclopédia Sapatão (encyclopédie lesbienne) qui célèbre la vie, la mémoire, le travail et les luttes de la population lesbienne.

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Au Brésil, les afro-descendants et les femmes trans sont les plus discriminés au sein de population LGBTQIA+. À la Casa Um, priorité est donnée pour recevoir et accompagner ces minorités-là.

 

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Centre de santé et d’éducation, la Casa Um organise pendant la pandémie une distribution d’eau, de masques et de vêtements à l’intention de toutes les populations du quartier, suivant un planning bien défini.

 

Enfin, face à la crise sanitaire et économique qui frappe le pays, la Casa Um s’est mise à distribuer régulièrement des repas et des vêtements aux personnes âgées et aux familles du quartier les plus démunies, allant jusqu’à envisager de transformer une partie de son centre culturel en cuisine communautaire. Véritable centre de santé et d’éducation avec ses 29 salariés et ses 200 volontaires, elle s’inscrit désormais dans un projet de territoire, apaisant les conflits et modifiant profondément les mentalités, comme le souligne Diego : « Ouvrir cet endroit à tous a non seulement permis de casser beaucoup de préjugés sur les LGBTQIA+, mais a aussi montré aux LGBTQIA+ qu’ils pouvaient être respectés. »

 

En savoir plus

Données en plus

LGBTQIA+ : L = Lesbienne, G = Gay, B = Bi, T = Trans, Q = Queer, I = Intersexe, A = Asexuel, + =  tous les autres (pansexuels, bispirituels, en questionnement, alliés à la cause, etc.).

La Casa Um (la Maison Un) a été créée en 2017 à São Paulo pour soigner et accompagner des jeunes LGBT+ ayant été expulsés de chez eux. Elle peut accueillir dans ses logements une vingtaine d’entre eu, mais plus de 3 500 personnes participent chaque année à ses activités. Son compte instagram frôle les 100 000 followers.

En 2020, la Casa Um a été financée (salaires, coûts fixes, taxes, communication, administratif, travaux, équipements, projets, activités, etc.) à 41 % par le crowdfunding, à 24 % par les entreprises et les marques partenaires, à 24 % par des dons de particuliers et à 11 % par des institutions et ponctuellement des fonds de l’État ou des collectivités locales.