Un hôpital et un ESAT creusent ensemble un sillon inédit

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Pascal Guillerme, le maraîcher, donne ses conseils de culture à Michael, qui est l’un des six employés de l’ESAT (masque blanc). À droite, ils sont avec Alexia Talbot, ergothérapeute au centre hospitalier. ©© Mathieu Oui

Au Centre hospitalier du Rouvray, situé à Sotteville-lès-Rouen, certains patients en souffrance psychique et des personnes déficientes de l’ESAT Les Ateliers du Cailly se réinsèrent, ensemble, à travers une activité d’agriculture biologique. Outre les bénéfices de l’activité pour les uns comme les autres, ce partenariat offre aussi l’intérêt de faire se rencontrer le monde de l’hôpital et celui du médico-social.

Un vendredi matin de février 2021, jour de vente des paniers de légumes biologiques à l’hôpital du Rouvray. Mickael et Jean-Luc, deux des travailleurs de l’ESAT (Établissement et Service d’Aide par le travail), désormais partenaire du centre hospitalier, servent les clients, des habitués. Pour 10 euros, le panier comprend 3 kilos de légumes (pommes de terre, carottes, oignons), une salade et des radis gris. Mais il est possible de se procurer aussi des courges, des lentilles, des poireaux, et même du miel récolté par un patient de l’hôpital, apiculteur de son métier.

Depuis mars 2018, l’hôpital du Rouvray accueille en son sein une activité de maraîchage en transition biologique. Outre les patients qui y font un stage dans le cadre d’une démarche de réinsertion professionnelle, ils sont six adultes salariés à y travailler cinq jours sur sept. Certains sont issus de l’hôpital, d’autres de l’ESAT. Les ateliers du Cailly, qui dépend de l’ARRED (Association rouennaise de réadaptation de l’enfance déficiente). Ce jour-là l’équipe est réduite à deux salariés de l’ESAT : avec la période hivernale et le confinement, l’activité dans les champs est moins soutenue.

 

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Jean-Luc, travailleur de l’ESAT Les Ateliers du Cailly, pèse une courge afin d’encaisser les achats d’une cliente, venue à l’hôpital pour se procurer des légumes bio issus du maraîchage.
©© Mathieu Oui

 

Plusieurs hectares dédiés au maraîchage

Situé à quelques kilomètres du centre-ville de Rouen, l’hôpital du Rouvray est un vaste établissement spécialisé en santé mentale. Chaque année, plus de 30 000 personnes y sont accompagnées en ambulatoire par quelque 2 000 soignants, tandis qu’environ 5 000 patients y sont hospitalisés. L’hôpital se déploie sur un domaine de 80 hectares, avec un parc entretenu en zéro produit phytosanitaire depuis plusieurs années. Outre les deux grandes serres de 40 mètres de long, l’activité de maraîchage dispose de trois parcelles d’un hectare. Le cadre idoine pour créer au cœur de l’établissement une nouvelle activité à cultiver, qui plus est de l’ordre de la « transition biologique ».

Le projet a été initié en 2017 par Valérie Bourgeois, médecin à l’hôpital et responsable du centre de jour Saint-Gervais qui cherchait de nouveaux débouchés professionnels pour ses patients. Plusieurs mois de travail et de réunions ont été nécessaires pour rendre l’initiative très précisément adaptée aux patients de l’hôpital. Les professionnels de l’ARRED ont ainsi été formés à la compréhension des particularités liées à la maladie mentale. « Nous avons organisé des sessions de formations auprès du personnel de l’ESAT pour expliquer les troubles liés à la schizophrénie et présenter nos programmes d’éducation thérapeutique et de rééducation, explique Denis Delhommel, cadre de santé au centre de jour Saint Gervais. Ces tables-rondes ont été très enrichissantes de part et d’autre. » L’objectif était notamment d’informer les moniteurs d’atelier sur les réalités de la maladie, d’échanger autour de certaines craintes ou idées reçues. Une équipe d’ergothérapeutes de l’hôpital a également réalisé des bilans pour évaluer les capacités des patients et leurs difficultés, et le cas échéant, proposer des aménagements de leurs tâches ou les accompagner. Concrètement, une convention a été signée entre l’hôpital du Rouvray et l’ARRED qui gère l’ESAT afin de fixer le cadre du partenariat autour, par exemple, de la mise à disposition des terres et du matériel, ou du soutien technique du service des parcs et jardins de l’hôpital.

 

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Le projet a fait se rencontrer les équipes de l’ESAT les Ateliers du Cailly avec celles de l’hôpital : aux côtés des trois maraichers, Nawel Gazdallah, la directrice de l’ESAT (au centre), et à l’extrême droite, Alexia Talbot, ergothérapeute et Denis Delhommel, cadre de santé.
©© Mathieu Oui

 

Suivre toutes les étapes de production

« Après la vente des paniers, il y a un rang de scaroles à arracher, et il faudra aussi passer le motoculteur », indique le maraîcher Pascal Guillerme à Jean-Luc et Michael.  L’activité de maraîchage se déroule tous les jours de 8h30 à 16h30. Les journées sont rythmées par une succession d’activités, déployées en fonction des saisons : préparation des sols et des semis, plantations, puis la récolte et, enfin, vente directe aux particuliers. Après les deux mois de fermeture du premier confinement, les travailleurs ont été confrontés à un gros travail de désherbage, entièrement fait main.

Exerçant auparavant à la section Espaces verts de l’ESAT, Michael aime travailler au grand air. « Je me sens beaucoup plus à l’aise que dans un bureau et puis il n’y a personne pour me commander ! » Le jeune homme apprécie aussi le contact avec les membres de l’hôpital qui viennent chercher leurs légumes et avec lesquels il échange des recettes.  Avec son copain Jean-Luc, Michael se rend au self-service du personnel pour le déjeuner, comme n’importe quel salarié de l’hôpital. « De retour chez moi après une journée de travail, je me sens très apaisé », poursuit-il. Pour les patients, il y a aussi la satisfaction de suivre les étapes de production des semis jusqu’à la vente aux consommateurs. Outre la vente directe, les légumes sont par ailleurs distribués dans le réseau Biocoop, soit une autre occasion pour les travailleurs de l’ESAT de faire connaître et valoriser leur activité.

 

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Tous les vendredis, les salariés assurent la vente directe de leurs légumes au personnel de l’hôpital du Rouvray et aux habitants des environs. ©© Mathieu Oui

 

Bénéfices multiples et approche pluridisciplinaire

Le maraîchage s’avère bénéfique à de multiples niveaux, tant sur la capacité d’attention et de concentration, l’estime de soi, le renforcement des compétences sociales ou encore la gestion des contraintes liées au monde du travail… Pour le personnel soignant, cette activité sert également d’outil d’évaluation pour l’accompagnement vers l’insertion professionnelle. « Les stages que nous proposons aux patients ne les destinent pas forcément à devenir maraichers, mais servent à évaluer leurs capacités professionnelles : certains d’entre eux n’ont jamais travaillé, analyse Denis Delhommel, le cadre de santé.  À l’issue d’une semaine ou de quinze jours de stage, certains patients ont par exemple choisi de reprendre leurs études. » D’autres ont préféré rejoindre un autre domaine d’activité de l’ESAT comme la blanchisserie ou le conditionnement. C’est tout l’intérêt de ce partenariat d’élargir les possibilités d’insertion des personnes handicapées. « Les contacts réguliers avec l’équipe de l’ESAT permet d’échanger nos compétences professionnelles, et au final de mieux prendre en charge les différents publics que nous accueillons de part et d’autre », observe encore Denis Delhommel.

« Sur ce projet, la complémentarité entre nos deux établissements est très intéressante, renchérit Nawel Gazdallah, la directrice de l’ESAT. L’équipe de l’hôpital apporte ses compétences en matière sanitaire et nous apportons notre savoir-faire éducatif en termes d’accompagnement et d’insertion professionnelle. » Par ailleurs, l’approche pluridisciplinaire du projet, mêlant différents professionnels, médecins, ergothérapeutes, cadres et formateurs de l’ESAT est également une richesse. L’ESAT a été « audité » en juillet 2020 pour une certification bio, qui devrait être décernée dans le courant de cette année. Comme un fertile sillon à creuser par d’autres…

En savoir plus

Données en plus

24 stagiaires ont suivi l’activité depuis sa création en 2018.
L’activité maraîchage concerne actuellement 6 salariés qui ont le statut de travailleur handicapé.
Le centre hospitalier du Rouvray compte 5200 hospitalisations et 30 000 patients en ambulatoire (2018), 2041 salariés.