L’hôpital buissonnier s’invente en Norvège

La nature fait partie du quotidien et plus que jamais du soin en Norvège. Deux hôpitaux au sud du pays, à Oslo et à Christiansand, ont construit chacun un pavillon de répit, ouvert sur la forêt. Ces deux maisonnettes de bois permettent aux patients et à leurs proches de s’extraire, l’espace de quelques heures, de l’univers médical. Comme une indispensable respiration.

 

 

« Pour moi cet endroit rend les thérapies plus efficaces, même si je n’ai que ma clinique pour le prouver actuellement », résume Maren Østvold Lindheim, psychologue au Rikshospitalet d’Oslo. Depuis juin 2018, la soignante peut en effet utiliser le pavillon de répit construit sur le site de l’hôpital, cette maisonnette de bois que l’on aperçoit à l’arrière plan. Dans cet environnement apaisant, à 50 mètres de l’une des portes de l’hôpital universitaire, elle reçoit ses jeunes patients (voire leurs proches comme ici la sœur d’une jeune malade) en groupe ou en individuel.

 

 

« Il s’agit d’une question de dignité. Quand on est hospitalisé longtemps on a besoin d’un espace pour s’isoler, d’un environnement agréable où l’on n’est pas en permanence obligé d’être silencieux, où on peut faire ce qu’on veut », explique Håvard Hernes. Ce musicien a eu l’idée du pavillon de répit lorsque sa fille de 6 ans est tombée gravement malade. L’expérience lui a inspiré le projet de mettre à disposition des patients et de leur famille un endroit qui soit à la fois sur le site de l’hôpital et en dehors de son fonctionnement quotidien, loin des bruits du service et de l’ambiance aseptisée qui y règne. Sa fille guérie, il est revenu parler de son idée à l’hôpital, et notamment à la psychologue Maren Østvold Lindheim.

 

 

« En fait, tous les Norvégiens ont un bungalow dans la forêt, à la montagne ou en bord de mer. La nature fait vraiment partie de notre mode de vie. Et être hospitalisé, cela signifie en être privé », analyse Maren Østvold Lindheim, ici dans la forêt avec une de ses patientes et sa petite sœur. La psychologue, qui utilise depuis longtemps les ressources de la nature avec les enfants, a travaillé sur la conception du pavillon imaginé par Håvard Hernes. Au Rikshospitalet, il suffit de faire une trentaine de mètres à pied pour atteindre l’orée de la forêt. Une aire de pique-nique auprès d’un torrent est même accessible. « Dès qu’on sort, explique Maren, c’est incroyable comme les enfants se détendent, commencent à observer, courir, s’étonner de tout, bref, ils redeviennent des enfants comme les autres. »

 

 

« C’est tellement mieux d’être ici qu’à l’hôpital ! », constate Albertina, 11 ans, qui a été traitée au Rikshospitalet d’Oslo pour une leucémie, il y a 4 ans. La pré-adolescente (qui joue ici avec sa sœur dans le pavillon) revient régulièrement dans l’établissement, pour une séance de suivi avec sa psychologue. À chaque fois, elles se retrouvent dans la petite maisonnette toute de bois. Installé par la fondation Stiftelsen Friluftssykehus en lisière de forêt, ce lieu de répit tourne le dos à l’établissement. Comme une invitation pour l’adolescente, ses proches et sa soignante à sortir pour des activités en pleine nature.

 

 

« Les interactions ici sont tellement meilleures qu’à l’hôpital », confirme Kristina Skogen Tangeraas, la maman d’Albertina (à gauche sur la photo avec son imperméable rouge), qui l’accompagne avec sa petite sœur.

 

 

La thérapie environnementale est pratiquée de longue date en Norvège. « Je travaille principalement dehors », explique ainsi Vibeke Palucha, coordinatrice du service de thérapie en plein air du département de santé mentale des enfants et adolescents de l’hôpital Sørlandet de Christiansand, dans le sud du pays. « Chaque lundi, j’emmène un groupe en forêt (photo). On fait des choses ensemble plutôt que d’être assis sur des chaises, entre quatre murs. On marche, on se rapproche, on s’éloigne, on peut se livrer sans être les yeux dans les yeux. » Dans la littérature scientifique, plusieurs études montrent l’impact de la nature et de l’activité sur la réduction des marqueurs de stress, sur les paramètres cardio-vasculaires ou le métabolisme, une marche dans la nature ayant a priori plus de bénéfices que son équivalent en ville.

 

 

Pour faire aboutir son projet, Håvard Hernes a contacté le prestigieux cabinet d’architecture Snøhetta. « Je voulais les meilleurs matériaux, respectueux de l’environnement, et j’ai cherché l’entrepreneur à même de comprendre mon projet et de maîtriser la technique car notre pavillon n’est pas si facile à construire. » Il s’est donc adjoint les services de Jan Lindal (à droite sur la photo), un menuisier habitué à travailler sur des projets sociaux. L’administration de l’hôpital a été rapidement convaincue de l’intérêt du projet. Et quatre ans après avoir eu l’idée du projet, en juin 2018, le premier pavillon était installé à Oslo.

 

 

La maisonnette fait environ 35 mètres carrés, à quelques pas de l’hôpital. Résolument moderne, ses deux pièces sont équipées de vastes baies vitrées, de coussins colorés et même d’une fenêtre de toit qui permet d’admirer les étoiles. On y entend les bruits de la nature : le torrent qui serpente tout près (on le perçoit à gauche sur la photo), la pluie qui tombe ou les oiseaux qui chantent. Tout l’intérieur, revêtu de chêne, est facile d’entretien. On peut y venir à pied, en fauteuil roulant ou même dans un lit. Le tout coûte 500 000 €, financé par des organisations caritatives, la fondation pour les enfants hospitalisés, la fondation Bergesen, et une petite subvention octroyée par le Parlement. Håvard Hernes espère en équiper une trentaine d’hôpitaux norvégiens.

 

 

Jon Harald Hoff fréquente l’hôpital depuis les six mois de sa fille, Sonia, désormais âgée de deux ans et atteinte de leucémie. La famille habite littéralement l’hôpital. « C’est déprimant d’être ici 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Quand on a deux heures de pause, on n’a pas le temps de rentrer chez nous. Cet endroit chaleureux nous permet de nous détendre et de respirer. » Jon et sa femme y ont même organisé une fête. « L’état de santé de ma fille était si dégradé que nous avons souhaité lui dire au-revoir, avec notre famille et nos amis. » Le moment s’est transformé en réunion de soutien car, entre le lancement des invitations et la concrétisation de l’évènement, la situation a basculé et la petite est devenue éligible à un traitement.

 

 

Quelques mois après Oslo, un deuxième pavillon a été installé à l’hôpital de Christiansand. « Nous y organisons des thérapies de groupe avec des jeunes atteints d’infirmité motrice cérébrale, explique Siri Johnsen, physiothérapeute. Ces enfants se fatiguent vite, ils deviennent douloureux si on les sollicite trop. Mais ils ont adoré l’endroit. »

 

 

Vibeke Palucha (à droite sur la photo) est coordinatrice du service de thérapie en plein air du département pédiatrique de santé mentale de l’hôpital de Christiansand. Elle prévoit d’utiliser ce tout nouveau pavillon pour des thérapies familiales. Et l’équipe de gériatrie y accompagne d’ores et déjà des personnes âgées, qui peuvent y écouter de la musique autant que les bruits de la nature, selon leurs envies. « Cela leur rappelle des moments de leur vie, c’est très bénéfique », observe la physiothérapeute Siri Jonhsen (à gauche).

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Données en plus

Quatre années ont été nécessaires pour l'aboutissement du projet.
2 pavillons sont construits à ce jour, de 35 mètres carrés chacun.
Le coût est estimé à 500 000 € pour chaque unité.