Lum1, une plate-forme de liens entre acteurs du soin

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Bien qu’ils travaillent en réseau, les acteurs du secteur sanitaire et social sont souvent isolés, et plus encore rétifs aux plates-formes numériques. C’est à cette double problématique qu’entend répondre cet outil, gratuit pour les soignants et acteurs sociaux qui l’utilisent, mais payant pour les organisations. Il a été développé par un ancien travailleur social. Sa solution, qui consiste à créer un réseau collaboratif tout en simplifiant les tâches administratives de chacun, devra convaincre et atteindre une « masse critique » pour fonctionner pleinement.  

« Un soir, j’ai eu l’idée du concept, le nom de la boîte m’est venu instantanément, je me suis mis devant mon ordinateur et j’ai déposé le nom de domaine », rigole Maxime Duval, 35 ans, avec l’indéfectible enthousiasme des jeunes entrepreneurs. L’idée en question, c’est Lum1, « le premier réseau social dédié et réservé aux professionnels du social et de la santé », comme l’annonce la plate-forme.

S’il était si persuadé, en 2016, de tenir là un bon concept, c’est qu’avant d’être entrepreneur, il était lui-même travailleur social depuis l’âge de 21 ans. D’ailleurs, Maxime Duval avait même créé l’ancêtre de Lum1, lors d’un passage dans un service à Caen : un fichier commun – « un truc simple, un Excel » – pour permettre à ses collègues de partager leurs contacts. Soucieux, déjà, de fluidifier l’échange d’informations et in fine de mieux prendre soin des gens.

Un outil numérique pour aider les acteurs sociaux

Prenez les mandataires juridiques à la protection des majeurs, un poste que Maxime Duval a occupé dans le public comme dans le privé. « Ils sont à leur bureau avec soixante personnes à gérer. Il faut tout faire, s’occuper de l’aspect comptable, administratif, juridique… Ils créent des équipes pluridisciplinaires, soit beaucoup de temps de coordination, passé à recenser et appeler des acteurs sociaux », explique-t-il, assis sur un mobilier de bois brut, au milieu du grand plateau de 500 mètres carrés de l’incubateur bordelais la Snark Factory. Au fait de cette « culture de réseau » propre à ceux qu’il appelle « les héros du quotidien », ce travailleur social l’est aussi du manque d’outil numérique permettant de mettre en valeur la richesse de ce même réseau.

Maxime Duval a donc créé la version 2.0 du carnet d’adresses classique que possède chaque travailleur social et qui contient précieusement le contact de tel assistant social, tel kinésithérapeute ou telle aide à domicile. Un carnet certes précieux mais que l’on doit mettre à jour à la main et que l’on garde pour soi. Avec Lum1, lorsqu’il y a un changement d’équipe, une nouvelle recrue peut bénéficier de la richesse des contacts amassés par ses collègues. Et plus besoin de rectifier le numéro de tel ou tel service d’un hôpital : les mises à jour sont automatiques, car la start-up aspire, tous les trois mois, les données officielles mises à disposition par les services de l’État. 

Stéphanie Ladel, assistante sociale libérale à Lyon, se dit « enthousiaste » et « très preneuse » d’un tel outil pour « fluidifier son boulot ». Selon la professionnelle, il est désormais impossible d’accéder à des contacts directs dans de grosses structures, alors que c’était faisable à l’époque où des réseaux comme la Caisse d’allocations familiales et la Sécurité sociale éditaient des répertoires précis de leur personnel. « Si je peux par exemple, grâce à Lum1, avoir la ligne directe d’une assistante sociale de l'équipe mobile de gériatrie du CHU de Lyon, soit des contacts que les établissements sont frileux à donner, alors je suis ravie, c’est génial ! » Pour cela, elle insiste, Lum1 doit aller au-delà de l’« aspirateur de données » de Google : il faudra convaincre les établissements publics de livrer des organigrammes détaillés et pousser un maximum de professionnels à s’inscrire – en prenant gare de rester toujours extrêmement rigoureux dans l’usage des données et le respect de la vie privée de chacun. Cela permettrait, continue-t-elle, de résoudre des « nœuds de blocage qui peuvent pourrir des situations de vie » et de « consacrer plus de temps à l’humain ».

Quelques clics pour valoriser la « culture de réseau »

« Lum1 permet un gagner un temps dingue », assure le fondateur de la start-up sociale. « Le cœur de la plateforme, c’est son carnet d’adresses : vous stockez vos contacts glanés sur la plateforme, et pouvez aussi mettre vos contacts perso dans votre répertoire. » Et vous pouvez découvrir de nouveaux partenaires ou établissements, puisque la plateforme est géolocalisée. Comme sur un réseau social lambda, les utilisateurs demandent à être mis en relation avec une personne, qui peut alors accepter et ainsi dévoiler ses coordonnées – sachant que, par défaut, les professionnels sont désignés par des initiales afin de rester anonymes. À terme, l’entrepreneur et ses deux associés aimeraient mettre en place un « mur », comme sur Linkedin ou Facebook, pour que chacun puisse partager des informations.

« Les travailleurs sociaux ne sont pas des bons communicants, analyse Maxime. On fonctionne sur un mode archaïque. Une maison de retraite qui ouvre une unité Alzheimer par exemple, c’est intéressant ! On a besoin de connaître cette information. Eh bien pour la faire circuler, les professionnels comptent sur un article dans le journal ou envoient des mails comme des bouteilles à la mer. » Pour l’instant, la plateforme accumule près de 200 contacts, sans compter les fiches des établissements. Reste à convaincre les professionnels du secteur. Une tâche ardue.

Un réseau social sans données personnelles à livrer

« Les travailleurs sociaux sont les pires en terme d’inclusion numérique. Ils disent que ce n’est pas l’ordi qui prend soin des gens fragiles », explique Maxime Duval, qui d’une certaine façon ne leur donne pas tort. Et puis, le numérique est arrivé comme une contrainte dans ces corps de métier, via des logiciels obligatoires et chronophages, synonymes de multitude de champs à remplir. Ce que Maxime qualifie « d’obligation institutionnelle de saisir de la donnée ». Des données souvent personnelles, et donc sensibles, que l’on rechigne à livrer. « On a pris le contrepied de ces outils contraignants », énonce-t-il. Sur Lum1, on s’inscrit en quelques clics en donnant son nom, son mail et son téléphone. « C’est sécurisé, c’est anonymisé, il n’y a pas de messagerie privée ! » Un outil simple donc, et surtout gratuit pour les professionnels qui l’utilisent. Lum1 se veut sous ce regard une solution plus flexible et plus adaptée que le Répertoire Opérationnel de Ressources (ROR) porté par le service public, même si elle n’est pas encore suffisamment fonctionnelle.

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Pour financer le projet, l’équipe compte notamment sur les abonnements premium, qui offrent un bouquet de fonctionnalités, achetés par les responsables d’établissement – les directeurs d'hôpitaux par exemple. Lum1 est également soutenue par le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, qui a financé le développement du site à hauteur de 46 000 euros. Il s’agit d’un soutien majeur, qui crédibilise le projet, même s’il en faudra bien plus pour trouver et tenir ce fragile équilibre entre, d’un côté le respect de la double dimension éthique et solidaire de l’initiative, de l’autre la nécessité de revenus directs, au-delà des aides. De très beaux projets numériques à l’ambition sociale, comme la plateforme d’échanges entre voisins Mutum, n’y sont finalement pas arrivés. Alors, pour atteindre une masse critique d’utilisateurs avec des moyens pourtant modestes, Maxime Duval a mis en ligne des petites vidéos, dans lesquelles il explique comment « s’inscrire en deux minutes » en singeant la manière dont les adeptes de jeux vidéo se filment en train de jouer sur la fort populaire plateforme Twitch. Plus jeune, en 2006, il avait déjà créé un site web, un forum de kitsurfers, CNKite, devenu une association. « Il permet d’organiser des covoiturages pour aller à la mer, sur le littoral normand, de se partager les tuyaux. D’autant que les sports extrêmes peuvent être dangereux ! C’est une forme de solidarité. En fait, je voulais répondre à mon propre besoin... » Comme désormais avec Lum1.

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Pour financer le projet, l’équipe compte notamment sur les abonnements premium, qui offrent un bouquet de fonctionnalités, achetés par les responsables d’établissement – les directeurs d'hôpitaux par exemple. Lum1 est également soutenue par le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, qui a financé le développement du site à hauteur de 46 000 euros.