La Caverne : des racines naturellement solidaires

Première ferme bio souterraine inaugurée le 14 avril 2018, La Caverne est implantée sous un immeuble social du XVIIIe arrondissement parisien. Cette entreprise exploite 3 500 mètres carrés sur les 10 000 de cet ancien parking dont la réputation était pour le moins calamiteuse… Sa politique d’embauche et ses nombreuses initiatives au cœur du tissu social et de l’écosystème d’entraide du quartier La Chapelle en font un exemple.

 

 

« J’ai découvert une champignonnière à cent mètres de chez moi…», se félicite Janine, sur le marché solidaire La Bonne Tambouille, qui a lieu deux fois par mois, avec des prix divisés par deux. Au menu : les légumes et les champignons, pleurotes, shiitakes et autres champignons de Paris de La Caverne, ferme éco-solidaire proche de la place Pierre-Mac-Orlan, sous une barre de logements sociaux. La riveraine l’a découverte grâce à l’application « contre le gaspillage » Too good To go. Car tous les invendus sont distribués gratuitement aux habitants de ce quartier réputé difficile du nord du XVIIIe arrondissement, près de la porte de La Chapelle.

 

 

Toutes deux à la retraite, Yvette et Marie-Claude s’approvisionnent elles aussi à ce marché solidaire La Bonne Tambouille. Elles font partie de l’amicale des Gens de Cottin, l’une des nombreuses associations avec lesquelles collabore La Caverne. Créée par Florence Meyer et son époux Michel, son but est de végétaliser le quartier avec des jardinières. Comme le résume Théo Champagnat, l’un des deux fondateurs de cette petite entreprise : « Nous faisons du social et du solidaire à notre façon. Notre surproduction, par exemple, est redistribuée gracieusement aux Restos du cœur ou à l’Armée du salut toutes les deux ou trois semaines. »

 

 

Valorisant un écosystème à l’échelle du quartier, cette ferme rétro-futuriste vient d’embaucher en CDI Yvan Soinet, comme agent polyvalent et agent de production, après deux CDD successifs. Comme pas mal de stagiaires et parfois de salariés de l’entreprise, il a été recruté au départ via l’un des partenaires de ce projet pilote, le groupe Ares, créé il y a maintenant une génération par un travailleur social afin d’accompagner et de trouver des emplois pour des personnes en situation de forte exclusion.

 

 

« Dans notre équipe, dit Théo Champagnat, on a un mélange entre des gens qui sortent de structures d’insertion, des habitants du quartier et puis pas mal de jeunes entre 18 et 30 ans que nous prenons en stage ou comme saisonniers. » C’est le cas de Charlotte, élève dans un lycée agricole, et d’Enzo, 29 ans, ouvrier agricole saisonnier (sur la photo ci-dessus). La Caverne travaille avec un peu moins d’un tiers de personnes issues du quartier. Mais il n’est pas question de « raisonner en circuits fermés » : cette PME à l’ambition sociale forte considère comme essentielle la mixité des parcours en son sein.

 

 

Sur le marché solidaire de la place, reconnaissable à sa casquette et son tee-shirt noirs au centre de la photo, Joël Cacciaguerra a été l’un des acteurs de l’insertion de La Caverne dans le tissu social et solidaire du quartier. Il est en effet responsable de l’association Alinéas, « agence d’initiative locale pour une économie autre et solidaire », issue du monde de l’éducation populaire et partenaire de la ferme. « Dès leur arrivée sur le site en 2018, les gens de La Caverne se sont inscrits dans les mécanismes de solidarité du quartier, explique-t-il. Ils ont fait le tour des gardiens d’immeubles pour embaucher des chômeurs du coin. Et puis, lors de l’aménagement du site, les travaux de maçonnerie et la construction des chambres froides sont devenus un chantier d’action solidaire, avec des personnes en réinsertion et des bénévoles de notre association. »

 

 

« Notre atout, c’est d’avoir su recycler l’une de ces superstructures en sous-sols dont on ne sait plus quoi faire », dit Théophile Champagnat, agronome et cuisinier nomade (en photo avec des champignons de sa ferme biodynamique). Il est à l’origine du projet avec Jean-Noël Gertz, ingénieur thermicien et fondateur du Bunker Comestible à Strasbourg, initiative née en 2016 sur un site expérimental. Il y poussait des champignons sur 150 mètres carrés derrière la gare de la ville. Ce fut la rampe de lancement du site parisien, propriété d’ICF Habitat La Sablière, promoteur immobilier qui dépend de la SNCF et propose selon ses propres termes des logements à prix en dessous du marché, « notamment dans les communes en manque de logements sociaux » et pour « les publics les plus fragiles ».

 

 

La Caverne a en outre été parmi les « gagnants » d’un appel à projets de la mairie de Paris : Les Parisculteurs, qui se veut un collectif « d’entreprises et de partenaires publics mobilisés pour végétaliser 100 hectares d’ici 2020 à Paris ». De nombreux sites ayant répondu se trouvaient sur les toits. Seul celui de La Caverne était souterrain : c’est le parking où se situe désormais la champignonnière. 30% à 35% des surfaces en sous-sols sont inoccupées à Paris, ce qui représente des millions de mètres carrés. Au 24, rue Raymond Queneau au nord du XVIIIe arrondissement, ce parking longtemps laissé à l’abandon a d’ailleurs été dans le passé le centre de bien des trafics pas vraiment licites.

 

 

La tradition des champignonnières, d’abord développées à Versailles à l’époque de Louis XIV, s’est largement répandue dans Paris, notamment dans les catacombes, sous le Premier Empire. Deux siècles plus tard, « l’idée est d’être au plus près des consommateurs avec des légumes biologiques, champignons, endives, micro-pousses. Nous privilégions les circuits courts : nous les livrons de façon écologique, soit à vélo, soit en véhicule électrique, principalement aux commerces parisiens », résume Théophile Champagnat.

 

 

Deux vélos, un véhicule électrique. Outre le marché La Bonne Tambouille, La Caverne fournit principalement des épiceries, dont une dizaine d’Amap, quelques ruches et parfois même Rungis. « La mise en place du projet à couté 400 000 euros, précise Théophile Champagnat. Son financement est un mélange de tout : d’investisseurs, de subventions agricoles, ainsi que l’aide de la Nef (coopérative qui finance des projets à forte valeur ajoutée sociale, ndlr). Nous sommes montés en SAS agricole. On fait ça par passion, et pas pour s’en mettre plein les poches ! »

 

 

Comme le reconnaît avec le sourire Joël Cacciaguerra, compagnon de l’aventure de cette drôle de ferme et lui-même acteur majeur de l’économie sociale et solidaire du XVIIIe arrondissement de Paris, « les deux fondateurs de La Caverne ont monté une entreprise, pas une association. » Leur première ambition, c’est que leur entreprise tienne, donc qu’elle soit suffisamment rentable. « Mais ils accordent beaucoup d’importance à la formation de jeunes ou à l’emploi de personnes en difficulté. Ils ont une vraie démarche de solidarité. C’est ce qui explique leur proximité avec le regroupement d’associations locales dont je m’occupe, et ce qui justifie qu’ils devraient être demain l’un des coopérateurs clés de la SIC (société coopérative d’intérêts collectifs) que je vais monter avec des habitants, des associations et des producteurs du quartier. »

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Données en plus

La SAS Cycloponics est née en septembre 2017. La Caverne est le nom de la ferme.
La mise en place du projet de La Caverne, y compris surtout les travaux au sein de l’ancien parking, a coûté 400 000 euros.
La société compte 15 salariés à plein temps à Paris, 3 à Bordeaux. 30% de l'équipe vient du quartier. 2 personnes sont en réinsertion.