Quand la solidarité se conjugue au pluriel des associatifs

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Créé en juillet 2020 aux anciens Beaux-Arts de Caen par l’association Bande de Sauvages, le Free Shop offre gratuitement des biens divers, dont des vêtements, essentiellement à des personnes en situation de précarité. En photo : au premier plan, un bénévole ; au fond du magasin, une bénéficiaire. ©© Sylvie Legoupi

En plein cœur de Caen, le collectif LaBa, fédérant neuf associations, est installé depuis août 2019 dans l’ancienne école des Beaux-Arts. Ce collectif, actuellement en discussion pour y pérenniser sa présence au-delà de fin septembre 2021, illustre la richesse du tissu associatif de la ville, dont les dynamiques de solidarité prennent de multiples formes.

Dans un écrin de verdure en face du château de Caen, les neuf associations du collectif LaBa concrétisent un écosystème à la fois culturel, social et solidaire, au service de migrants, de personnes en situation de précarité, d’acteurs de la culture ou de musiciens touchés par les conséquences de la crise sanitaire. Il y a deux ans, elles ont pris la place des anciens Beaux-Arts de Caen, déplacés en 2009 sur la presqu’île portuaire. Désaffecté, cet hôtel particulier du XVIIIe a été racheté en 2011 par la Sotrim, un promoteur immobilier qui souhaite y aménager un complexe d’appartements hauts de gamme. Depuis, les travaux ne cessent d’être reportés. Résultat : LaBa s’est vu confier la clef de ces spacieux locaux de 1 764 mètres carrés à titre gracieux. En échange, ses membres paient les charges, participent à l’aménagement des locaux et évitent que ces derniers ne soient squattés, comme ce fut le cas par le passé. 

 

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Le bâtiment des anciens Beaux-Arts de Caen, où se sont installées en août 2020 les neuf associations du collectif LaBa. ©© Sylvie Legoupi

 

Mutualiser les savoir-faire pour créer une dynamique solidaire

L’objectif des neuf associations constituées en collectif est de « travailler ensemble en mutualisant leurs savoir-faire », raconte Sophie, bénévole au sein de L’Étourneur, qui organise des concerts, met des studios d’enregistrement et des salles de répétition à disposition des groupes et produit des projets musicaux avec son label indépendant. « Nous ne nous sentons plus isolés et nous avons constaté une vraie émulation liée à cette occupation commune : un magasin gratuit, le Freeshop, s’est créé, en juillet 2020, suivi par la Miga, une imprimerie partagée, à l’initiative des associations La Demeurée et les Editions Grevis », détaille la jeune femme, également employée à mi-temps par le collectif La Ba dans le cadre d’un contrat aidé. Son rôle : répondre aux nombreuses demandes de résidences artistiques et faciliter la relation entre les différentes associations qui occupent le lieu.

 

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Alexie, artiste plasticienne, en résidence à La Ba depuis octobre 2020. Employée à mi-temps comme travailleuse sociale dans un foyer d’extrême urgence hivernale dans le quartier Pierre Heuzé, qui accueille des familles, elle réalise ici un étendard à partir des dessins des enfants hébergés dans ce foyer. ©© Sylvie Legoupi

 

Si plusieurs d’entre les acteurs de LaBa se connaissaient de longue date avant de se constituer en collectif, l’installation aux anciens Beaux-Arts de Caen a facilité les projets communs, témoigne aussi Victor, co-président de La Demeurée. Ce dernier est le co-fondateur de l’imprimerie la Miga, qui permet aux associations, collectifs, et artistes de Caen et environs, de réduire leurs frais d’impression tout en développant un outil mutualisé.

 

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Victor, coprésident de La Demeurée, pose dans son bureau à La Ba devant la mascotte de l’association. ©© Sylvie Legoupi

 

Situé à Saint Contest, dans la campagne caennaise, La Demeurée est un espace de création qui accueille aussi bien des projets autour de la permaculture et de l’herboristerie que du cinéma, du graphisme ou de la musique. « Philosophiquement et politiquement, nous sommes tous situés dans le champ de l’entraide. Le fait de mutualiser les outils, de nous croiser dans nos espaces nous aide vraiment à avancer de façon solidaire », affirme ce jeune graphiste indépendant qui espère accueillir prochainement l’antenne de l’association d’aide aux migrants SOS Méditerranée à Caen.

 

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Rebecca, une artiste vitrailliste, est accueillie sur le long terme à La Demeurée, à proximité de Caen, en échange d’un loyer solidaire et d’une participation aux activités de l’association. ©© Sylvie Legoupi

 

La culture en version solidaire

Également dans le secteur musical, l’association Five Inch apporte de son côté un soutien technique aux artistes émergents, particulièrement précieux en cette période de crise sanitaire qui a beaucoup impacté le secteur culturel : « L’idée, c’est de mutualiser des compétences, du matériel, un lieu », résume Pierre, le cofondateur de l’association. Financée essentiellement grâce aux adhérents, Five Inch produit chaque année une dizaine de disques, cinq à six films montés et des créations pour les pièces de théâtre. Elle travaille souvent en collaboration avec l’Étourneur, pour la production des disques et les concerts des artistes. Côté organisation et prise de décision, les associations mettent en avant un fonctionnement horizontal, qui privilégie les prises de décision par consensus. Leur boussole : « Que les initiatives proposées soient en pleine cohérence avec le projet initial du collectif », explique Sophie. Un projet qui vise favoriser l’accès à la culture pour tous, mais aussi à promouvoir la solidarité envers les plus démunis, qu’ils appartiennent ou non au monde de la musique. Une ambition concrétisée par le Free Shop, soutenu par l’ensemble des acteurs de La Ba et géré par l’association Bande de Sauvages.

 

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Au piano, Sophie, salariée à mi-temps de LaBa et bénévole au sein de l’association L’Étourneur. ©© Sylvie Legoupi

 

Un magasin gratuit au cœur du bâtiment : le Free Shop

Les personnes sans-abris ou tout simplement démunies, pour beaucoup accompagnées par des associations d’aide sociale, se servent librement dans le magasin, sans avoir à payer les biens qu’elles choisissent. Elles gagnent ainsi en autonomie. Dans cette ville où 20 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté – contre 15 % au niveau national – ce magasin gratuit attire une foule de clients chaque lundi et vendredi et fait même des émules. « De nombreuses personnes m’ont contactée pour monter des projets similaires ! », se réjouit Violaine, salariée de l’association Bandes de sauvages.

Bénévole au sein du Free Shop comme une vingtaine d’autres personnes, Lila, actuellement en pause dans ses études, assume pleinement son engagement dans cet espace : « Donner sans rien attendre en retour, c’est très agréable et ça me permet de rencontrer de nouvelles personnes. »

« Avec la crise sanitaire nous avons encore davantage besoin de ce type d’initiatives » confirme Mathilde, qui vient découvrir le Free Shop. Cette Caennaise, actuellement au chômage, se réjouit de voir que « des choses dont je n’ai plus besoin peuvent servir à d’autres personnes dans le besoin ». Au-delà des objets, le Free Shop propose également des dons alimentaires, en lien avec un autre locataire de LaBa, l’association Caennaise d’entraide, qui organise des distributions régulières. Pour l’association Bandes de Sauvages, le Free Shop s’inscrit dans la poursuite d’un premier projet solidaire initié en janvier 2018, le restaurant Sauvages sur un Plateau.

 

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Un cours de français pour migrants, donné par Anna, bénévole du restaurant solidaire qui a été la première initiative de l’association Bande de sauvages dans le quartier de la Grâce de Dieu à Caen. ©© Sylvie LegoupiDans la cuisine du restaurant sauvage sur un plateau, Raphaël, cuisinier salarié de l’association Bandes de Sauvages. ©© Sylvie Legoupi

 

Un lien entre les quartiers populaires et le centre-ville

Mardi matin, dans le très populaire quartier de la Grâce de Dieu, des tables installées sur le trottoir sont remplies par des élèves studieux, qui apprennent le français avec l’aide de bénévoles de l’Association de Solidarité avec tous les Immigrés (ASTI). En fin de matinée, ils laisseront la place au restaurant solidaire Sauvage sur un plateau, qui propose des repas à prix libres, chaque midi du mardi au vendredi. « L’association a d’abord expérimenté des ateliers culinaires dans des centres d’accueil et d’orientation pour les demandeurs d’asile, à l’époque du démantèlement de la jungle de Calais. De là est née l’envie d’avoir un lieu dédié à la restauration, avec la cuisine comme prétexte et vecteur de liens sociaux », précise Raphaël, salarié du restaurant depuis 2020.

 

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Dans la cuisine du restaurant sauvage sur un plateau, Raphaël, cuisinier salarié de l’association Bandes de Sauvages. ©© Sylvie Legoupi

 

Les repas sont réalisés à partir des fruits et légumes d’un producteur local, l’association récupérant aussi les invendus des magasins. Dans ce quartier prioritaire de la ville, où deux restaurants avaient précédemment tenté sans succès de s’installer, l’adhésion des résidents a été immédiate selon le cuisinier.

 

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Annie et Malika, habitantes du quartier de la grâce de Dieu et clientes régulières du restaurant sauvage sur un plateau. ©© Sylvie Legoupi

 

Cliente régulière, Annie se sent ici comme en famille : « Le restaurant a apporté de la vie et des rires dans le quartier, les gens se parlent plus, ça fait du bien ! » Cette retraitée, dont les grands enfants vivent loin, contribue aussi bénévolement à la décoration du restaurant et au tri des dons vestimentaires. « Nous avons toujours eu dans notre restaurant un espace où les personnes pouvaient se servir gratuitement en vêtements ou objets. Le Free Shop en est la continuité », explique Violaine.  Cette dernière se réjouit de la passerelle qui s’est créée entre le Free Shop et le restaurant, pourtant situés dans des quartiers opposés de la ville. « Pendant les deuxième et troisième confinements le Free Shop est resté ouvert, et nous avons encouragé nos bénévoles, notamment ceux du centre d’accueil de demandeurs d’asiles situé à proximité du restaurant, à reporter leur envie de service sur le Free Shop. »

 

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Elias, service civique au sein de l’association Bandes de Sauvages pose devant le Free Shop  ©© Sylvie Legoupi

 

Le bail actuel des associations du collectif, qui expirait officiellement en septembre 2021, a été reconduit le temps nécessaire aux discussions entre la Mairie de Caen, le propriétaire des lieux et les responsables de LaBa afin de construire un projet pérenne. « L’idéal serait de pérenniser l’occupation de ces lieux sur dix ans, car on pourrait alors se projeter vraiment », estime Victor, le vice-président de La Demeurée. Pour y parvenir, il cherche, avec les autres associations de LaBa, à monter un « club des amis des Beaux-Arts » dont les adhésions pourraient permettre de payer un loyer à la Sotrim. « Si ça ne fonctionne pas, nous restons confiants car le travail réalisé ne sera jamais perdu », conclue-t-il avec philosophie. Si l’occupation se poursuit, l’objectif serait à terme d’accueillir du public et de proposer une cantine solidaire, notamment pour les étudiants du quartier.

En savoir plus

Données en plus

Le collectif LaBa regroupe 9 associations depuis sa création en août 2019. Il compte 700 membres à jour de cotisation, 60 bénévoles et une salariée 20 heures par semaine. En deux ans, 200 réunions et 29 résidences musicales se sont tenues dans son bâtiment, tandis qu’y ont été distribués gratuitement plus de 1200 paniers de légumes et 1,5 tonne de pain. 150 litres de sacs de dons sont triés chaque semaine par les bénévoles du Free Shop.

Ces neuf associations : Bande de sauvages ; Éditions Grévis ; L’Étourneur ; Five-Inch ; Kinocaen ; Les Pères la Pouque ; La Miga ; L’Association caennaise d’entraide ; La Demeurée.