Devenir infirmière aujourd’hui, et après ?

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Le contrôle d’une sonde par une infirmière dans le service oncologie de l’Hôpital Forcilles en Seine-et-Marne. ©© Caroline Perrier

L’attractivité du métier d’infirmier semble aujourd’hui malmenée. Fondée sur des valeurs fortes, la formation infirmière est pourtant toujours très demandée. Et lorsque les professionnels quittent leur fonction hospitalière, c’est après avoir tout tenté pour y rester. Premier volet d’enquête.

« Ce métier, on le rencontre très tôt dans nos vies. Parce que petit, on a tous visité quelqu’un à l’hôpital, on a tous joué à être le docteur ou l’infirmière. Il est très connu, très populaire, et chacun en a une image. » Présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI), Mathilde Padilla est en première ligne sur le sujet de ce métier très éprouvé par la crise du Covid-19 et dont les difficultés sont désormais largement médiatisées, parfois avec un certain manque de nuance. Car l’attrait pour le relationnel, l’écoute, l’attention à la personne restent plus que jamais les premières motivations que tous les étudiants en soins infirmiers ou soignants en exercice mettent en avant dans leur choix de carrière.

Des profils de tous types

En revanche, les parcours qui mènent aux professions du soin sont variés. « J’avais un BTS informatique et j’ai travaillé quelques mois comme développeur d’applications avant de réaliser que ce n’était pas ce que je voulais faire, se souvient Mickaël Blanc, actuellement en première année d’IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) à Toulon. Je voulais être au contact des gens, à leur écoute, alors je suis d’abord devenu ambulancier, avant de m’engager dans le métier d’aide médico-psychologique, puis, aujourd’hui à quarante ans, d’accéder à la formation d’infirmier. » Un enchaînement logique, après ce qui ressemblait à un « mauvais » départ. Anthony Bertrand, lui, était déjà sapeur-pompier francilien dans ses années de lycée. Il est sur le point de terminer sa troisième année d’études, à Paris. Il explique son choix : « J’avais envie de soigner les autres et de me rendre utile. J’avais une première image du soin en tant que pompier. J’aimais les urgences, l’intervention sous stress, donc je pense qu’à l’issue de ma troisième année, j’irai travailler aux urgences ou en réanimation. » Quant à Lili-Marie Delpierre, actuellement en deuxième année d’IFSI en région parisienne, elle voulait absolument travailler dans la santé. « Je n’ai pas été prise en médecine, donc je suis entrée en IFSI. Et j’y apprécie autant le côté relationnel que les soins les plus techniques. Même en tant qu’étudiante je me sens déjà utile. »

Le métier n’est pas sans présenter de nombreux atouts. « La formation est relativement courte (trois années) et à la sortie on est certain d’avoir un emploi, explique Enzo Surrel, en troisième année d’IFSI à Saint-Etienne. Par la suite, on sait que l’on pourra changer de service, d’établissement, de ville facilement. On trouvera toujours du boulot. » En effet les offres d’emploi ne manquent pas dans la branche. Trois quarts des jeunes diplômés trouvent leur premier poste en moins d’un mois à la sortie de l’IFSI. Et il y a des possibilités d’évolution de carrière, que celle-ci s’accompagne ou non d’une plus grande autonomie, de plus de responsabilités, voire d’un meilleur salaire. Après les premières années, la poursuite d’une formation est possible pour obtenir une spécialisation en bloc opératoire (IBODE), anesthésie (IADE), puériculture, cadre de santé ou formateur. Celles et ceux qui se lasseront de l’hôpital pourront aller travailler dans les services départementaux de PMI (Protection maternelle et infantile), devenir directrice de crèche, ou travailler dans des établissements médico-sociaux. L’envie d’une plus grande autonomie pourra être satisfaite en intégrant un service de soins à domicile ou en évoluant vers le secteur libéral, pour peu qu’un tel changement corresponde aux valeurs de la personne. Par ailleurs, depuis « l’universitarisation » de la formation et l’attribution d’un grade de licence au diplôme d’État en soins infirmiers, certains poursuivent des études en master, puis en doctorat. Enfin, toute dernière évolution, il est désormais possible de devenir infirmier en pratique avancée (IPA), c’est-à-dire un professionnel aux compétences élargies – grâce à deux années de formation supplémentaires – qui est à même de suivre des patients chroniques confiés par un médecin.  

 

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Une infirmière en discussion avec un patient, dans le service de cancérologie de l’Hôpital Franco-Britannique à Levallois-Perret en pleine crise du Covid-19. ©© Erwann Le Gars

Des durées de carrière de plus en plus courtes

Pourtant, on le sait, nombre d’infirmières et infirmiers quittent le métier. C’est le cas, emblématique, de Anne-Sophie de Pontévès Minkiewicz, au bout de trois années d’exercice seulement. « Je travaillais en cancérologie pédiatrique. Et nous avons annoncé un très mauvais pronostic à des parents. Ils avaient besoin d’explications, mais je devais aller faire des soins auprès d’autres enfants. Je leur ai dit que j’allais revenir. Mais quand enfin j’ai pu le faire, plusieurs heures s’étaient écoulées et ils étaient partis. Je me suis dit : ce n’est plus possible. » La jeune femme part, s’inscrit en master puis travaillera dix ans dans un cabinet de ressources humaines.

Combien de soignants suivent son exemple ? Difficile à dire. On entend régulièrement rapporter des durées de vie professionnelle de dix, cinq, voire trois ans. Un syndicat infirmier évoque ainsi 30 % des diplômés qui quitteraient le métier au bout de cinq ans. Aucune étude ne vient corroborer ce chiffre. En revanche, une enquête sur les infirmières et aides-soignantes du groupement d’intérêt public Défi métiers (décembre 2020) fait état de carrières d’une durée de 17,5 à 21,5 années pour le personnel infirmier au niveau national dans les hôpitaux publics en France – mais seulement de 11,5 à 15,5 années en Ile-de-France. Ce chiffre ne signifie pas, néanmoins, que les infirmiers et infirmières qui décident de quitter l’hôpital public abandonnent pour autant la profession.

« Parmi les infirmières qui me sollicitent pour une reconversion, un tiers va demeurer dans le métier », résume en effet Anne-Sophie. Car la jeune femme, après dix ans comme consultante en ressources humaines, a fondé sa propre start-up, consacrée à l’accompagnement des infirmières en quête de reconversion. « Elles occuperont des postes d’infirmière tarificatrice, pourront travailler pour des assureurs, des sociétés de rapatriement sanitaire ou des prestataires de matériel médical à domicile. » Un tiers seulement s’orientera vers des carrières radicalement différentes. Le dernier tiers se reconvertira dans des fonctions de soin au sens plus large, le plus souvent avec le statut de travailleur indépendant : massages, coaching, hypnose, etc. Là aussi, les besoins ne manquent pas.

 

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Une soignante dans la pièce de pharmacie de l’Hôpital Forcilles. Être infirmière suppose de la rigueur et une large gamme de compétences. ©© Caroline Perrier

Un métier régulièrement sous tension

La « volatilité » au sein de la profession n’est pas nouvelle. « Le métier a toujours été difficile. Et en particulier, il est compliqué de le concilier avec une vie de famille, note Pascale Molinier, psychologue sociale et chercheuse en psychodynamique du travail. C’est pourquoi on observe souvent un infléchissement dans la carrière lorsque les femmes ont leur premier enfant. » Après avoir expérimenté différents services à l’activité intense, les infirmières vont alors émettre le besoin de travailler dans des horaires de jour, des services de consultation ou de prévention.

« Moi je change de poste à peu près tous les deux ans, explique ainsi Caroline Meslin, diplômée depuis 2011. Je suis curieuse, j’aime essayer d’autres choses, c’est ainsi que je suis partie de l’hôpital lorsque les cadences ont commencé à s’accélérer. J’ai d’abord travaillé pour un prestataire de matériel médical à domicile, puis pour un assureur en prévention santé et en tarification. » Avant de finalement réaliser que les valeurs de ces employeurs ne lui convenaient pas. Car c’est très souvent à cet endroit que le bât blesse : on devient rarement infirmier pour faire du chiffre. Et même si la profession a longtemps lutté contre l’image de dévotion qui lui est accolée depuis sa lointaine origine caritative, elle transige rarement avec la déontologie. C’est notamment ce qui a poussé Nora Viviani à demander sa mise en disponibilité. Cette infirmière de bloc berruyère travaille actuellement pour une association à l’aménagement de salles de repos pour les soignants au sein des hôpitaux. « Lorsque le Covid est arrivé, le bloc où je travaillais a été fermé et nous avons été mis à disposition des unités Covid. » L’effet pour la jeune femme a été dévastateur : « Nous allions travailler avec la boule au ventre, pas formés. J’avais confié mes dernières volontés à des collègues, on devait récupérer des surblouses à l’extérieur parce que l’hôpital n’en avait pas prévu assez. Et puis tous ces morts ! »

 

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En pleine crise sanitaire à l’Hôpital Cognacq-Jay dans le quinzième arrondissement de Paris, des soignantes du service oncologie sont au chevet d’une patiente. ©© Erwann Le Gars

L’effet révélateur de la crise du Covid

Le choc lui fait également réaliser dans quelle précarité est l’hôpital public. « Je n’avais pas pensé à quitter mon métier avant. » Cette professionnelle avait d’ailleurs abandonné un emploi stable dans une banque pour s’engager dans le soin infirmier, suite au décès brutal d’un proche devant lequel elle s’était sentie impuissante. C’est dire combien son engagement était profond. « J’ai fait face aux boîtes d’instrument incomplètes, aux tables d’opération bloquées dans une position, aux petits bricolages avant l’arrivée des équipes de certification, tout cela était sous mes yeux. Je m’étais construite sur des valeurs, mais après l’arrivée du Covid il était devenu hors de question pour moi de revenir dessus pour les contingences financières de l’administration. » Nora a obtenu sa mise en disponibilité à l’été 2021. « Douze autres demandes ont été acceptées cet été là. »

La revalorisation salariale serait-elle arrivée trop tard ? Le Ségur de la santé, qui s’est tenu à l’été 2020 a en effet permis d’augmenter les salaires (183 euros net ont complété les fiches de paye des personnes employés à plein temps en janvier dernier) et de nouvelles grilles indiciaires permettent désormais d’améliorer plus rapidement les rémunérations en cours de carrière. Des investissements pour améliorer le fonctionnement hospitalier et augmenter le nombre de places en formation d’infirmiers et d’aides-soignants ont été enclenchés. Mais depuis la fin de la première vague pandémique, les départs se succèdent dans les hôpitaux. Et les primes Covid n’ont pas semblé d’un grand effet pour amortir le phénomène. De fait, depuis la rentrée 2021, le manque de professionnels dans les établissements de soin se fait plus criant. 20 % de lits en centre hospitaliers régionaux ou universitaires seraient fermés en France par manque de soignants, selon une enquête « rapide » réalisée en octobre 2021 par Jean-François Delfraissy, le comité scientifique et des directeurs de CHU. Contre à peine 9 % deux ans auparavant.

Malgré tout, la relève semble se profiler. La formation aux soins infirmiers reste la plus demandée par les jeunes bacheliers dans le système ParcourSup. En 2021, plus de 689 000 vœux ont été exprimés en faveur d’un établissement de cette filière (attention, chaque étudiant peut solliciter plusieurs IFSI) pour quelques 34 000 places. Et en deux ans, le gouvernement a ouvert quelque 3000 nouvelles places de formation. « Mais l’intérêt pour la formation va-t-il se maintenir, alors que le chômage baisse et que de nombreux secteurs recrutent activement ? », s’interroge Michelle Appelshaeuser, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres. Pour séduire, conserver ses nouvelles recrues voire augmenter ses effectifs, l’hôpital va donc devoir travailler son attractivité, en faisant peut-être évoluer notamment ses formations…

Lire le deuxième volet de notre enquête : "Comment vraiment prendre soin du métier d'infirmière ?"

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Données en plus

Les infirmières en France

Selon les dernières données DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), il y avait au 1er octobre 2021 :

-   764 260 professionnels infirmiers en France,

-   dont 368 759 exerçant à l'hôpital public,

-   81 781 travaillant en établissements privés à but lucratif,

-   et 42 364 salariés d’établissements privés à but non lucratif