Auto’Mômes redonne espoir aux parents de jeunes autistes

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Chaque enfant du projet Auto’Mômes est pris en charge de façon individualisée. La méthode Gattegno, où un phonème est égal à une couleur, permet ici à Martial de parfaire son apprentissage de la lecture. Photo extraite d’un film de Jean-Pierre Renon.

C’est pour répondre aux difficultés d’accès à certains instituts médico-éducatifs et au rejet par le système scolaire des enfants atteints de troubles autistiques graves que l’association Dominique a ouvert une structure de jour spécialisée pour les accueillir. A Fonsorbes, dans le département de la Haute-Garonne, Auto’Mômes est un projet à la fois thérapeutique et pédagogique, qui inclut les parents.

Comme bien souvent, c’est à l’épreuve d’un cas concret, vécu par ses parties prenantes, qu’est né le projet Auto’Mômes au sein de Dominique. Depuis 36 ans, cette association reçoit des familles de toute la France et même d'Europe, pour aider leurs enfants handicapés présentant des problèmes moteurs importants, en mettant en place un programme éducatif pouvant être mené à la maison par les parents. « Nous n’avions jamais fait d'accueil de jour pour les enfants atteints de troubles du spectre autistique, mais lorsqu’il y a cinq ans, des amies d'une maman sont venues nous trouver en nous disant qu’elle avait un enfant autiste dont personne ne voulait, ni l'école ni les institutions parce qu'il pleurait nuit et jour, s'automutilait, et que la maman avait fait plusieurs tentatives de suicide, nous avons décidé de consacrer une partie de nos locaux pour accueillir à la journée ces enfants-là », se souvient Jacqueline Delpech, sa responsable depuis 1984.

L’objectif est double : prendre soin des parents comme des enfants, à l’image du « parcours du combattant » tel qu’en parle Audrey, dont le fils a été diagnostiqué autiste à l’âge de 5 ans. « Keynan s’exprime par sons et recherche le consentement de l’adulte par le regard. On nous avait dit qu’il y avait deux ans d’attente pour une place dans un IME pas forcément adapté à ses troubles. Comme l’école maternelle refusait de le garder plus de deux demi-journées par semaine, j’ai dû quitter mon travail et me reconvertir pour pouvoir m’occuper de lui à la maison. »

Structurer un réseau d’institutions pour viabiliser le projet

Pour monter le projet, Jacqueline Delpech fait appel à Marie-Hélène Barrusseau-Perrier. Éducatrice spécialisée, thérapeute puis directrice d'ESAT, directrice d'un institut médico-pédagogique (IMP) et formatrice à l'Institut Régional du Travail Social (IRTS) de Nouvelle Aquitaine, cette dernière a consacré toute sa vie aux enfants et aux adolescents atteints d’autisme sévère, prodiguant son expertise auprès d’institutions comme la fondation Chirac ou l’association Faugeras. « Je venais de prendre ma retraite. J'ai accepté de m'occuper d’Auto’Mômes à condition que ce soit un projet médico-social, c'est-à-dire qui travaille comme une institution pouvant être reconnue par l’Agence Régionale de Santé (ARS) », se souvient-elle. Elle va ainsi créer un réseau, en contactant le Centre de ressources autisme (CRA) qui diagnostique des enfants, les IME de la région ainsi que le Centre régional d'éducation et de services pour l'autisme (CERESA).

L’initiative est vite soutenue par un Centre d'action médico-sociale précoce (CAMPS) et par l'hôpital de la Grave à Toulouse, « parce que nous n’avions pas de pédopsychiatre » dit l’un de ses responsables. « Les Centres médicaux psycho pédagogiques (CMPP) nous ont appelés parce qu'ils ne trouvaient pas de place pour des enfants à placer, explique Marie-Hélène Barrusseau-Perrier. Quant à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), à qui nous avions expliqué nos besoins et le coût pour les parents, elle a accepté d’inclure tous les enfants dans ses effectifs et d’augmenter l'Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) pour que les parents puissent avoir la somme qui correspondait à notre devis, soit 45 € par jour. » La jeune retraitée entreprend alors de constituer son équipe, recrutant notamment des éducateurs qu’elle forme elle-même aux différentes méthodes comportementalistes, comme par exemple TEACCH, méthode cognitive d'éducation structurée, appréciable pour son utilisation très individualisée.

Apaiser les enfants pour qu’ils demeurent en milieu scolaire

Auto’Mômes ouvre ses portes en 2017, avec deux éducateurs spécialisés et une psychologue. Une éducatrice scolaire, une ergothérapeute et un psychomotricien, formé au sensori-moteur et aux réflexes archaïques, complètent le groupe. En voyant arriver les premiers enfants, pratiquement tous non verbaux et atteints de déstructuration à un degré dramatique, Marie-Hélène Barrusseau-Perrier est bouleversée. « Je ne pensais pas qu’il pouvait encore y avoir des enfants dans cet état-là. La première année, ils étaient tellement abîmés que l'on ne pouvait pas les sortir. Ils se jetaient sous les voitures, ils ne faisaient attention à rien. Ils n’allaient pas aux toilettes, ne se lavaient pas les mains. »  Priorité est donc donnée à l’apaisement des comportements et au travail individuel vers l’autonomie quotidienne. Pour communiquer, les enfants apprennent à se servir du classeur PECS (Picture Exchange Communication System), rempli d’images leur permettant d’exprimer un choix, un souhait, de demander de l’aide, de faire un commentaire, de poser une question, d’accepter ou de refuser une consigne, etc.

L’autre défi est le maintien de ces jeunes autistes en milieu scolaire. La collaboration entre les écoles et Auto’Mômes s’avère alors indispensable. Devenue référente, Marie-Hélène Barrusseau-Perrier se rend elle-même dans les établissements qui ne veulent plus des enfants que les parents lui amènent, conseille les auxiliaires de vie scolaire (AVS) et réussit à convaincre enseignants et inspecteurs d’académie. « Il y a même eu deux écoles qui m'ont demandé de venir aménager la classe avec eux, se souvient-elle, ils voulaient que je vienne voir les enfants qui posaient problème. » Aujourd’hui, le partenariat fonctionne dans les deux sens. Les enseignants se déplacent pour découvrir les outils utilisés par les éducateurs et se réunissent régulièrement avec eux pour construire un guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (formulaires Geva-sco). Les progrès réalisés par les 14 enfants entrés en 2017 sont indéniables. Neuf d’entre eux vont continuer leur scolarité via un Service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), pour profiter d’un accompagnement individualisé – seule une minorité des membres du groupe de départ allant dans un IME. Quant aux plus jeunes, tous vont désormais à l’école maternelle. En effet, la structure peut accueillir des tout petits à partir de deux ans et demi, sans nécessité d'un agrément. « Plus on les prend petits, plus on a de chance de les sortir d'affaire », reconnaît Marie-Hélène Barusseau-Perrier.

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Les enfants disposent de toute une gamme d'outils adaptés aux troubles de l'autisme. C’est ainsi que Céline apprend à se concentrer et à tracer des lignes sur une ardoise magique. Photo extraite d’un film de Jean-Pierre Renon.

Augmenter l’autonomie des enfants et être à l’écoute des parents

La maison d’Auto’Mômes a d’ailleurs tout d’une école maternelle : même portail sécurisé, même sas avec les porte-manteaux ornés d’une photo, même couloir où sont affichés les emplois du temps, mêmes aménagements avec des jeux et même salle de repos remplie de doudous. Si la matinée est réservée aux apprentissages, comme le langage des signes, et au soutien scolaire pour ceux qui vont en primaire, l’accent est aussi mis sur la socialisation, comme aller faire des courses au supermarché en vue de l’atelier cuisine du lendemain, trouver les ingrédients, être patient derrière la caisse, ne pas rabrouer les gens ni les bousculer. L’après-midi est plutôt consacrée à la compréhension des émotions et aux thérapies : art thérapie, relaxation, sorties dans le parc et moments au sein d’un espace dit Snoezelen, aménagé avec de la lumière tamisée, des couleurs et de la musique douce, dédié à l’exploration sensorielle et à la détente, que Keynan, apprécie tout particulièrement. « Il est beaucoup plus réceptif », se réjouit Audrey, impressionnée par les progrès réalisés par son fils, qui va désormais en classe une demi-journée par semaine. « Il se tourne beaucoup plus vers les autres enfants ou vers les animaux. Avant, ils ne les voyaient pas, c’était comme des objets qui passaient. »

L’accompagnement des parents est une composante essentielle du projet d’épanouissement des enfants. Après une première réunion de synthèse suivie d’un tour de table, les parents sont reçus par toutes les personnes de l’établissement qui s’occupent de l’enfant, et par les intervenants extérieurs comme le généraliste, l’orthophoniste, l’AVS ou l’enseignante. « Nous construisons ensemble le projet individuel que nous avons pour l’enfant, quitte à le rectifier en fonction des besoins des parents, commente Marie-Hélène Barrusseau-Perrier. Cette séance peut aussi servir de formation, par exemple pour comprendre l’utilisation du classeur PECS, mais elle permet surtout d’être sur le même pied d’égalité. Ce n’est pas “Voilà ce qu’on va faire avec votre enfant”, mais “Qu’est-ce qu’on va faire ensemble pour votre enfant”. » La nuance a toute son importance. Plusieurs séances de ce type ont lieu avec les parents, tout particulièrement au début. Par la suite, un cahier de liaison sert à transmettre leurs demandes spécifiques aux éducateurs, qui à leur tour les tiennent informés quotidiennement des activités réalisées avec leurs enfants. « C’est très familial, fait remarquer Marie-Hélène Barrusseau-Perrier. Il y a beaucoup de bienveillance par rapport aux parents, qui, à tout moment, peuvent venir en observation ou discuter avec les éducateurs. »

Poursuivre le projet malgré les difficultés économiques liées au Covid

Certains parents ont besoin des soignants pour poursuivre à domicile le travail accompli à Auto’Mômes et sollicitent des aides régulières. C’est le cas de la maman de Céline, 9 ans, autiste non verbale qui commence à dire quelques mots, scolarisée deux jours et demi par semaine en Unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS). « La psychologue vient deux fois par mois pour aider Céline à jouer et à travailler seule. Depuis qu’on a revu avec elle l’organisation de la chambre de notre fille, Céline continue de se lever très très tôt, mais elle ne nous réveille plus systématiquement et commence par jouer toute seule dans sa chambre. On travaille aussi avec elle sur la propreté à la maison. » Autrement dit : l’enjeu est de mettre en place une indispensable continuité entre ce qui est réalisé à Auto’Mômes et ce qui est fait à la maison. 

Grâce à l’apprentissage de la vie en collectivité, aux activités et au travail accomplis en partie avec leurs parents, certains enfants commencent à parler, et les familles peuvent enfin reprendre leur souffle. « Je pars travailler sereine, confie la maman de Keynan. Mon fils est bien : quand je rentre, je le vois. ». Son souhait le plus cher est qu’il puisse continuer à bénéficier de la prise en charge de la structure, prévue à l’origine pour des enfants de moins de 13 ans.

Toutefois, une ombre plane sur le projet : soutenue par la Fondation Orange, le Crédit Mutuel ou encore les Rotary Club, et subvenant à ses besoins notamment grâce à des dons et des recettes d’événements dont la Corrida Pédestre de Toulouse, l’association Dominique est fragilisée suite à l’impact économique de la crise sanitaire de la Covid-19. Privée d’une partie de ses financements suite à l’annulation de toutes les soirées et évènements caritatifs, Auto’Mômes, qui a dû se séparer de son art thérapeute et de son éducateur sportif, a donc déposé un dossier auprès de l’ARS, via une grosse association à vocation sociale et médico-sociale en région Occitanie qu’elle intégrerait : l’Association Nationale de Recherche et d’Action Solidaire (ANRAS). Une fois reconnue par ce biais, Auto’Mômes pourrait ainsi devenir un SESSAD complet et accueillir les enfants jusqu’à l’âge de 20 ans.

En savoir plus

Données en plus

En 2020 : porté par l’Association Dominique, le projet Auto’Mômes accompagne 14 enfants autistes âgés de 3 à 11 ans et leurs familles, depuis l’ouverture de la structure en 2017.
Partenaires : Fondation Orange, Fondation Dominique & Tom Alberici, Crédit Mutuel, Crédit Agricole, MMA, Handicap & Société, Neuf de Cœur, Fondation Kiabi, Rotary International, Lions Clubs.
Subventions : Conseil Départemental, Conseil Régional, CPAM.