En 2015, la commune de Peyrelevade, située sur le plateau des mille vaches à la limite entre la Corrèze et la Creuse, décide d’ouvrir un Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) dans l’ancienne maison de retraite. Environ 70 personnes venues de tous les continents y résident durant la période de traitement de leur dossier de demande d’asile par l’OFPRA. En attendant une décision qui peut changer leur vie, ils apprennent à connaître ce village rural, un monde un peu oublié lui aussi. L’implantation du CADA a redonné un souffle de vie au village. Un nouveau tissu associatif s’est créé et a impulsé une dynamique solidaire. La Cimade y a installé une antenne, une association Les Petits Bouts recrée du lien entre familles du village et du CADA autour de la parentalité, l’association d’Entraide du Plateau a permis à une « ressourcerie » et à une épicerie solidaire de devenir des lieux incontournables…
- Jérôme Plon
Ils sont tous ici à Peyrelevade, en attendant… Hier ils ne se connaissaient pas, aujourd’hui ils vivent ensemble dans ce bâtiment qui surplombe le village. Hommes seuls, comme le jeune S. venus du Soudan, mères célibataires, familles ou adolescents, is ont fui la violence, la guerre, la domination. Ils ont laissé derrière eux une famille, des amis, une culture. Leur parcours est leur histoire, ils ont dû la raconter, la justifier, la mettre en dossier. Maintenant ils attendent. Un an, deux ans, trois ans. Au fil des saisons, les paysages se métamorphosent sous leurs yeux, mais pour eux le temps s’est arrêté. Leurs regards restent fixés sur la réponse à leur demande d’asile.
- Jérôme Plon
Géré par l’association SOS réfugiés, le CADA de Peyrelevade compte cinq employés : une directrice, deux personnes chargées des démarches administratives, un chargé d’animation à temps partiel et un chargé d’entretien des locaux, plus qu’intermittent. F. et A. construisent les dossiers de demande d’asile, assurent leur suivi. Le sous-effectif chronique par rapport au nombre de dossiers, le manque de traducteurs et la complexité des parcours rendent leur tâche difficile. Ils se chargent aussi de l’après, quand la décision est heureuse comme ici avec Mme M., Ivoirienne qui après trois ans d’attente au CADA avec son fils, a vu sa demande d’asile acceptée. Une nouvelle vie, avec de premiers pas vers l’insertion : inscription à Pôle-emploi, scolarisation de son fils au lycée, recherche d’un logement dans une ville souvent proche comme Tulles, Brive ou Limoges, etc.
- Jérôme Plon
Se replier sur soi, voir ressurgir les traumas et les souvenirs des périples qui les ont conduits jusqu’ici, mouliner les angoisses de l’attente, éprouver l’absence de sa famille, autant de maux qu’il faut apprendre à surmonter entre les quatre murs de sa chambre. L’interdiction de travailler empêche d’exprimer ses compétences, de trouver un peu de reconnaissance, et livré à soi même, il faut occuper ses journées été comme hiver. Après le bruit et la fureur de l’exode il faut maintenant affronter le silence de l’exil.
- Jérôme Plon
Si l’intensité de la solitude varie ici pour chaque personne selon sa situation et son parcours, l’isolement est le même pour tous. Tous les habitants de Peyrelevade partagent cette situation, de façon plus ou moins aigüe. L’étendue des distances et le manque de transport collectif impliquent la nécessité d’un véhicule que n’ont pas les demandeurs d’asile. Certains bénévoles du village se proposent comme chauffeur pour « descendre » à Ussel (gare la plus proche), ou aller à un rendez vous médical. Une fois par semaine, le CADA organise aussi une virée en ville (Meymac ou Ussel) pour s’approvisionner en produits de base au supermarché, mais les places sont comptées dans le minibus.
- Jérôme Plon
Traverser la rue, rencontrer l’autre, créer des liens : sur le papier, tout est simple. Dans la réalité, c’est une autre affaire. La solidarité et l’entraide entre les habitants du village et les résidents du CADA ne s’est pas construite spontanément. Elle est le fruit de différentes initiatives, de démarches individuelles ou associatives. Il a d’abord fallu franchir les barrières de la langue, puis celle des cultures, et enfin les réticences individuelles. Ces dernières sont les plus tenaces, elles prennent la forme d’un constat qui revient dans les conversations des habitants : « Difficile de créer des liens alors qu’ils ne sont que de passage », ou « créer des liens complique le départ des gens, quelle que soit l’issue de leur demande d’asile ». La peur de s’attacher donc...
- Jérôme Plon
C’est dans les longs couloirs à la peinture décrépie du CADA que se manifeste d’abord la solidarité. Entre eux, les résidents apprennent à cohabiter au quotidien, dépassent les barrières de la langue, cuisinent ensemble dans les parties communes, les uns s’occupant parfois des enfants des autres. On s’échange les informations matérielles concernant les actions des associations, comme les expériences sur la scolarisation des enfants.
- Jérôme Plon
Afghans, Soudanais, Nigérians, Congolais mais aussi Iraniens, Colombiens, Albanais, le CADA est un lieu de brassage des cultures autant qu’une tour de Babel. Les parfums des cuisines s’y mélangent tandis que résonnent les accents et les tons des différentes langues. Chez les jeunes, le français, grâce à la scolarisation, est devenu la langue de communication. Pour les autres, plus âgés, c’est l’anglais ou parfois l’espagnol. Les plus anciens conseillent les nouveaux arrivants. Ils leur apprennent aussi à surmonter l’attente et ses angoisses.
- Jérôme Plon
« Je veux vivre ici pour toujours », assure S. petit colombien de sept ans. À n’en pas douter leur séjour à Peyrelevade qu’il dure un an ou bien plus, restera pour ces enfants un souvenir heureux, un espace de liberté et d’oxygène qui nourrira leur vie d’adulte. Ils sont les premiers à franchir le pas pour rencontrer l’autre. Scolarisés dès leur arrivée dans l’école du village, ils ne tardent pas à se faire des amis et à se retrouver pour jouer ensemble après la classe. Et ils peuvent compter sur le soutien scolaire dispensé par Bruno, un bénévole qui parfois transforme les études studieuses en découverte de la nature, les menant dans sa ferme à la rencontre de ses moutons et de ses ânes.
- Jérôme Plon
Les enfants fréquentent beaucoup la médiathèque située à côté du CADA et ouverte deux après-midis par semaine. Ils retrouvent leurs camarades d’école sous le regard de Marie Claude R., conseillère municipale et bénévole. « Je les oriente en fonction de leur niveau pour qu’ils découvrent la littérature jeunesse et l’humour français… » Outre la médiathèque, la maison des associations abrite aussi des permanences de la Cimade qui assurent des cours de français, ainsi que l’association Les petits bouts. Fondé en 2016, ce lieu tente de créer du lien entre les familles de Peyrelevade et du CADA autour de l’éducation, de l’alimentation et du sommeil des enfants. « Une fois qu’ils se sont rencontrés, les parents se croisent dans le village ou au marché et prennent des nouvelles de chacun », confie Stéphanie, en charge de cette association dont le conseil d’administration compte désormais une maman résidant au CADA.
- Jérôme Plon
« Avec 7 euros par jour les demandeurs d’asile voient leurs ressources s’épuiser bien avant la fin du mois », dit Jérémy, militant associatif qui a repris la ressourcerie de Peyrelevade avec l’association d’entraide du plateau en 2013. Les budgets sont serrés et le Centre d’Entraide de Peyrelevade est un pays de cocagne pour chacun. Vêtements à 1 euro pour habiller les enfants, appareils électroménagers révisés et meubles à petits prix… Que ce soit pour aménager sa chambre au CADA ou en cas d’installation après un avis favorable, la ressourcerie est indispensable à tous. Ajoutons que Jérémy est arrangeant : il livre au CADA, fait crédit, prévient des bonnes affaires. Il est aussi celui qui a aidé à l’installation d’une épicerie solidaire qui redistribue des stocks donnés par la banque alimentaire.
- Jérôme Plon
S. a déniché un vélo à la ressourcerie. Au CADA c’est l’objet que l’on s’arrache et qui est plutôt rare. Face à la demande, Pierre, employé de la ressourcerie, a même organisé des ateliers de réparation mécanique pour que chacun apprenne à bricoler un vélo à partir de plusieurs. Par ailleurs bon nombre de demandeurs d’asile viennent faire du bénévolat pour l’aider à trier des greniers ou des lots récupérés. Une manière de s’investir et de créer des amitiés au cours du temps, quels que soient les âges et les situations.
- Jérôme Plon
« Au CADA je connais tout le monde ! », s’exclame Florence, guichetière facteur au bureau de poste de Peyrelevade. Derrière son comptoir, elle voit défiler tous les résidents du CADA. Pour les enfants, elle a souvent des bonbons ou des petits cadeaux. L’ouverture d’un livret A par chaque résident, pour percevoir les allocations, ainsi que les transferts d’argent Western Union ont fait bondir l’activité du bureau de poste. D’après Florence, depuis l’ouverture du CADA la fréquentation du bureau de poste a augmenté de 30 %, enrayant la désaffection dont souffrent habituellement ces derniers lieux représentatifs du service public.
- Jérôme Plon
Pour les jeunes résidents du CADA, le sport est l’activité la plus prisée pour occuper les journées. Le club de foot a recruté en masse et le niveau des matchs s’est sacrément amélioré selon l’entraîneur du club. Quant à la salle de musculation mise à la disposition de tous, elle fait le plein deux après-midis par semaine. Située dans une vieille maison limousine, elle abrite aussi des soirées électro organisées par des jeunes du plateau et prisées des jeunes du CADA. En clair, un « spot » de Peyrelevade.
- Jérôme Plon
Ancien cadre EDF, Luc a beaucoup voyagé. Aujourd’hui retraité, il s’est s’investi dans la réalisation d’un jardin partagé et d’un lieu de vie et de détente en face du CADA. « Parfois il faut aller les chercher et frapper à leurs portes pour les inciter à descendre ! » Mais au final tout le monde passe pour donner un coup de main, jardiner, récolter, téléphoner à l’ombre, ou simplement profiter des soirées d’été. Les enfants ont planté des tomates, des courgettes, des fraises et c’est quotidiennement qu’en famille on vient juger de l’avancement des récoltes.
- Jérôme Plon
Comme tout village français qui se respecte Peyrelevade a son institution : le bar-tabac La Fontaine ! À l’heure de l’apéro, tout le monde s’y retrouve. Et si ce n’est pas un incontournable de leur emploi du temps, les résidents du CADA trouvent dans ce petit café en terrasse un lieu de rencontre et de rendez-vous avec les habitants du village. Comme le gérant met à disposition un wifi gratuit et puissant, tous y passent pour se connecter. Les jours de marché, des animations donnent à la place des airs festifs. C’est l’occasion d’acheter directement aux producteurs des produits locaux comme le miel à des prix raisonnables.
- Jérôme Plon
Après sa sieste, Jacqueline aime faire une petite promenade. C’est aussi l’heure où Bola aime descendre au café La Fontaine avec ses trois enfants pour se connecter au wifi. La rencontre devait se produire, et la visite improvisée de la petite église est l’occasion d’échanges autant spirituels qu’architecturaux. Avec l’arrivée des familles, plusieurs générations sont à nouveau en contact et la pyramide des âges de Peyrelevade, malmenée par l’exode rural et le vieillissement de la population, retrouve enfin une forme stable.
- Jérôme Plon
Pour le 15 août, Peyrelevade prend des airs de Carnaval : défilé de chars dans la rue, concerts, danse, théâtre et retraite au flambeau. Hasamm M donne un récital de musique soudanaise à un auditoire séduit. En hommage au Mexique, Bruno a conçu avec tous les enfants un char de la fête des morts tracté par ses ânes. Quant à Jéremy, il a bricolé à base de récup’ un immense dragon chinois qui serpente à travers les rues du village. Dans le tourbillon de la fête les frontières tombent, les rires fusent et les gestes se font chaleureux.
- Jérôme Plon
Vernissage de l’exposition d’un artiste peintre de la région dans la salle des fêtes. Tout le monde y est le bienvenu et Pierre Coutaud, le maire de Peyrelevade, accueille avec décontraction ses anciens comme nouveaux administrés. « Quatre ans après, l’expérience de l’implantation du CADA dans la commune est plus que positive », dit-il sans hésitation. Bien sûr tout n’est pas rose et il a conscience du sentiment d’isolement de beaucoup des demandeurs d’asile, mais pour les enfants et les familles c’est une opportunité extraordinaire. Et pour sa commune les faits sont là : une classe d’école a définitivement été sauvée, la population s’est rajeunie, des emplois se sont créés via les associations et les échanges existent.
- Jérôme Plon
« C’est dur de les voir partir après si longtemps, surtout les enfants », avoue Bruno le cœur serré. Car qu’on l’attende ou qu’on le craigne, un jour il faudra quitter Peyrelevade. Ce long séjour aura été une expérience que chacun revisitera à sa façon. Il restera la nature, la découverte d’un monde rural français et des gestes d’entraide de pas mal d’habitants.