Dans la banlieue réputée difficile d’Argenteuil dans le Val-d’Oise, le lycée privé professionnel Cognacq-Jay forme aux professions du relationnel, comme les métiers du care ou de la vente, des jeunes ayant connu pour beaucoup des difficultés scolaires. Soucieux de garantir l’égalité des chances, l’établissement a mis en place, outre la gratuité des études, un « coaching personnalisé » dans ses classes de seconde, afin de transmettre aux élèves les codes culturels et professionnels qui leur font défaut et leur donner confiance en eux. Irriguant toute la démarche éducative, cet accompagnement au plus près se retrouve aussi dans les activités scolaires et extra-scolaires de tous les jeunes. Reportage.
Jeudi 17 octobre 2019. Quelques élèves de toutes classes sont sortis du foyer pour poser devant le mur végétal du lycée. Bien que privé, l’établissement fonctionne sous contrat avec l’État, et la scolarité y est gratuite. Il propose des cursus variés : troisième « Prépa-métiers », CAP Vente et quatre baccalauréats professionnels (Accueil ; Commerce ; Gestion-administration ; Accompagnement, soins et services à la personne). « Beaucoup de nos 500 élèves arrivent fragilisés par un parcours scolaire qui les a mis en situation d’échec, constate la directrice Christine Cadart. Nous essayons de former tous les jeunes à devenir non seulement de bons professionnels, mais des citoyens à part entière. »
Rendez-vous, le matin, dans une classe de seconde pour les premiers Ateliers du savoir-être de cette année scolaire 2019-2020, un an après le lancement de ce programme à l’automne 2018. Au pilotage de ce moment de plus de trois heures, Karine Cordier est une intervenante extérieure au lycée, formatrice et coach en image. « L’enjeu, dit-elle, est de sensibiliser les jeunes à l’impact de l’image qu’ils renvoient. L’ambition, c’est qu’ils prennent conscience de l’importance qu’ont leurs mots et leurs attitudes, mais aussi qu’ils apprennent le respect des autres comme d’eux-mêmes, car on ne peut apprécier l’autre que si l’on s’apprécie soi-même. »
Premier exercice de ce « coaching personnalisé » : le cercle. Un ou une élève se positionne à l’intérieur d’un cercle que constituent ses camarades de classe. Il explique pourquoi il a choisi cette filière commerciale et ce qu’il y apprécie. Karine Cordier corrige si besoin la posture de son corps, et associe des mots clés à sa présentation : « Ce que tu aimes, cela s’appelle la négociation, lui dit-elle. Il est important que tu utilises les bons mots pour stimuler ce qui te motive dans ce métier. » L’élève se reprend si besoin, puis tout le monde l’applaudit, « par respect pour le jeune homme ou la jeune femme qui a pris la parole », précise la coach.
Autre atelier pour les élèves de cette classe de seconde spécialisée dans les métiers de la « relation client », décliné en trois thématiques connectées les unes aux autres : « Image de soi, estime de soi, confiance en soi ». Autant de sujets que se partagent trois groupes de travail. Les jeunes notent sur des post-it leurs idées et réflexions sur le sujet dont ils ont hérité. Ensuite, au tableau, un, une ou des porte-parole de chaque groupe présentent aux autres le fruit de leurs cogitations. Là encore, Madame Cordier les conseille, leur donne le bon vocabulaire et les éclaire sur l’importance de ces trois notions.
Nouvel exercice : le jeu de cartes. Seriez-vous plutôt « sérieux(se), concentré(e) » ? « Calme, serein(e), paisible » ? « Organisé(e), méthodique, efficace » ? À moins que ce ne soit « serviable, attentionné(e), bienveillant(e) » ? Et qu’en est-il de votre voisin de droite ainsi que de votre voisin de gauche ? Chaque élève choisit cinq cartes au sein d’un jeu très fourni, à la fois pour se définir lui-même et donner son sentiment sur deux de ses camarades. Ensuite, il ou elle présente et justifie ses choix à l’oral. Sous le regard attentif, critique et néanmoins bienveillant de Karine Cordier : « Il s’agit à la fois d’un atelier sur l’image que chacun renvoie de lui-même et d’une opportunité d’enrichir son vocabulaire. »
Le personnel enseignant du lycée s’implique dans ces ateliers de « savoir-être », aux côtés de la formatrice spécialisée. Sur la photo, l’on aperçoit ainsi Madame Dasini, qui enseigne l’économie, le droit et le commerce. L’accompagnement de chaque jeune se construit tout au long de l’année. L’ensemble de l’équipe éducative contribue à ce travail. Chacun, dans la mission qui lui est propre, a un rôle à jouer. L’impact de ces ateliers n’est pas toujours simple pour les élèves, dont l’adhésion peut être plus ou moins longue. Mais les retours sont le plus souvent très positifs, à l’instar de ce témoignage à la sortie : « Le jeu de cartes m’a fait du bien. Il m’a appris des choses sur moi-même. »
Trois jeunes d’une autre classe font ici une simulation de vente, dans un espace spécialement aménagé pour ce type d’exercice. L’un joue le rôle du vendeur, pour le coup très avenant, et les deux autres celui de clients exigeants, sous le regard d’un professeur encadrant cette mise en situation professionnelle. Le lien entre une telle simulation et les Ateliers de savoir-être, qui pourraient être à l’avenir proposés à d’autres classes que les secondes, est de l’ordre de l’évidence : comment être un bon professionnel du commerce ou sur d’autres terrains de l’accueil du public ou de l’accompagnement des personnes fragilisées sans d’abord un retour positif sur soi et une prise de confiance en ses capacités ?
Ailleurs dans l’établissement, en ce début de jeudi après-midi, c’est le moment de l’atelier cuisine, pour une classe de première Bac Pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) avec Ahmed Zaid, professeure de nutrition. Cette séance n’est pas qu’un moment de gourmandise où se reposer de cours pouvant être jugés plus austères : l’enjeu est tout autant d’apprendre à faire son moelleux au chocolat que de travailler en équipe et de progresser dans la façon de se comporter, en respectant les autres cuisiniers, sans oublier de laver son plan de travail ou de faire la vaisselle…
Moments de connivence entre la professeure d’arts plastiques, Agnès Bobin, et les élèves d’une classe de terminale CAP Vente. Pas de hiérarchie entre les matières, toutes participent de la construction de cette personne singulière qu’est l’élève, de la même façon que d’autres événements ou rencontres durant l’année scolaire. Illustration parmi d’autres : l’ouverture ponctuelle de l’établissement, pour des ateliers de création ou de cuisine par exemple, à des enfants de maternelle ou à des personnes âgées de la Résidence Ambroise-Croizat, à quelques centaines de mètres de là… On ne construit bien qu’avec les autres, dans toutes leurs différences.
Dans le foyer du lycée, Guiby Cisse s’amuse à faire danser des jeunes. Il est lui-même un ancien élève de l’école dont il est désormais un salarié. Assistant d’éducation durant sept ans, il est devenu depuis peu assistant informatique. Chaque lycéen a d’ailleurs ici l’usage d’un ordinateur personnel, pour garantir à chacun, quels que soient les équipements de son foyer, le même accès à l’alphabétisation numérique – en anglais digital literacy. Comme le dit Ghislaine Paolini, enseignante Bac Pro d’Accompagnement, soin et services à la personne, : « Je considère le lycée Cognacq-Jay un peu comme une famille, grâce à son mode de fonctionnement et au respect fort qui y existe entre les uns et les autres. »
16h30. Cours d’Éducation physique et sportive dans le grand gymnase qui a été inauguré lors de la rentrée de septembre 2016, pour favoriser l’hygiène de vie et la santé par le sport autant que l’enseignement et la professionnalisation. Ouvert aux pratiques des élèves comme des professeurs en dehors des heures de cours, cet espace a été créé lors d’une rénovation intégrale qui a doublé la superficie du lycée, pour offrir le meilleur aux jeunes de filières moins prestigieuses que celles des grands lycées parisiens. Il est l’une des pièces du « vivre-ensemble » inédit développé par cet établissement, au même titre que ses partenariats avec la ville d’Argenteuil, par exemple pour Octobre rose, journée d’information et de sensibilisation au cancer du sein, pour laquelle des élèves ont tenu un stand avec L’Atelier Cognacq-Jay.