Des chômeurs font revivre un territoire de la Nièvre

La commune de Prémery est l’une des premières en France à avoir bénéficié de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, votée en 2016 pour lutter contre la perte durable d’emploi. Ce dispositif qui mobilise le coût du chômage a permis la création d’une entreprise à but d’emploi (EBE), employant 87 salariés en CDI et répondant aux besoins de la région, sinistrée par la désindustrialisation. Des emplois construits avec les chômeurs eux-mêmes, qui redonnent vie et espoir au territoire.

 

 

En ce mois de février 2021, elle ressemble à un vaste chantier, l’EBE 58 – comme on appelle cette entreprise à but d’emploi du département (58) de la Nièvre. Pour y accéder, le visiteur doit longer le parking de la motoculture, passer à proximité d’un terrain boueux labouré par des camions, et se garer, au milieu des véhicules techniques, devant la ressourcerie, un immense hangar ouvert à tous vents, bordé d’algecos et de préfabriqués abritant des bureaux. À l’intérieur, le va-et-vient est incessant : des bûcherons viennent chercher du matériel ; sur le quai de réception, des camionnettes apportent les dons des entreprises et des particuliers… Tableaux, revues, livres, vinyles, objets en tous genres, meubles, électronique, petit électroménager, tout y est inventorié, trié, réparé dans des ateliers, puis mis en réserve ou mis en vente. Dans la partie ouverte au public, quelques habitués fouillent dans les rayons à la recherche d’un livre ancien. Dans un bureau, des salariés se préparent pour un enlèvement à domicile. D’autres se réchauffent comme ils le peuvent : en hiver, le froid extrême rend les conditions de travail très difficiles. Et l’été, ça doit chauffer.

 

Une expérimentation de Territoires zéro chômeur de longue durée

 

L’EBE 58 est l’une des premières entreprises à but d’emploi créées dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, suite à une proposition de loi portée par l’ancien député de la Côte d’Or Laurent Granguillaume. La finalité de cette expérimentation, votée à l’unanimité du Parlement en 2016, est d’offrir des emplois en CDI au SMIC, à temps choisi, à toutes les personnes privées durablement d’emploi au sein d’un territoire. Financés en partie par la mobilisation du coût du chômage et construits avec les chômeurs eux-mêmes, ces emplois reposent sur des activités répondant aux besoins des populations. Initiée dans dix quartiers, communes ou zones rurales de 2 000 à 10 000 habitants, devant être étendue à partir de 2021 à plus de 50 nouveaux territoires, l’expérimentation est l’émanation d’un projet d’ATD Quart Monde qui conçoit l’emploi comme « un produit de première nécessité relevant du droit citoyen ».

La petite ville nivernaise de Prémery est située en plein cœur de la forêt domaniale des Bertranges. Dès 2017, les premiers demandeurs d’emploi de longue durée sont embauchés par son entreprise à but d’emploi, montée avec le soutien financier du Secours Catholique et de la Dirrecte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) sur l’emplacement de l’ancienne usine Lambiotte. Ce fleuron européen de la carbonisation et de la chimie du bois s’était arrêté définitivement en 2002, entraînant le départ d’une partie des habitants de la commune et la fermeture de nombreux commerces. Chez la population de ce territoire sinistré par la désindustrialisation, l’arrivée de l’EBE a suscité bien des doutes sur les capacités des personnes employées, et il a fallu la création d’une chaîne alimentaire d’urgence lors de la crise sanitaire de 2020 pour que son regard change.

 

 

À Prémery, l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée a tout de suite résonné avec les actions locales de l’association Récolte, menée grâce à des chômeurs de 2013 à 2015, sous l’égide de Jacques Legrain, conseiller délégué du Conseil départemental de la Nièvre et premier Vice-président de la Communauté de communes Les Bertranges. Avant de jeter l’éponge faute de financements suffisants, l’association avait mis en évidence des besoins non couverts par les entreprises locales, réticentes à embaucher : coupe du bois, maraîchage, entretien des espaces verts, recyclerie, etc.

Mises en place dans le cadre de l’expérimentation par l’EBE 58, ces activités participent au Plan départemental de la prévention Déchet de la Nièvre et bénéficient du soutien de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). La Nièvre, qui a pour spécificité d’être un territoire à énergie positive (TEPos), est un département fortement engagé dans la transition écologique, la loi pour la croissance verte, promulguée en 2015, ayant défini comme objectif la réduction de 10% des déchets ménagers à l’horizon 2020. De fait, en créant une ressourcerie qui privilégie la réutilisation et le recyclage avant l’incinération ou l’enfouissement, l’EBE 58 permet de valoriser en moyenne 10 513 tonnes de déchets par an.

 

 

La ressourcerie est la clef de voûte de l’EBE 58, dont elle occupe l’immense hangar. Elle emploie vingt salariés et se décompose en trois secteurs d’activités : le collectage, la valorisation et la vente. Des métiers qui se déclinent selon le concept des 3R (réduire, réemployer ou réutiliser, recycler). La ressourcerie s’inscrit à la croisée de plusieurs enjeux sociétaux : changer les regards sur les personnes que la société exclut ; miser sur leur participation active pour construire des activités écologiques et solidaires locales ; contribuer ainsi à revitaliser le territoire tout en préservant l’environnement.

L’expertise des personnes privées d’emploi sur le territoire de Prémery a en effet occupé un rôle central dans le choix des activités développées par l’EBE 58 et dans la construction de l’entreprise. Organisées par Jacques Legrain et son équipe bien avant l’annonce de l’habilitation du territoire, des réunions d’information avec les chômeurs avaient permis de faire émerger des activités utiles, correspondant à leurs attentes, et qui soient complémentaires des activités existantes. Comme les services à la personne, la motoculture ou la restauration de meubles, mis au rebus alors qu’ils pourraient être réutilisés. Que les « privés d’emploi » soient considérés comme des personnes ressources et non comme de la main d’œuvre à exploiter avait redonné espoir à de nombreux habitants de la commune, inscrits ou non à Pole Emploi. Ces réunions les auront fait sortir de l’invisibilité bien des chômeurs, reconnus ou non comme tels.

 

Une organisation taillée pour les anciens chômeurs, au service des habitants de Prémery et de sa région

 

L’EBE 58 propose avant tout un service adapté à un territoire dont un habitant sur trois est âgé de plus de 65 ans. Ainsi cette cliente à la retraite qui les a sollicités pour l’enlèvement d’une armoire démontée. « Sinon, il faut se rendre à Nevers (à 30 kilomètres de Prémery) et c’est toute une organisation. Et puis, je vais aussi au magasin, voir les objets à vendre. C’est bien d’avoir pensé à ces prestations de service qui nous sont utiles et qui emploient des personnes en difficulté professionnelle. »  

Ce double objectif semble être atteint pour Alexis (en photo), jeune père de famille de 24 ans, titulaire d’un bac pro de chaudronnerie et employé dans le secteur donations, déménagement et déchetterie de la ressourcerie. Son parcours professionnel n’a pas débuté sous les meilleurs auspices. « Il y avait du travail dans ma branche, mais je ne disposais pas d’assez de moyens financiers pour passer et obtenir mon permis de conduire. L’entreprise ne m’a pas gardé. »  Salarié à temps complet et ayant expérimenté plusieurs secteurs de l’EBE, Alexis s’estime heureux de « pouvoir nourrir ces deux enfants et de subvenir aux besoins de sa famille. »

En Bourgogne-Franche Comté, selon les chiffres de l’INSEE, 20% des jeunes de moins de 29 ans sont au chômage ou inactifs, et pour le département de la Nièvre, le chiffre atteint 23%. La faiblesse des réseaux de transports en commun aggrave les difficultés économiques en restreignant les déplacements professionnels, en isolant les jeunes des centres de formation ou de santé, ainsi que des espaces culturels. En devenant le premier employeur de Prémery grâce à ces 87 salariés, l’EBE 58 compte le nombre le plus grand pourcentage de public jeune de toutes ses équivalentes : 14% contre 6 % en moyenne dans les autres EBE de l’Hexagone.

 

 

Le recrutement des salariés s’effectue désormais en passant commande auprès d’un comité local chargé d’identifier les chômeurs du territoire. Dirigé par Thierry Guyot, premier adjoint à la Mairie de Dompierre sur Nièvre, ce comité réunit des acteurs publics et privés, des collectivités territoriales, la Dirrecte, Pôle Emploi, des TPE et des PME, des acteurs de l'économie social et solidaire et de l'insertion, des associations dans le domaine caritatif et des personnes privées durablement d'emploi. Une fois leur candidature approuvée, les nouveaux arrivants comme Alexis sont accueillis par Arnaud, 32 ans, encadrant et responsable de clientèle (à droite sur la photo). Ses fonctions : ajuster les équipes selon les besoins, encadrer le personnel, apaiser les tensions. Épaulé par Samantha, animatrice à la ressourcerie, il s’assure du bon fonctionnement des différentes activités et du respect des devis et des contrats clients.

Originaire de Prémery, Arnaud a dû mettre fin à son travail d’ingénieur à travers le Pacifique suite à des problèmes de santé et a rejoint l’EBE 58 en 2018, après de longs mois de convalescence. Son arrivée a coïncidé avec la volonté de la direction de renforcer l’encadrement par l’embauche d’une RH, d’un référent technique et d’une directrice de production. Une organisation plus solide, c’est ce que réclamaient les salariés : auparavant, sans chef d’équipe, ils étaient souvent livrés à eux-mêmes, faute d’activités pour occuper tout le monde. Cet encadrement plus classique devrait aussi profiter aux plus jeunes qui découvrent les codes de l’entreprise à travers l’EBE, et les aider à définir leur propre projet de vie.

 

 

À 52 ans, Marie-Laure Brunet est la nouvelle directrice de l’EBE 58, dont elle a participé à l’habilitation en tant que cheffe de projet du comité local. « La direction et les encadrants sont au service de la production, répète-t-elle. Mon rôle est de faire en sorte que l’entreprise fournisse de bonnes conditions de travail aux salariés. » Mais pour les représentants du personnel, ce n’est pas si simple. Avec une moyenne d’âge de près de 44 ans, la plupart des salariés de l’EBE ont eu un parcours difficile et auraient besoin, selon eux, non seulement d’un accompagnement professionnel, comme dans un chantier d’insertion, mais également psychologique. De plus, la plupart des anciens regrettent la philosophie « coopérative » du projet de départ et se plaignent de ne pas avoir été suffisamment récompensés pour leur investissement.

« Il est important de valoriser chacun, reconnaît pourtant Marie-Laure Brunet. L’idée est de faire des fiches de poste individualisées. On est dans la démarche inclusive. » Pour la directrice, c’est par la participation et la connaissance des mécanismes de l’entreprise que les salariés prendront conscience de l’incidence de leur travail sur celui de leur collègue. Consolider une vraie culture d’entreprise est devenu selon la directrice l’un des enjeux majeurs de l’EBE 58, malmenée depuis son ouverture par un manque de moyens et d’organisation, ainsi que des objectifs de production trop importants. Confrontée aux contraintes de chiffre d’affaires et de coûts de fonctionnement, la direction s’emploie dorénavant à trouver de nouvelles activités, liées aux ateliers, dans lesquelles elle espère impliquer les salariés, et mise sur le développement de la formation, notamment auprès des plus jeunes.

 

Marie-France, Jill, Stéphane, etc. : des parcours de vie qui font la richesse de l’initiative

 

Parmi les différents profils de salariés qui font la force et la singularité de l’entreprise, il y a Marie-France, 47 ans. Riche d’une expérience dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) en Île de France comme responsable qualité, la jeune femme s’était installée dans la Nièvre pour prendre un nouveau départ familial et professionnel. Malheureusement, l’intégration professionnelle ne s’est pas concrétisée et Marie-France a vécu sept années de chômage qui l’ont maintenue dans une grande précarité énergétique et alimentaire. Aussi, quand elle reçoit en 2016 un appel téléphonique l’invitant à rencontrer les porteurs de projets, elle répond tout de go : « J’arrive dans les cinq minutes ! »

Devenue depuis référente livres et collections, grâce à ses multiples centres d’intérêt et son sens aigu de l’adaptation, elle classe et référence les nombreux objets qui échouent sur les étagères de son local, les préparant pour leur seconde vie à eux. « Chaque objet a une histoire et il y en a qui me parlent plus que d’autres », s’amuse-t-elle en présentant ce canard, son objet fétiche. Epaulée par quatre autres personnes, Marie-France a choisi de s’occuper des livres d’arts et des romans contemporains « On a chacun notre rayon : Philippe aime les livres d’histoires, Jill est la spécialiste de la littérature ancienne. On se complète et on apprend les uns des autres. C’est une belle synergie. »

 

 

Au secteur livre de la ressourcerie, les arrivages se succèdent à un rythme effréné et mobilisent dorénavant six salariés, dont deux personnes en situation de handicap, à temps partiel. La polyvalence est de rigueur : nettoyage, triage, étiquetage, manutention, mise en rayon, mais aussi vente, estimation et même expertise. Enjeu majeur : faire de la place aux nouveaux ouvrages, convoités par les habitués, les collectionneurs et les revendeurs. Un vrai travail de libraire.

« Je suis comme le Guerrier Pacifique, qui éprouve une certaine satisfaction personnelle à rendre service aux gens de la manière la plus simple possible », souligne Jill, heureuse lorsqu’elle peut répondre à l’attente d’un client. Spécialiste des ouvrages médiévaux, licenciée en histoire de l’art, Jill avait d’abord été recrutée pour s’occuper du maraîchage. Ses connaissances en agriculture biologique, grâce au « wwoofing (Working weekends on organic farms) » et à sa communauté de La Ruche qui dit oui !, avaient séduit les bénévoles de l’EBE en cours d’installation. Mais peu après son arrivée, un accident l’a contraint de travailler dans les bureaux. Élue au Comité social économique (CSE) en 2018 avec sa collègue Marie-France, elle élabore alors des projets de jardin pédagogique et de jardin remarquable, sur des bouts de terrain communaux récupérés grâce à l’appui des mairies, imagine des circuits de visites et des soirées à thèmes. « Le but  de l'EBE, c'est aussi de redonner de l’activité sociale et culturelle à un territoire qui n'en a plus », insiste-t-elle. Hélas, Jill se coupe le doigt en jardinant et finit par accepter un changement d’affectation pour s’occuper des livres et des collections. La jeune femme de 35 ans n’en a pas pour autant abandonné ses projets agricoles. Elle envisage toujours de monter une ferme pédagogique avec son compagnon, animateur au centre social, « pour faire passer des messages humains, écologiques, et transmettre des valeurs ».

 

 

Stéphane est arrivé à l’EBE en 2019. Cet ancien salarié de la BNS (Bourges Nord Service, entreprise spécialisée dans les vide-greniers) a retrouvé après de longues années d’inactivité le dynamisme qu’il prisait tant dans son ancien emploi dans le Cher, qu’il avait dû quitter, « pour changer de vie et de paysage », ajoute-t-il pudiquement. Inspectant tous les rayonnages du bâtiment de la ressourcerie, il est en charge de l’enregistrement et du placement des objets qui peuvent bouger « selon la tendance du moment, ou ce qui peut matcher le plus dans l’œil du public. Les clients sont d’ailleurs toujours très surpris de la richesse de notre stock ». Après un détour à l’activité bucheronnage où il avait du mal à trouver ses marques car « le contact avec le client me manquait trop », il intègre la ressourcerie, fort de son expérience antérieure, qui lui permet d’initier et de transmettre son savoir d’autodidacte à toute personne qui le désire. « Ce savoir-faire que je transmets aux plus jeunes, cet emploi, c’est le sel qui m’a fait revivre. De plus, je peux faire bénéficier mes enfants de la recyclerie, en pouvant leur faire plaisir grâce aux prix solidaires. »

 

Système D, polyvalence, entraide et pair-aidance

 

Grégory (à gauche de la photo), salarié depuis 2017, se définit comme « un autodidacte. J’ai commencé à travailler à 17 ans et j’ai occupé plusieurs postes dans différents secteurs en intérim. » Très autonome grâce à la diversité de son parcours professionnel, il fait partie de ceux qui exercent régulièrement des activités pour des particuliers, des collectivités locales ou des entreprises, des prestations effectuées en dehors de l’EBE dans le cadre d’une mise à disposition, synonyme parfois de meilleure rémunération.

Ce système de passerelles, qui garantit aux salariés de l’EBE de conserver leurs revenus, est l’une des pistes que la direction souhaiterait intensifier, surtout pour les nombreux saisonniers embauchés. Affecté à la Mairie d’Oulon (à 7 kilomètres de Prémery), Grégory assiste durant l’hiver Pascal, référent dans la partie électronique de l’atelier (à droite de la photo), dans la réparation des appareils électroménagers et du matériel hi-fi. L’occasion pour lui d’apprendre une nouvelle compétence grâce à « cette activité de repli ». Électronicien de formation, Pascal a cumulé vingt années de perte d’emploi suite à un handicap physique « qui dissuadait tous les employeurs de parier sur mon professionnalisme ». Devenu personne-ressource à l’EBE, il a choisi de travailler à mi-temps et témoigne de sa fierté « de pouvoir transmettre ces compétences et ce savoir-faire qui lutte contre la gaspillage, qui répond à la baisse des revenus avec la crise et qui sollicite aussi la créativité grâce au système D. »

 

 

Pour Thierry, l’EBE est un projet au long cours dont il participe à la construction. Ébéniste d’art de formation, mais aussi artiste, chef d’entreprise, formateur et même élu municipal, il a passé un an à constituer des dossiers et à mettre en place des dispositifs d’organisation, afin de monter à l’EBE 58 des ateliers de récupération et de transformation de meubles avec tout l’équipement indispensable à leur fonctionnement. Aujourd’hui, à 52 ans, il réceptionne, nettoie et restaure les meubles avant leur mise en vente. Il aime aussi redonner vie à de vieilles pendules. Sa passion : les machines à coudre, dont il connaît tous les rouages. Touché, comme beaucoup d’artisans, par la crise économique de 2008 qui l’a isolé, il a trouvé en l’EBE l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes et de montrer aux jeunes l’opportunité qui leur est offerte d’apprendre un métier, de valoriser leurs compétences et développer leurs capacités d’adaptation. « On est là pour s’entraider. L’individu doit se rendre disponible pour les autres et savoir écouter leurs difficultés. » Thierry croit à la polyvalence des savoir-faire, « le principe fondateur de tout métier ».

 

Au cœur des besoins du territoire : de l’affouage à la motoculture

 

La polyvalence des salariés de l’EBE 58 s’apprécie tout particulièrement à l’activité bois, confrontée depuis le départ à une surcharge de travail et à un manque de personnel. La forêt domaniale des Bertranges où se situe Prémery est la deuxième forêt productrice de chênes en France. D’une superficie de 7600 hectares, elle abrite des arbres âgés de plus de 250 ans et offre à l’EBE la possibilité d’une activité très utile, délaissée par les bûcherons professionnels qui travaillent pour les scieries.

En effet, la pratique sylvicole de l’affouage (récolte par les habitants de plusieurs stères de bois dans une partie de la forêt communale pendant l’hiver) est un moyen pour les municipalités d’entretenir leur forêt tout en permettant à leurs habitants d’obtenir gratuitement du bois de chauffage. Cette pratique d’hier qui revient au goût du jour n’en nécessite pas moins d’avoir son propre matériel et une certaine condition physique pour prélever le bois. L’EBE 58 propose donc aux riverains qui le souhaitent de réaliser le travail à leur place : leur affouage est coupé, empilé, puis livré façonné à domicile, moyennant un prix très modique de 24 euros le stère.

L’activité bûcheronnage de l’EBE ne se limite pas à ce service d’affouage. Depuis plusieurs mois, quinze personnes réparties en trois équipes œuvrent  à Varzy (à 24 kilomètres de Prémery) pour un marchand de bois qui a passé commande de mille stères.

 

 

Le bûcheronnage s’effectue toujours en binôme : tandis que Grégory façonne l’arbre avec son engin, William débarde les branches pour dégager et sécuriser le chantier et la voie, puis fend les billes et les empile. Après avoir expérimenté le travail en usine, les deux salariés semblent avoir trouvé un sens à leur vie professionnelle. « J’apprécie beaucoup ce travail physique, même si, au début, j’avais énormément d’appréhension sur cette activité. À l’usine, j’y allais à reculons », confie Grégory. William, lui, a été initié très jeune à cette activité bois par l’affouage que son père pratiquait tous les ans. Embauché par l’EBE en 2018, cet ancien militaire a hâte de pouvoir passer son permis de tronçonneuse. « J’ai réalisé que je préférais passer mes journées en extérieur plutôt qu’au dépôt de l’EBE, car l’activité y est plus intense. »

 

 

« Les bûcherons entretiennent eux-mêmes leur matériel, explique Hans, 63 ans, le père de William. Ils apportent en forêt leur trousse de campagne, un mini étau avec une pointe en dessous qu'ils enfoncent dans la racine de l'arbre pour affûter la chaîne de leur machine. »

Cet ancien légionnaire s’est retrouvé au chômage à 40 ans, après avoir quitté l’armée et travaillé quatre ans dans une forge. Factures impayées, eau coupée, plus d’électricité : quinze années de descente aux enfers. « L’EBE m’a sauvé la vie. C’est comme un noyé qui attrape une poutre. Maintenant je rentre à la maison tranquille, sans devoir compter chaque centime. Je peux même me permettre une folie de temps en temps. » Hans est l’un des salariés à l’origine de l’atelier de motoculture, qui répare les outils de jardins des non professionnels et des propriétaires de résidence secondaires. Désormais, chaque mois, une trentaine de tondeuses et de tronçonneuses transitent par l’atelier, que les salariés de l’EBE vont parfois chercher eux-mêmes chez les personnes âgées, moyennant un défraiement supplémentaire de 0,50 € le kilomètre.

 

Un tremplin, pour les salariés comme pour la commune de Prémery

 

« À l'EBE, notre but est de créer les choses qui n'existent pas sur le secteur », analyse Virginie, chargée d’accueillir les clients avec sa collègue Karine. La fermeture, il y a deux ans, de la dernière motoculture de la commune obligeait ceux qui devaient faire réparer leurs engins à aller jusqu’à Nevers, située à près d’une demi-heure. Agent d’entretien à la maison de retraite de Prémery, Virginie vit son passage à l’EBE comme un tremplin pour sortir de la précarité. Le système de mise à disposition lui a permis de travailler trois semaines dans une autre usine de la région où elle espère un jour décrocher un « vrai » CDI. « L’EBE propose à ceux qui n’ont jamais travaillé de découvrir le monde du travail. Nous, on n’est pas là pour rester mais pour nous projeter dans une vraie entreprise. » À 39 ans, Virginie compte beaucoup sur les formations à l’extérieur et notamment sur les cours de conduite. Son petit salaire lui permet de payer ses factures mais aussi d’économiser, afin que sa fille de 18 ans puisse faire des études de droit à Paris. Et lorsque les clients se font attendre, Virginie s’adonne à son activité favorite : passionnée de déco sur bois, elle confectionne des cabanes à oiseaux, des mangeoires, des boîtes aux lettres ou des affichettes personnalisées. « C’est un plaisir et en plus, je suis productive. »

 

 

Aujourd’hui, avec près de 1900 âmes, Prémery tente de se reconstruire grâce à ces nouveaux emplois qui génèrent de l’économie et un nouveau cadre de vie. Ainsi, avec son mari, une ancienne employée de l’EBE a monté sa supérette dans le centre-ville et envisage d’acheter la production du maraîchage : « Les débuts sont encourageants et parmi nos clients, il y a beaucoup de salariés de l’entreprise », témoigne-t-elle. Sur la place principale, c’est une boutique de produits locaux, tenue par l’ex responsable de la communication auquel Thierry vient prêter main forte après le travail, qui s’est ouverte. « Du point de vue économique, on sent un nouveau souffle, on revoit des gens dans la rue qui font leur courses. L’EBE, c’est un sacré plus dans une petite ville comme la nôtre », confirme Alexis Plisson, le maire de la commune.

Les commerces se maintiennent et ceux qui sont à vendre trouvent repreneurs. Prémery compte désormais deux restaurants, deux coiffeurs et un atelier participatif qui attire de nombreux habitants. Bien sûr, la pandémie de Covid-19, a mis cette dynamique en suspens, à l’instar des soirées karaoké qui étaient organisées dans les bars, avec le bistrot qui ne désemplissait plus les jours de visite de l’antiquaire vedette d’Affaires Conclues. Autres signes qui ne trompent pas : les Restos du Cœur sont beaucoup moins sollicités, et durant les deux premières années de l’EBE, le nombre des naissances a été multiplié par deux.

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Données en plus

La moyenne du chômage de longue durée dans la Nièvre est de l’ordre de cinq ans.
Depuis son ouverture, en février 2017, l’EBE 58 a embauché une centaine de salariés sur les 130 personnes privées durablement d’emploi identifiés sur le territoire de Prémery, tous en CDI.
Plus de 70 activités potentielles ont été identifiées sur le territoire par les salariés de l’EBE 58.
Grâce à l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, le taux de chômage à Prémery a été ramené à 14% en 2019.