Les défis de l’accès aux soins de support

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Préparation d'une séance de tir à l’arc, organisée par Agir contre la maladie à Clisson dans le cadre de l’événement Octobre rose, fin 2021. ©©Ludovic Carême

Du sport adapté au soutien psychologique, social ou professionnel, les soins de support permettent aux malades d’affections longue durée d’éviter l’isolement et les aident à mieux supporter les traitements. Afin d’offrir cet accompagnement à tous et partout, les associations spécialisées sont confrontées à de multiples défis.

Elles sont dix, dix femmes à évoluer sur la scène de l’Arlekino, la salle polyvalente de Clisson. Il y a des jeunes et moins jeunes, certaines ont été traitées pour un cancer du sein, d’autres non. Au son de « Voilà qui je suis » de la jeune chanteuse Barbara Pravi, elles défilent en petite tenue noire et boa de plumes roses, devant un public conquis. Ce défilé de mode constitue le point d’orgue des trois jours d’événements organisés par l’association Agir contre la maladie du 22 au 24 octobre 2021 dans le cadre d’Octobre rose. Un moment particulier pour lesquelles elles se sont longtemps préparées et où stress et plaisir se mélangent. C’est aussi l’occasion de faire un pied de nez à la maladie. Ici, la vie continue malgré tout.

Ces trois jours d’activités reflètent le dynamisme d’une association et l’importance d’un réseau de solidarité face à la maladie. Implantée dans cette région viticole à une demi-heure de voiture de Nantes, Agir contre la maladie a développé une riche proposition de soins de support. L’équipe fondatrice menée par sa présidence Catherine Cormerais n’a pas ménagé temps et efforts pour monter une offre à destination des personnes atteintes par la maladie. Pour un abonnement annuel de 25 €, les bénéficiaires ont accès à un large panel d’activités  sportives (escrime, pilates, tir à l’arc, aviron en salle, marche nordique, etc.), aux ateliers socio-esthétiques ou aux accompagnements psychologiques. Et Agir contre la maladie a investi une ancienne usine textile dans la zone industrielle de Clisson afin de permettre aux adhérents de pratiquer leurs activités près de chez eux. Les 250 mètres carrés réaménagés par des bénévoles accueillent deux grandes salles, l’une dédiée à l’escrime et au tir à l’arc, l’autre à la gymnastique et au pilates, une plus petite salle pour les soins socio-esthétiques, des espaces de réunion et de stockage du matériel, et enfin une pièce dédiée à la détente et au papotage. « Il nous fallait un bel espace pour recevoir les 80 à 90 participantes régulières de nos activités », justifie Catherine Cormerais.

Une large palette de soins 

À l’instar d’Agir contre la Maladie à Clisson, nombreuses sont les associations, souvent portées par d’anciens malades, à s’investir dans les soins de support. Ceux-ci se définissent comme l’ensemble des soins et soutiens apportés aux patients, parallèlement au traitement spécifique du cancer, et destinés à atténuer les effets secondaires et améliorer le quotidien. Neuf soins de support considérés comme indispensables et validés au niveau national, permettent un remboursement en totalité ou en partie par l’assurance maladie : les quatre soins « socle » (prise en charge de la douleur, prise en charge diététique et nutritionnelle, prise en charge psychologique, prise en charge sociale, familiale et professionnelle) et cinq soins de support complémentaires (l’activité physique ; la préservation de la fertilité ; la prise en soins des troubles de la sexualité ; les conseils d’hygiène de vie, le soutien psychologique des proches et des aidants). Un panel de soins offert au patient et déclinable sur-mesure, en fonction de ses besoins spécifiques à un moment donné.

 

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Séance d’échauffement avant un cours de salsa à l’Atelier Cognacq-Jay. ©©Mathieu Oui

 

Au cœur de la médecine dite « intégrative », qui considère le patient dans toutes ses dimensions, ce large éventail de soins rappelle combien le cancer ou l’affection longue durée impacte tous les aspects du quotidien, de l’intime au relationnel, du psychique au matériel. « Cette approche globale permet de rendre la personne non plus spectatrice de son parcours de soins mais active. Elle doit lui permettre de reprendre la main sur sa santé », analyse Fanny Rault, qui a été jusqu’à la mi-janvier 2022 directrice de l’Atelier Cognacq-Jay à Paris. Dans ce bel édifice du sixième arrondissement de Paris, une équipe dédiée propose des ateliers individuels ou collectifs regroupés en cinq thématiques (création, détente/équilibre, beauté, mouvement et soutien psychologique) ainsi qu’une offre de programmes personnalisés autour, par exemple, de l’aide sociale ou de la reprise d’une activité professionnelle. Rencontrée en juillet 2020, lors d’un cours de salsa de L’Atelier Cognacq-Jay, Claudine est convaincue du bienfait de l’activité pour « faire face aux effets secondaires du traitement ». « Le sport adapté permet de réaliser que nous avons encore de la ressource. Après une séance, je ressens une bonne fatigue, des douleurs musculaires comme le fait d’avoir mal aux abdos ! C’est signe que je suis bien vivante et cela m’encourage à continuer le combat contre la maladie. » Alors qu’elle doit repartir aux Antilles après son traitement, Claudine n’est pas sûre de retrouver de telles prestations près de chez elle.

L’enjeu des soins de support est d’autant plus stratégique qu’il ne se limite pas aux seuls malades du cancer. Il concerne l’ensemble des maladies chroniques, soit près d’un quart de la population française. Plusieurs associations interviennent auprès de tout type de malades chroniques, à l’instar du groupe associatif Siel Bleu ou de la Fabrique créative de santé. Spécialisé dans l’activité physique adaptée, considérée comme un suivi thérapeutique en tant que tel, le groupe associatif Siel Bleu s’adresse autant aux personnes atteintes d’un cancer qu’à celles concernées par d’autres pathologies : Alzheimer, diabète, obésité, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, insuffisances cardiaques, VIH, etc. Les exercices permettent d’accompagner les soins, de participer à la guérison, de limiter les répercussions de la maladie ou de ralentir l’avancement de la pathologie. À Nantes, la Fabrique créative de Santé a mis en place des activités de médiation créative corporelle ou réflexive.  Par le biais du yoga, du qi gong, de la sophrologie, du shiatsu ou des récits de vie… il s’agit de « permettre aux malades chroniques de s’approprier leur maladie, de savoir mieux en parler et gérer leurs émotions », résume Catherine Greffier, l’une des fondatrices.

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Compétition d’aviron en salle organisée par Agir contre la Maladie. ©©Ludovic Carême

De l’importance de la proximité et de l’adaptation

En dépit de ces multiples initiatives, l’accès aux soins de support reste encore inégal d’une région à l’autre. Beaucoup de structures de soins sont concentrées dans les agglomérations, à proximité d’un centre hospitalier. Le succès de l’association de Clisson atteste d’une forte demande locale, sur un territoire rural confronté à une forte prévalence du cancer, de 30% supérieure à la moyenne nationale. Dans l’engagement et la régularité du recours aux soins, la question de la proximité apparaît cruciale. « Au début du traitement, on se retrouve bombardé de rendez-vous, on est embarqué dans un TGV de soins et l’hôpital devient comme une deuxième maison durant plusieurs mois, explique Laetitia Poirier, l’une des bénéficiaires d’Agir contre la Maladie. Il faut nous déplacer plusieurs fois par semaine à Nantes, parfois tous les jours lors des séances de radiothérapie. On passe beaucoup de temps en voiture. Si en plus, on doit se rendre à Nantes pour faire du sport, il faut être très motivés. » Grâce à ce dispositif de proximité, Laetitia s’est ainsi investie dans l’atelier avirose, l’autre nom du rameur en salle. « Après une opération du sein, notre bras est ankylosé et on a du mal à le lever. Les moniteurs nous montrent une gestuelle adaptée : ici on est vraiment bien prise en charge, comme dans un cocon. Dans une structure sportive classique, on serait noyée dans la masse. Et puis, ça permet de côtoyer d’autres femmes qui sont dans la même galère. On discute, on s’échange des conseils ou des tuyaux sur les soins de support. »

Catherine Cormerais, la présidente d’Agir contre la maladie, milite pour s’investir dans une pratique sportive dès l’annonce de la maladie. « Cela peut sembler paradoxal, mais c’est pourtant le moment de lutter contre la perte de masse musculaire engendrée par la chimiothérapie. » Selon elle, démarrer le sport dès l’annonce d’un cancer permet de récupérer plus rapidement. Plusieurs enquêtes ont montré qu’une pratique sportive régulière et soutenue réduit la fatigue engendrée par les traitements et diminue de manière significative le risque de récidive pour certaines pathologies (cancer du sein, cancer colorectal). « Ces soins ne relèvent pas d’une sorte de cocooning du patient mais ont un effet thérapeutique prouvé », renchérit Philippe Bergerot, oncologue, radiothérapeute et responsable du comité soin de support à la Ligue contre le cancer. « On a longtemps conseillé aux personnes en chimiothérapie qui se sentaient fatiguées de se reposer. Mais un effort généré par des activités physiques permet de mieux dormir et de mieux récupérer. »

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Benjamin Poirier, maître d’armes lors d’une démonstration d’escrime adaptée à Clisson. ©©Ludovic Carême

 

La pratique de l’escrime est également adaptée autour du programme RIPOSTE (Reconstruction, Image de soi, Posture, Oncologie, Santé, Thérapie, Escrime) mis en place par Dominique Hornus-Dragne, médecin-anesthésiste, aujourd’hui retraitée et escrimeuse. « La première année, les participants apprennent les mouvements sans combattre, sous une forme jouée et chorégraphiée, détaille Benjamin Poirier, maître d’armes à l’Escrime Valletaise qui encadre les séances à Clisson. L’accent est mis sur le maniement du sabre en souplesse et en finesse, pour ses vertus de rééducation de l’épaule. » Les soins socio-esthétiques constituent une autre forme de pratiques destinées à mieux supporter les conséquences de la chimiothérapie, notamment la perte d’ongles, de peaux ou poils, avec des effets parfois douloureux, aussi bien physiquement que moralement. Une séance de socio-esthétique portera sur la pose d’un vernis à ongles au silicium afin de les protéger de la chimiothérapie, le choix d’une prothèse capillaire ou d’une pommade pour masser le cuir chevelu, lors de la repousse des cheveux.

Mesurer l’efficacité des soins et lever les freins financiers

En 2020, l’action d’Agir contre la Maladie a été reconnue à travers la labellisation Maison Sport Santé, un dispositif gouvernemental offrant un accès au sport pour tous dans un cadre sécurisé et adapté, notamment aux personnes souffrant d’affections de longue durée. Les bénéficiaires peuvent venir suivre des activités physiques adaptées sur prescription médicale, et bénéficier d’un remboursement par la Sécurité sociale. Alexis, jeune coach sportif, titulaire d’un Master STAPS en activités physiques adaptées (APA) a été recruté en août 2021 pour encadrer les activités. Suite à la prescription du médecin, un bilan permet d’établir quel sport serait le mieux adapté. Outre la prise en charge financière, l’autre intérêt du dispositif est son caractère sur-mesure. L’objectif est de limiter les risques d’une remise trop rapide et brutale au sport (foulures, tendinites, risques cardiaques, etc.). « On se doit d’être particulièrement attentif aux personnes n’ayant jamais fait de sport ou ne le pratiquant plus depuis longtemps », explique Catherine Cormerais. « Chaque exercice sportif est décliné en fonction des capacités physiques de chacun : on peut encourager ou diminuer l’effort, c’est vraiment à la carte », complète Alexis, le coach sportif. Une évaluation régulière sous la forme de bilans et de questionnaires doit permettre de mesurer l’amélioration physique et psychique de la personne et d’adapter l’activité au plus près de ses besoins. « Tous les quatre mois, nous passons des tests et un questionnaire sur notre état psychique, afin de mesurer les effets sur le physique et le moral », confirme Laetitia qui fait partie d’un groupe test.

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Catherine Bondu et Catherine Cormerais, vice-présidente et présidente d’Agir contre la Maladie, au milieu d'autres membres de l'association à l'occasion de l'événement Octobre rose de fin 2021. ©©Ludovic Carême

 

Outre la proximité géographique, l’accès aux soins de support se heurte à un problème de financement. En dehors du cadre hospitalier ou de l’offre associative, les soins restent à la charge des personnes malades, et ce « sans compter les éventuels frais de transports ou de garde d’enfants », relève Ghislaine Achalid, chargée de mission soins de support à la Ligue contre le cancer. Parmi les solutions proposées figurent des propositions de soins à distance via internet ou le développement du dispositif Proxiligue de la Ligue contre le cancer, un service gratuit de soins à domicile pour les personnes isolées ou ne pouvant se déplacer. La récente mise en place du parcours de soins post-cancer constitue une « petite avancée » dans la prise en charge des soins de support. Il s’adresse aux patients bénéficiant du dispositif d’affection de longue durée (ALD) en lien avec le cancer, dans l’année qui suit la fin de leurs traitements. Ce parcours comprend un bilan d’activités physiques, donnant lieu à l’élaboration d’un projet d’activités physiques adaptées, un bilan psychologique et diététique et des consultations de suivi diététiques et psychologiques (dans la limite de six consultations). La prise en charge s’élève à 180 € par patient et par an. « C’est un début mais ce forfait ne couvre pas la réalité des frais ou les séances complémentaires, notamment dans le cas de prescription d’activités adaptées », poursuit Ghislaine Achalid. A titre d’exemple, une consultation chez un psychologue s’élève de 50 à 70 € la séance, parfois plus. Quant aux prix des activités de sport adapté, ils varient dans une fourchette pouvant aller de 15 à 50 € par séance.

Un long chemin où il faut éviter l’isolement

Dès l’annonce d’un cancer, commence un long parcours : avant, pendant et après le traitement, chaque étape nécessite une attention particulière. Généralement, et face aux multiples questions qui se posent autour du traitement thérapeutique, des soins mais aussi de la prise en charge financière, l’accès à l’information apparaît vital. Rompre l’isolement par la mise en relation des patients et diffuser l’information, c’est la vocation de Patients en réseau. Depuis 2014, cette association nationale fédère par l’outil numérique des personnes touchées par la maladie ainsi que leurs proches. Outre leur mise en relation, Patients en réseaux veut favoriser l’accès aux ressources de proximité (associations, professionnels du soin, etc.) et diffuser une information fiable, validée par un comité scientifique. Quatre réseaux sociaux sécurisés fonctionnent actuellement, dédiés au cancer du sein, du poumon, gynécologique et colorectal. « Le développement de l’application mobile a permis de développer un lien encore plus intime au sein du réseau », estime Laure Gueroult Accolas, directrice et fondatrice du réseau.

L’onde de choc de l’annonce d’une maladie génère d’autres répercussions, notamment les conséquences psychiques sur l’entourage comme sur l’activité professionnelle du patient. L’aide administrative, sociale et juridique apportée par CAIRE 13 à Marseille constitue ainsi, pour les travailleurs indépendants, une véritable bouffée d’oxygène. « Face à la détresse psychologique de certains qui peut entrainer l’incapacité de gérer un simple courrier, notre rôle est de prendre la main pour leur permettre de se concentrer sur la maladie », témoigne l’un des bénévoles de l’association marseillaise. D’autant que ce public composé de chefs d’entreprise, commerçants, artisans, professions libérales et agriculteurs se révèle peu informé de ses droits en matière de protection sociale et d’indemnisations.

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Séances de Taïso proposée par Agir contre la Maladie. ©©Ludovic Carême

 

Une autre étape décisive pour les patients est la fin du parcours thérapeutique. « Durant cette période, la Ligue contre le cancer propose un accompagnement en soins de support pendant une année, explique Nathalie Régent, infirmière en charge de la consultation d’annonce et d’accompagnement à la clinique Jules-Verne de Nantes. Mais à la fin du parcours thérapeutique, les personnes peuvent se retrouver du jour au lendemain, sans accompagnement, comme abandonnées. » Et ce d’autant plus que, à l’issue du traitement, l’entourage du malade peut penser, à tort, que la personne est sortie d’affaire. C’est durant cette période cruciale, que les associations comme Agir contre la maladie peuvent efficacement prendre le relais. « Ce moment est essentiel car les patients sont fatigués tant physiquement que psychologiquement par leur traitement », insiste l’infirmière. Et puis, en fin de parcours thérapeutique, les mêmes n’ont pas forcément envie de revenir sur le lieu de leur traitement. Nathalie Régent a elle aussi constaté les effets bénéfiques d’une prise en charge très en amont. « Dès la première consultation, nous abordons systématiquement la question des soins de support et des activités physiques adaptées. » Un tel discours ne « passe » pas toujours bien auprès de certaines personnes choquées par l’annonce de la maladie qui ont besoin de temps pour accepter la situation… « Certaines femmes ont peur de se retrouver avec d’autres malades et de ne parler que de ça. Mais, dans la réalité, ce n’est pas forcément ce qui se passe », observe Nathalie Régent. « Il est normal que des malades ne veuillent pas toujours entendre parler de cette offre de soins de support, relativise l’oncologue et radiothérapeute Philippe Bergerot. C’est souvent après notre première rencontre, dans le cadre des séances hebdomadaires de radiothérapie que je reparle au patient de cette possibilité et l’idée fait alors son chemin. »

Les hommes ont aussi besoin des soins de support

Pour les professionnels des soins de support, une autre problématique concerne les hommes, encore trop rares à solliciter des structures comme l’Atelier Cognacq–Jay ou Agir contre la Maladie. Ils représentent par exemple moins de 10% des participants à L’Atelier Cognacq-Jay. En novembre 2021, la Fondation Cognacq-Jay a d’ailleurs organisé deux groupes de discussion auprès de patients et de médecins afin d’envisager des pistes d’action. Une étude d’impact doit notamment être réalisée, afin de démontrer les effets positifs produits par le suivi des accompagnements après-cancer proposés par l’Atelier.

 

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Jean-Laurent (à droite), lors d’un cours de salsa organisé par Elles dansent à L'Atelier Cognacq-Jay. ©©Mathieu Oui

 

Rencontré lors d’un cours de salsa, Jean-Laurent est l’un des rares à participer aux cours de l’association Elles Dansent. « J’avais besoin d’échanger avec d’autres personnes dans ma situation », explique ce père de quatre enfants, qui pointe que la pratique du sport, encouragée par les soignants, est parfois trop individuelle. Ici, l’enjeu est aussi collectif. « En participant à ce type d’activités, on peut s’exprimer plus librement qu’avec son entourage sur ce que l’on traverse. La discussion n’est pas toujours possible avec la famille que l’on cherche à protéger, reprend Jean-Laurent qui se souvient que sa fille s’est effondrée lorsqu’elle a appris son cancer. Echanger avec d’autres malades et découvrir d’autres situations fait relativiser notre propre situation. Cela nous permet de la voir plus clairement. » 

« Alors que les hommes représentent 53% du total des malades du cancer, qu’ils sont confrontés aux mêmes traitements lourds que les femmes avec des effets secondaires importants, il y a encore cette idée que les soins de support sont faits pour des femmes par des femmes, relève de son côté Ghislaine Achalid, chargée de mission soins de support à la Ligue contre le cancer. Nous avons encore un important travail collectif d’information et sensibilisation à faire en direction de la population masculine. » Cerhom (nom qui signifie la fin du cancer, le début de l’homme) a été créé en 2014, sous l’impulsion du professeur Karim Fizazi, oncologue à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif. « Il s’agit de répondre au manque crucial d’informations sur les cancers masculins, ceux de la prostate, du testicule ou de la verge », détaille Olivier Jérôme, son président.

Deux lignes d’écoute téléphonique – l’une dédiée au cancer du testicule, l’autre à celui de la prostate – représentent le principal service proposé aux patients. Recueillant entre 200 à 300 appels annuels, celles-ci permettent d’échanger sur son ressenti, de recueillir des conseils et de rompre un peu l’isolement. « C’est une mise en relation avec d’autres personnes qui sont passées par un parcours de soin, afin d’éviter qu’un homme diagnostiqué se retrouve seul à lire des informations déprimantes sur Internet. L’outil du téléphone est bien adapté pour poser des questions. L’absence de face-à-face et l’anonymat facilitent les échanges. » L’organisation de réunions en présenciel n’est en revanche pas envisagée pour l’instant, faute de participants. « Même quand on organise des interventions à l’hôpital, les hommes n’osent pas venir. Au mieux, ils envoient leurs femmes. Il y a encore un gros tabou à aborder ce sujet », constate Olivier Jérôme, traité pour un cancer du testicule il y a vingt ans. Selon ce dernier, plusieurs éléments expliquent cette réticence masculine à participer. « Beaucoup d’hommes ont du mal à demander de l’aide, à reconnaître qu’ils sont potentiellement en situation de faiblesse. Nombreux sont ceux à se dire : je vais m’en sortir tout seul, je n’ai pas besoin d’aide. » Et puis, ces pathologies touchent à l’intime, à la masculinité. « Ces cancers peuvent entraîner des baisses de libido. Dans une réunion, un homme ne va pas témoigner de ses difficultés d’érection. Des problèmes d’incontinence peuvent survenir. Et autant, il existe des publicités télévisées pour les protections contre les fuites urinaires féminines, autant le sujet reste invisible pour les hommes. »

Un accompagnement systématique comme devrait l’être le dépistage 

À écouter Olivier Jérôme, la mobilisation sur les cancers masculins est encore très en retard par rapport à celle autour du cancer du sein. Un paradoxe quand on sait que le cancer de la prostate, le plus fréquent chez les hommes, concerne plus de 50 000 nouveaux cas annuels, à hauteur, voire devant, le cancer du sein. Informations sur la prévention et la détection, les traitements possibles et les effets secondaires … les chantiers sont nombreux. Outre la création de l’application Vik Prostate, créée en lien avec des professionnels de santé pour répondre aux questions des patients et des proches, des supports imprimés sont envisagés. « Tout reste à faire, c’est à la fois encourageant et décourageant », estime Olivier Jérôme.

Enfin, l’origine sociale des patients constitue un dernier frein, et non des moindres. Comme l’a montré le dernier Observatoire sociétal des cancers (rapport 2018-2019), le recours aux soins de support s’avère moins systématique pour les personnes les moins diplômées. Le soutien psychologique, la kinésithérapie ainsi que l’accompagnement nutritionnel restent privilégiés par les plus diplômés. De même, l’activité physique adaptée est deux fois plus pratiquée par les personnes qui ont un diplôme supérieur au Baccalauréat. « Les malades issus de milieux défavorisés n’ont pas toujours accès à l’information, ou n’osent pas sortir de chez eux », confirme Philippe Bergerot, oncologue et responsable du comité de pilotages soins de supports à la Ligue contre le cancer.

Au final, en dépit de ces multiples initiatives et de la sensibilisation des personnels de santé, l’accès aux informations et aux soins de support, notamment pour les moins favorisés, reste encore un long combat.  Pourtant, cet accompagnement s’avère d’autant plus essentiel qu’il offre un véritable horizon. Pour les patients, ces soins de support sont l’occasion de se remettre dans une dynamique, de reprendre confiance en soi et en la vie. Comme le souligne Catherine Greffier, fondatrice de la Fabrique créative de santé, l’association « fonctionne comme un passage, un sas entre les premiers examens et la période où la maladie s’est stabilisée et ou la personne peut vivre presque comme tout le monde. » « Les soins de support permettent d’anticiper la sortie du traitement mais il vaut mieux s’y préparer très en amont », renchérit Philippe Bergerot. Par le biais des activités physiques adaptées notamment, il s’agit de retrouver le goût de l’effort physique, et du dépassement de soi et de ses limites. A Clisson, plusieurs anciennes participantes de l’atelier tir à l’arc adapté ont ainsi pris leur licence au club de tir valletais et participent aux compétitions. Très motivées par le long combat remporté contre la maladie, elles sont souvent les plus assidues aux entraînements.

En savoir plus

Données en plus

Selon les derniers documents sur le sujet de l’assurance-maladie (2016), environ 10,7 millions de personnes bénéficient chaque année du dispositif Affection Longue Durée (ALD), soit 17 % des assurés atteints de diabète, d’insuffisance cardiaque, de maladie d’Alzheimer, de tumeurs malignes, d’AVC invalidant…

382 000 nouveaux cas de cancers en France chaque année, touchant 54% d’hommes, 46% de femmes. Les quatre principaux cancers en France : prostate (71 000 cas diagnostiqués en un an) ; sein (53 000) ; Côlon-rectum 40 500) ; poumon (39 500). Source : Ligue contre le cancer (données de 2018).

La ligue contre le Cancer estimait en mai 2020 à près de 70 000 le nombre de personnes bénéficiant de soins de support en France.

Selon l’enquête Face au cancer, le parcours de soin (Rapport 2018/2019 de l’Observatoire sociétal des cancers), 61% des participants ont consulté au moins un professionnel de soins de support pendant leur parcours de soins. Les deux professionnels de soins de support les plus consultés sont les kinésithérapeutes et les psychologues ou psychiatres.

La pratique d’une activité physique après diagnostic d’un cancer du sein diminuerait de 24 % le risque de récidive, et de 28 % le risque de décès par cancer, et ce dernier serait réduit de 39 % après diagnostic d’un cancer colorectal (sources diverses, 2011-2014).