Voyage en quinze photos dans quelques lieux emblématiques de la capitale espagnole. Des espaces auparavant en friches, places, jardins ou bâtiments, que les citoyens se sont réappropriés pour y fabriquer un « vivre-ensemble » plus solidaire, participatif, écologique, mais aussi numérique.
- Pierre Mérimée
L’aventure du Campo de la Cebada s’achève fin 2017. Six ans après avoir investi un lieu à l’abandon, suite à la construction avortée d’un centre commercial, l’association s’étant occupé de l’espace s’apprête à en rendre les clés à la municipalité qui doit y implanter un espace sportif. «L’un des enjeux était qu’il reste dévolu à un usage public plutôt que vendu à des investisseurs privés», dit Flavia Totoro, présidente de l’association. «Notre objectif est désormais que les usagers participent eux-mêmes au projet, afin qu’il réponde à leurs envies et besoins et ne leur soit pas imposé d’en haut.»
- Pierre Mérimée
Le Campo de la Cebada a initié une multitude d’activités gratuites à dimension artistique (street art, ateliers de photo, de poésie, de théâtre), sportive (aménagement de terrains de basket), culturelle (festivals de musique et de cinéma en plein air), mais aussi sociale (échanges de services). L’innovation majeure a été la reprise en main de cet espace par les gens eux-mêmes, de tous âges, métiers et catégories sociales, dans une logique d’autonomie et de responsabilité collective…
- Pierre Mérimée
Assis à l’ombre des cactus du Campo, trois amis discutent. Ces jeunes gens viennent souvent se retrouver dans ce qu’ils considèrent comme « l’un des seuls vrais espaces de liberté à Madrid ». Aucun ne sait, cependant, qu’il s’agit d’un « laboratoire citoyen », comme une vingtaine d’autres lieux de la capitale espagnole : des bâtiments ou friches urbaines récupérés par des riverains pour y imaginer et y tester in vivo de nouveaux modes de construction de la cité fondés sur l’autogestion et la coproduction de savoirs et de services.
- Pierre Mérimée
Le Huerto del Retiro a été ouvert il y a six ans, en plein centre de la capitale. Ce centre d’éducation à l’environnement, financé par la mairie de Madrid, propose des cours de jardinage à des particuliers, des scolaires et à des personnes toxico dépendantes. Cet espace donne aux urbains l’occasion de reprendre contact avec la nature, mais aussi de tisser des liens intergénérationnels.
- Pierre Mérimée
Le phénomène des laboratoires citoyens est né d’une conjonction de facteurs. Après que la bulle immobilière ait éclaté, en 2008, les retombées ont été catastrophiques : expulsions, chômage de masse, pauvreté affectant 12 millions de personnes, abandon sanitaire, etc. Et les coupes budgétaires touchant le service public ont accentué cette précarité générale. En réponse, les Espagnols ont développé des initiatives de solidarité d’urgence, dont certaines se sont transformées et ont duré.
- Pierre Mérimée
La Tabacalera, une ancienne fabrique de cigarettes, propriété du ministère de l’Education, de la Culture et des Sports, était destinée de longue date à accueillir un Centre national des arts visuels. Mais la crise est passée par là également, gelant le projet. Les associations de quartier ont obtenu l’usage temporaire des quelque 25 000 mètres carrés laissés vacants, à condition d’y assurer les activités, l’entretien et la sécurité. Et les murs se sont remplis des peintures de street artistes du monde entier.
- Pierre Mérimée
Depuis 2010, la Tabacalera s’est muée en ruche : expos, studios de peinture, de musique ou de théâtre, fablabs, toutes sortes de cours libres et gratuits… Sergio participe à trois ateliers, dont celui d’acrobaties, un entrainement libre où l’on vient partager ses connaissances et aptitudes. Ce centre autogéré où l’argent est banni accueille aussi débats, conférences et diverses permanences, dont une de soutien juridique aux migrants, chômeurs, sans domicile et personnes en risque d’exclusion.
- Pierre Mérimée
La Tabacalera accueille notamment un atelier de réparation de vélos (avec cycles mis à disposition de qui en a besoin). « C’est un lieu incroyablement ouvert, positif et inclusif, s’enthousiasme Sergio. J’y viens sans arrêt, des gens très différents s’y rencontrent : jeunes, vieux, étudiants, artistes, professionnels… Ici, ça fonctionne comme une banque de temps : tu profites du lieu et des activités et en retour tu donnes un peu de ton temps pour le fonctionnement. »
- Pierre Mérimée
La Casa Encendida est un lieu ouvert par la mairie, mais géré là encore par les gens eux-mêmes. Il propose activités et événements autour de la culture, la solidarité, l'environnement et l'éducation. Tous les laboratoires citoyens de la ville se situent au croisement « de l’économie collaborative, du numérique, de l’écologie urbaine et de l’urbanisme social », explique l’urbaniste et sociologue Raphaël Besson, qui poursuit : « les plateformes de crowdfunding représentant environ 90% de leurs ressources financières. »
- Pierre Mérimée
El Matadero. L’ancien abattoir de Madrid a été transformé en un espace pluridisciplinaire dédié à l’expérimentation et la production artistique. Un lieu emblématique des expérimentations en cours à Madrid. Si la crise a précipité leur émergence, le terreau théorique préexistait. Comme développé par l’agence d’innovation urbaine Paisaje Transversal. Son credo : le « code ouvert », c’est-à-dire le partage systématique des expériences et des outils.
- Pierre Mérimée
La bibliothèque de l'EVA (Espacio Vecinal Arganzuela) est en libre accès – dont cette photo ne met en scène qu’une sculpture improvisée pour quelques-uns de ses ouvrages. Ce centre social autogéré occupe une partie du marché désaffecté de Legazpi, convoité par la mairie qui souhaite y loger son administration – d’où des débats parfois âpres entre la ville et l’équipe qui gère le lieu.
- Pierre Mérimée
Outre la bibliothèque, « il y a ici des cours d’espagnol , du prêt de matériel, la mise à disposition de salles, des groupes divers, par exemple de consommation ou pour le droit au logement… Nos activités sont très variées : soutien scolaire, bibliothèque publique, atelier de radio, réparation de vélos, cours gratuits (yoga, danse, théâtre, etc.) », précise Ángel Lomas, qui est l’un des animateurs de l’EVA.
- Pierre Mérimée
L'EVA est aussi un lieu de médiation, où la parole s’échange librement. « Nous organisons aussi des événements à destination des précaires et des migrants du quartier. Toutes les activités sont gratuites, c’est une question de redistribution, d’équilibre social. Entre et participe qui veut. On constate d’ailleurs un vrai changement des mentalités : on n’attend plus que les choses viennent d’en haut ; on les fait soi-même », se félicite Ángel Lomas.
- Pierre Mérimée
Installé dans les 4000 mètres carrés d’une ancienne scierie en plein centre ville, Le Medialab Prado s’organise en six laboratoires : ParticipaLab (participation citoyenne), DataLab (données et transparence), CiciLab (sciences ouvertes et collaboratives), InCiLab (innovation citoyenne), AvLab (arts numériques) et PrototipaLab (fablab). « Une quarantaine de groupes de travail donnent vie à ces différents espaces, Medialab est un incubateur de communautés », résume le journaliste Bernardo Gutiérrez, qui y prend part.
- Pierre Mérimée
Le Medialab Prado a été développé comme un Laboratoire citoyen de recherche et d’expérimentation des outils numériques, en libre accès. Ce lieu accueille soixante mille visiteurs par an. « Au quotidien, on tente d’offrir un soutien conceptuel et logistique au foisonnement des initiatives citoyennes de la ville », explique Bernardo Gutiérrez. Abandonner le top-down au profit du bottom-up ; orienter, accompagner, mettre en relation plutôt que planifier : ce qui constitue un défi pour la plupart des municipalité d’Europe est une évidence pour les acteurs des laboratoires madrilènes.