Claire Thoury : « Les jeunes ne s’identifient plus à une structure »

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Claire Thoury

Présidente du Mouvement associatif et docteure en sociologie, spécialisée sur l’engagement des jeunes, Claire Thoury analyse les attentes et les nouvelles formes de mobilisation des 15/25 ans.

Solidarum : En matière d’engagement solidaire, quels sont, selon vous, les principaux thèmes qui mobilisent la génération des 15/ 25 ans aujourd’hui ?

Claire Thoury : Il me semble qu’il y a trois sujets vecteurs de mobilisation importante. La question écologique, tout d’abord, est essentielle. Puis il y a celle liée à l’égalité homme-femme et aux discriminations. Enfin, ils se mobilisent beaucoup pour l’accueil et l’accompagnement des personnes migrantes.

Au-delà de ces combats spécifiques, l’engagement des jeunes générations prend-il une forme particulière ?

Leur approche est à la fois intense et pragmatique. L’engagement occupe toutes les sphères de la vie du jeune, celle de ses études, de ses relations amicales, de ses choix professionnels. Toutes ces sphères doivent être en cohérence avec ses valeurs et ses engagements. Cette porosité est quelque chose d’assez nouveau par rapport aux générations précédentes. Face aux urgences climatiques, sociales, démocratiques, les jeunes et surtout les très jeunes se mobilisent plus radicalement. Ils souhaitent une transformation plus forte de la société, et surtout sans nuances ni négociation possibles. Ils aspirent à un changement radical de modèle, de modes de vie, de manière de consommer, pour répondre à ces grandes urgences. Ce n’est même pas un sujet de discussion pour eux, il faut que ça avance ! Par ailleurs, leur façon de penser en système est assez bluffante. Ils ont bien conscience par exemple que la crise climatique ne se réglera pas sans traiter la question sociale, les inégalités de richesses entre les pays. Ils savent parfaitement que ce ne sont pas les pays les plus pauvres qui génèrent le plus de gaz à effets de serre. À titre personnel, cette manière de relier des causes entre elles pour créer une dynamique de société me donne beaucoup d’espoir.

C’est une génération aussi très connectée. De quelle manière ce rapport à l’information en ligne influe-t-il sur leur mobilisation ?

Ils sont très bien informés, notamment au travers des contenus diffusés sur des plates-formes de partage comme YouTube ou Twitch. Je pense bien sûr aux messages de Greta Thunberg, qui a beaucoup contribué à vulgariser les questions écologiques, mais il y en a d’autres, comme Hugo Travers. Avec sa chaine YouTube Hugo décrypte, qui aborde l’actualité, ce dernier touche lui aussi des millions de jeunes. Sa communauté est très importante et ne se limite pas aux CSP+.

Comment analysez-vous la difficulté des associations traditionnelles à séduire ces nouveaux militants et à rajeunir leurs effectifs ?

Cela pose la question de la proposition qui leur est offerte. Ils ne veulent plus être « le jeune de service », ou cantonnés à un « sujet jeune ». Siéger au conseil d’administration tous les six mois pour rassurer la gouvernance, cela ne les intéresse pas. Il s’agit de participer vraiment aux décisions. Rejoindre une association n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen pour défendre une cause. Beaucoup d’entre eux préfèrent s’organiser en collectif, pour privilégier une forme d’organisation plus souple au sein de laquelle ils peuvent agir rapidement et au plus près des besoins.

La revendication d’autonomie vis-à-vis des organisations traditionnelles n’est pas franchement nouvelle…

C’est vrai que la période des années 1970 a été un tournant. L’individu s’est alors émancipé des communautés d’appartenance pour s’affirmer en tant que personne avec des identités multiples et choisies. Et puis c’est une période de massification de l’enseignement supérieur, ce qui participe aussi de cette bascule de l’engagement. Il y a le refus d’être défini par la structure dans laquelle on s’engage, le refus d’être un petit soldat. Etre engagé ne signifie plus se sacrifier ou arrêter d’être soi. L'engagement peut s’avérer ponctuel ou réversible, si la structure au sein de laquelle ils s'investissent ne répond plus à leurs attentes. Par rapport aux générations précédentes, ils ne sont plus dans une logique d’attachement à une structure en particulier.

La jeune génération évoque souvent une quête de sens dans ses choix d'engagement ou professionnels. Comment faut-il comprendre cette notion ?

Ils se demandent à quoi ils servent en tant qu’individu : Pourquoi j’existe ? Qu’est ce que j’apporte à la société ? Je pense qu’il s’agit surtout pour eux de comprendre la logique de leurs actions et ne pas être juste un exécutant. Dans une société où l’individu a pris autant de place, cette question du sens n’est pas anodine. Elle comporte aussi des côtés difficiles, pouvant engendrer des dépressions. Le livre d’Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi abordait déjà cette question. Ulrich Beck dans La société du risque, explique lui aussi que le risque ne vient plus de l’extérieur mais de l’intérieur de la société. Tout un chacun est désormais responsable de sa réussite mais aussi de ses échecs. Cela peut engendrer un grand sentiment d’inutilité ou de forte remise en question.

Comment analysez-vous la difficulté des associations traditionnelles à séduire ces nouveaux militants et à rajeunir leurs effectifs ?

Cela pose la question de la proposition qui leur est offerte. Ils ne veulent plus être le jeune de service, ou cantonné à un « sujet jeune ». Siéger au conseil d’administration tous les six mois pour rassurer la gouvernance, cela ne les intéresse pas. Il s’agit de participer vraiment aux décisions. Rejoindre une structure n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen pour défendre une cause. Beaucoup d’entre eux préfèrent s’organiser en collectif, une forme d’organisation plus souple, dans laquelle, ils peuvent agir rapidement et au plus près des besoins, mais ces collectifs deviennent souvent des associations !