Parce qu’il se revendique « commun », ce restaurant n’est vraiment pas comme les autres. À l’Oratoire, au cœur du site des Grands Voisins, on s’emploie autant à soigner les plats qu’à bichonner les clients et le personnel. Ce restaurant solidaire expérimente à la fois des dispositifs d’insertion professionnelle et sociale et d’autres façons de consommer (café et repas « suspendus » ou à prix libre). Avec toujours le désir de mélanger harmonieusement, de chaque côté du comptoir, des ingrédients humains qui d’ordinaire mijotent dans des marmites séparées.
- Sylvie Legoupi - Balthazar Gibiat
Aux Grands Voisins, tout fonctionne à la synergie. L’association Aurore y a par exemple installé son Plateau technique, où de jeunes mineurs isolés, orientés par l’Aide sociale à l’Enfance d’Ile-de-France, sont formés aux métiers de la restauration. Grâce à la collaboration étroite entre les associations, mais aussi à leur présence sur le même site, ces jeunes peuvent ensuite venir poursuivre leur apprentissage à l’Oratoire (pour des durées de trois semaines à plusieurs mois, selon les appétits). À l’instar de Gabriel, ici en photo dans la cuisine du restaurant, ils peuvent y acquérir un large panel de compétences leur permettant de trouver plus facilement un emploi pérenne par la suite.
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En terrasse extérieure, sous les arcades récemment aménagées ou en salle, on peut venir se restaurer du mercredi au samedi (12h-14h30 et 19h30-21h30), mais aussi pour le brunch du dimanche (11h-15h). Le lieu est ouvert à tous : se croisent, et parfois se rencontrent, des personnes venues des quatre coins de l’horizon social, du cadre en pause déjeuner au SDF venu chercher répit et hospitalité. Car il n’y a aucune obligation de consommer, un système de cafés et de plats « suspendus » permettant aux plus fortunés d’inviter un inconnu : 427 cafés et 107 plats ont ainsi été offerts en 2018.
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Préparation avant le début du service. Chloé, coordinatrice du restaurant, reçoit le renfort de Nabil, ancien résident, et de Jean-Luc, animateur culturel et figure des Grands Voisins. Chloé a travaillé au Grand Recho, resto solidaire éphémère pour les réfugiés à Arras, avant de débarquer ici avec la passion de la bonne cuisine mais aussi l’envie de s’investir pour soutenir un ambitieux projet social. « On tente d’être à l’image du site, un lieu hyper mixte avec à la fois des personnes en hébergements d’urgence et des gens qui viennent pour faire la fête. Et à l’Oratoire, on essaie de faire en sorte que tout le monde se sente bienvenu. »
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Rémy et Gabriel sont deux des membres d’une brigade aussi soudée qu’hétéroclite. Sans la contrainte d’un agrément, le restaurant s’offre en effet la liberté de mixer des statuts très différents… Dans ce laboratoire d’insertion, collaborent donc pros confirmés et débutants. Une partie de l’équipe est en insertion professionnelle, une autre en reconversion. On trouve ainsi : un alternant en CAP cuisine, résident de Pangea, centre d’hébergement pour jeunes mineurs isolés des Grands Voisins ; une employée de l’association Yes We Camp hébergée à Cœur de Femmes, qui réunit des femmes majeures isolées ; et deux stagiaires du Plateau technique, structure d’insertion professionnelle de l’association Aurore. Au total, les 13 salariés, tous payés au Smic, assurent une moyenne de 150 repas quotidiens.
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Arthur et Rémy détendus avant le coup de feu. « J’ai connu le lieu par une amie qui y travaillait, explique Rémy, et quand j’ai débuté une qualification en cuisine, je suis venu faire un stage d’une semaine, puis des extras. Et on m’a proposé un CDD. Avant, j’avais travaillé quelques mois dans un restau classique, où j’ai beaucoup appris mais avec une grosse pression. Ici, je poursuis mon apprentissage avec plus de coopération, de souplesse et de créativité, dans une atmosphère enthousiaste, où on fait attention aux personnalités de chacun(e). »
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Aujourd’hui en CDD à l’Oratoire, Tristan a participé aux premiers « projets food » des Grands Voisins. À l’origine, les 600 résidents des centres d’hébergement se nourrissaient de barquettes sous vide et les personnes travaillant sur le site enchainaient les kebabs. Puis se sont ouverts les « Comptoirs », gérés par des résidents sachant cuisiner, tandis que Yes We Camp commençait à proposer des snacks et des brunchs. Dans ce qu’on appelle ici la « saison 2 » des Grands Voisins, ce vrai restaurant est l’aboutissement de ces projets. Il offre une cuisine saine, réalisée à partir de produits locaux et bio, à prix modéré (plats à 7,50 €, formule entrée-plat pour 10 €, un montant calculé sans marge).
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Plusieurs dispositifs visent à rendre l’Oratoire ouvert et « inclusif ». Eugeh, jeune résident d’origine roumaine, a connu pendant des années la rue et l’isolement à Paris, où il pâtissait également de ne pas maitriser la langue. Il est venu ce vendredi matin profiter du café à prix libre. « Je viens souvent ici, car je peux aussi rencontrer des gens et apprendre à mieux parler le français. » Sur le comptoir, on trouve aussi des viennoiseries à prix libre.
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À l’Oratoire, on peut aussi payer son café en billets-temps, monnaie en usage aux Grands Voisins, distribuée en échange de services, ou avec un ticket de métro, qui sera redistribué à des résidents des centres d’hébergement, pour faciliter leurs déplacements. Par ailleurs, un soir par semaine, les repas du restaurant sont à prix libre. Et le mardi, quand le restaurant est fermé, ses cuisines sont ouvertes aux résidents pour qu’ils puissent se faire à manger ou cuisiner de manière professionnelle des plats qu’ils pourront ensuite vendre sur le site.
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« On s’habitue vite à travailler dans un cadre comme celui-là, explique Tristan, en stage comme Gabriel qui prépare des pommes de terre à ses côtés. Et c’est difficile de retourner dans un resto classique après avoir été dans un endroit où il y a moins de hiérarchie. Ici, on est très libres en cuisine. Pour ma curiosité et mon enrichissement dans ce métier, c’est génial. On a une grande liberté au niveau des menus, avec pour seule contrainte les saisons et l’usage de produits locaux : donc pas d’avocat chez nous. Et en prime, il y a cet aspect social qui fait du bien. Par exemple, j’ai vu comment un jeune résident en contrat d’insertion, au début très réticent, a fini par s’investir jusqu’à devenir hyper autonome. C’est gratifiant de voir quelqu’un évoluer comme ça. »
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Projet phare de la « saison 2 » des Grands Voisins, l’Oratoire a ouvert le 23 mai 2018 et reçu dès la fin de cette même année le trophée de l’ESS de la Ville de Paris. Soutenu par la Ville et la Région, il bénéficie d’une subvention du Budget Participatif Parisien (BPP). L’Oratoire a été lancé par la « cheffe » Emmanuelle Lavaur, qui travaillait en restaurant gastronomique avant de rejoindre les Grands Voisins en 2016. Elle y a d’abord animé La Lingerie où travaillaient des bénévoles souhaitant faire une reconversion en cuisine, puis a créé les Comptoirs, où une dizaine de résidents vendaient leurs propres recettes. Elle est aujourd’hui en charge du « pôle food » de Yes We Camp.
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À l’Oratoire, on ne travaille que des produits sains et locaux, sélectionnés avec soin en privilégiant les circuits courts d’approvisionnement. Des partenariats noués avec des producteurs maraîchers (comme Percheron), des distributeurs (Zingam) et des éleveurs indépendants permettent de garantir la bonne qualité des produits tout en encourageant la production locale. On veille aussi à limiter les déchets, en ajustant les quantités, en sensibilisant les clients à l'« antigaspi », et en recyclant les rebuts organiques (transformés en compost par la société Les Alchimistes). Et tout ceci n’empêche pas la gourmandise… grâce au talent de Charly, le pâtissier !
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À l’Oratoire, on croise toutes les générations, sans distinction sociale. Ces clientes ont découvert les Grands Voisins comme simples visiteuses, en venant y boire un verre ou assister à un concert. « J’aime bien le concept de cette ancienne maternité reconvertie, explique l’une d’elles. J’essaie donc de venir régulièrement. Il y a beaucoup de monde, et c’est vraiment convivial. Et j’aime aussi le fait que des gens habitent ici. » Bien sûr, les différents publics restent souvent cloisonnés, chacun dans leur monde d’origine. À table, le midi, on voit plutôt des visiteurs extérieurs. Car, même très abordables, les prix pratiqués par l’Oratoire ne conviennent pas aux plus démunis. Mais les cafés suspendus et les repas à prix libre s’efforcent justement d’assurer une forme de redistribution et d’équité sociale.
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Sur le comptoir des pâtisseries, et un distributeur d’eau, évidemment gratuite. Mais on peut aussi consommer des bières et des sodas brassés à Paris. Même s’il ne dégage pas de véritable marge, et que sa masse salariale est plus élevée que nécessaire afin de favoriser son projet social, l’Oratoire est en bonne santé économique. Yes We Camp détient la licence et exploite le restaurant, dont 5% des recettes sont reversées aux Grands Voisins, auxquels est également acquitté un petit loyer. Le reste des éventuels bénéfices est réinvesti par Yes We Camp dans ses autres projets, à Paris, Nanterre ou Marseille.
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Mathieu officie comme serveur au bar 24 heures par semaine. Il a un CDD de 3 mois, qu’il compte bien renouveler. « Je suis en reconversion professionnelle. J’étais ingénieur dans l’agronomie. Je bossais dans l’industrie et c’était trop loin de mes valeurs : l’agroalimentaire est tirée vers le bas par la grande distribution. Je cherchais un job cool où je pourrais apprendre pour mon nouveau projet professionnel – un bar à vin éco-responsable… C’était pour moi le bon endroit : un lieu ouvert, d’échanges culturel et artistique, avec plein d’activités, idéal pour faire des rencontres. Qu’ils viennent de la rue ou soient sans soucis, les gens sont tous plutôt ouverts d’esprit. C’est bien d’arriver à mixer ces publics. »
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Depuis peu, l’Oratoire doit faire face à une concurrence… amicale. Ghada, résidente du centre d’hébergement d’urgence Cœur de femmes, s’est initiée aux fourneaux des Comptoirs lors de la « saison 1 » des Grands Voisins avant de remporter l’appel à projets pour ouvrir son stand juste à côté du « restaurant commun ». « Je l’appelle le “petit grand restaurant” : petit de taille mais grand en valeur ! On est douze à le faire tourner – à 90% des résidents, pas besoin d’aller chercher ailleurs les compétences qu’on a ici. » Ghada incarne l’idéal des Grands Voisins, donc aussi bien sûr de l’Oratoire : hier aidée car en grande difficulté, elle entraîne aujourd’hui des résidents dans sa dynamique de vie.
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Ce café-restaurant comporte une vaste terrasse et la salle de 130m². Restauration les midis et les soirs. Mercredi – Samedi : 9h-22h30 / Dimanche : 09h-20h – Brunch : 11h-15h Au total, les 13 salariés, tous payés au Smic, assurent une moyenne de 150 repas quotidiens. Nombre de plats vendus en un an : plus de 15 000. 427 cafés suspendus, 107 plats suspendus et 19 tickets de métro récoltés Nombre de salariés : 7 en cuisine : 6 en salle, dont 4 en insertion. Le restaurant Oratoire a reçu fin 2018 le trophée de l’Economie Sociale et Solidaire.