Tiers-lieux (4) : de nouveaux outils de soin ?

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L’EHPAD marseillais Les Jardins d’Haïti a été en 2022 l’un des lauréats de l’appel à projets de Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) « Un tiers lieu dans mon EHPAD ». À l’image, une résidente discute avec, lisant un journal, l’un des jeunes de l’IME Valbrise (qui passent une matinée par semaine dans l’EHPAD), tandis que d’autres publics mélangés jouent sur la table derrière. ©© Sylvie Legoupi

Les tiers-lieux, nouveaux foyers de l’engagement, se sont récemment multipliés aux quatre coins du pays. Ils attirent toujours plus de citoyens avides de « faire ensemble » mais aussi désormais des institutions publiques et des organisations venant de multiples horizons. Celles qui œuvrent dans les domaines de la santé et du médico-social, de certains EHPAD à des centres hospitaliers, se montrent particulièrement séduites. Pourquoi cet intérêt ? Quelles en sont les promesses et les toutes premières expériences ?

Vivre au bout des terres ouvre les horizons, et enseigne la patience. Sur la presqu’île de Crozon, en Finistère, une jeune association de soutien aux personnes fragiles prépare depuis deux ans l’ouverture de son tiers-lieu. En attendant cet avènement, La Soupape teste son fonctionnement futur en organisant régulièrement des journées « bulles d’air », destinées à apporter du soutien à ceux qui en ont besoin. Ceci « dans un endroit neutre », où les personnes en situation de handicap ou de fragilité vont pouvoir échapper quelques heures à leur routine et à leurs soucis quotidiens. « C’est ouvert à tout le monde, pas qu’à des personnes en situation de fragilité », insiste Céline Philippe, l’une des cinq travailleurs sociaux bénévoles de cette association créée en 2019. À l’origine, l’équipe a établi un « diagnostic de territoire », qui a permis de constater le cloisonnement des accompagnements médico-sociaux locaux. Pour La Soupape, l’enjeu est précisément de « sortir des institutions existantes pour en inventer de nouvelles », plus adaptées. Un sacré challenge.

Un lieu dédié aux publics en situation de vulnérabilité construit selon des principes de mixité sociale

Pour tenir ce pari et se créer un point d’ancrage fort, l’association a imaginé se doter d’un lieu d’accueil et d’hébergement a priori plus ouvert et « intergénérationnel » que la plupart des établissements médico-sociaux d’aujourd’hui. Elle pourra bien sûr y recevoir des personnes en situation de vulnérabilité ou de fragilité, auxquelles elle proposera un accompagnement spécifique (éducatif ou psychologique), mais désire se donner les moyens d’y accueillir également un public plus large, « ordinaire » pourrait-ton dire. Et pour créer ce « cocon ouvert sur l’extérieur », le modèle du tiers-lieu s’est naturellement imposé, ouvrant les horizons du possible. L’équipe rêve d’un gîte accueillant des artistes en résidence et proposant activités et stages, avec une forte dimension écologique. Ses objectifs sont ambitieux : augmenter et diversifier l’offre locale d’accompagnement et d’hébergement médico-social bien sûr, mais aussi favoriser la mixité des « publics », permettre les rencontres entre générations et milieux socio-culturels divers, porter des valeurs de solidarité et d’écoute, de vivre et faire ensemble, s’inscrire dans une dynamique de territoire et l’enrichir, et même proposer un autre type d’accueil aux visiteurs saisonniers, à travers une offre de « tourisme solidaire ». À l’arrivée, ce serait à la fois un lieu de « répit », ouvert à tous, toute l’année, 24h sur 24, et un lieu « donnant à chacun(e) l’opportunité de se valoriser ».

Les journées « bulles d’air » servent actuellement à imaginer, tester et développer cet art du « partager ensemble ». Car ce lieu, l’association l’attend encore. Le terrain qui ferait l’affaire n’est pas (encore) constructible, et même si un financement participatif a permis de récolter 11 000 euros offerts par 95 contributeurs, l’ouverture imaginée pour 2023 sera sûrement retardée… Patience donc. Et ténacité.

Travail, emploi, formation, fabrication locale, alimentation durable, numérique, écologie, culture, lien social, etc. : parmi les champs d’action identifiés par France Tiers Lieux dans son rapport de 2021, on ne trouvait pas trace de la santé. Ni même du soin. Seule surgissait parfois la notion floue de « bien-être ». Alors même si, selon ce rapport, un gros tiers de ces espaces ont développé des actions spécifiques en faveur de l’accueil des personnes en situation de handicap, on peut affirmer qu’il s’agit bien d’un nouveau champ pour la culture des tiers-lieux. Et d’un développement bienvenu au moment où ceux-ci semblent, après leur formidable essor, arriver à la croisée des chemins… Le danger, en effet, serait de laisser les tiers-lieux en quelque sorte succomber à l’effet de mode. Ils pourraient se vider de leur sens, le fécond concept dégénérant en stériles simulacres à mesure que certains « tiers-lieux » marchands ou instrumentalisés s’imposeront en oubliant l’essence même ce type d’espace. D’où justement l’opportunité, pour peut-être réinventer l’esprit des origines sur de nouveaux territoires, d’essaimer vers l’Économie sociale et solidaire (ESS), la solidarité, le médico-social et la santé, voies qui offrent l’espoir de garantir leur développement à long terme.  

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Le 3bisf est un centre dédié aux arts contemporains et aux arts vivants qui fonctionne comme un tiers-lieu au cœur de l’hôpital Montperrin à Aix-en-Provence. S’y mêlent personnes en situation de handicap psychique, soignants, accompagnants et publics du quartier. En photo : une « participante et professeure de yoga du rire » anime un atelier dans le jardin partagé ouvert à toutes et tous. 
©© Agnès Mellon

Faire entrer l’esprit des tiers-lieux dans des institutions encore fermées

Solidarum a déjà noté une récente évolution qui incite à l’optimisme : à l’instar du 3bisf au cœur d’un hôpital psychiatrique, des variantes de tiers-lieux se créent ou déjà s’imaginent depuis peu au sein d’institutions pourtant traditionnellement très fermées (hôpitaux, EHPAD, foyers d’accueil psychiatriques, lycées professionnels, etc.) qui, grâce et à travers eux, entreprennent de transformer leurs pratiques. Illustration frappante de ce phénomène, le programme « Un tiers lieu dans mon EHPAD », appel à projets lancé en 2021 par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour encourager l’ouverture de ces établissements sur leur environnement. Le moyen ? Une co-construction d’espaces hybrides par les résidents, les habitants du quartier et les acteurs de la vie sociale locale. L’objectif ? Restituer leur pleine citoyenneté aux plus âgés, tout en retissant leurs liens avec les autres générations. Les projets soutenus impliquent donc fortement les résidents, s’efforçant de valoriser leur place de témoins privilégiés de l’histoire et de la culture locale, et de les déplacer de la position passive – et subie – de « bénéficiaires » à celle d’acteurs.

En janvier 2022, la ministre chargée de l'autonomie, Brigitte Bourguignon, dévoilait 25 lauréats, choisis parmi les 360 candidats ayant répondu à l'appel à projets national. Cafés solidaires, jardins partagés, « places de village », bibliothèques, salles de musique, etc. : la forme change au gré des ressources et des besoins de chaque établissement. Mais partout se retrouve la même volonté de mélanger les générations et les publics. L'ancrage territorial étant un enjeu essentiel, tous intègrent dans la conception et l’animation du lieu des partenaires locaux – acteurs associatifs, publics ou privés, collectivités – qui y proposeront des activités ouvertes à tous. L’EHPAD pourrait-il ainsi se débarrasser de sa mauvaise réputation pour se muer en pôle des dynamiques locales, plaçant ses résidents au cœur des échanges du territoire ? L’État y croit suffisamment pour avoir mobilisé au niveau national, grâce au plan d’aide à l’investissement prévu par le Ségur de la Santé, 3 millions d’euros pour financer ces 25 expérimentations. Parmi les lauréats, répartis dans 16 régions, citons le projet baptisé « Culture(s) en sol mineur », à l’EHPAD Pierre-Mauroy de Harnes (62), qui accueillera un espace de transmission et de culture locale au cœur du bassin minier, ou Venez chez René, au sein du CHU de Brest, qui s’articulera autour de quatre axes : le sport et le maintien en forme, la culture et le mélange des générations, la citoyenneté et le faire ensemble, et enfin l’innovation.

Un EHPAD qui abrite une crèche

De nombreux tiers-lieux en EHPAD existent déjà. Certains avec des ambitions modestes à l’image de celui d’Aix-les-Bains (73), qui se résume à une cuisine partagée avec des associations de quartier et les services sociaux de la ville et du département, proposant des ateliers culinaires pour jeunes parents avec lesquels les résidents partagent leurs recettes. D’autres voient plus loin. Parmi les pionniers inspirateurs, les Jardins d’Haïti, à Marseille, portés par un directeur désirant selon ses propres termes « péter les codes ». Cette maison de retraite médicalisée a entamé voici deux ans sa mutation en « tiers-lieu » avec l’installation d’une crèche dans un bâtiment mitoyen. Cette transformation va maintenant passer à la vitesse supérieure, l’établissement faisant partie des 25 lauréats – le seul de la région PACA. Soit la reconnaissance du travail mené par le directeur de cette « maison à vivre », agrémentée d’un soutien financier non négligeable de 150 000 euros.

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Aux Jardins d’Haïti, dans le 4e arrondissement de Marseille, les 10 enfants de la crèche UB4Kids partagent des moments avec des résidents de l’EHPAD, comme ici dans son grand patio avec une psychomotricienne qui y est en stage. L’EHPAD et la crèche partagent en effet un même bâtiment.
©© Sylvie Legoupi

« C’est difficile de faire sortir les résidents, alors on veut faire rentrer le monde ici ! », annonce Laurent Boucraut, qui compte bien attirer tout le quartier dans son établissement des Jardins d’Haïti… en multipliant les appâts : école de danse inclusive répétant dans la salle des fêtes, télé-travailleurs « coworkant » en profitant du wifi gratuit, réfectoire devenu restaurant « bistronomique »… La cour centrale va accueillir « un marché bio et local » et des concerts. Des plasticiens proposeront résidences et expositions au sein du bâtiment. Un « foodtruck des Jardins d’Haïti » va même voir le jour, ainsi qu’un potager de 500 m² partagé avec les habitants du quartier. Les élèves d’une école élémentaire voisine viendront y faire classe tous les 15 jours. Une résidence étudiante sociale ouvrira à la rentrée : appartement neuf de 50 m² avec deux chambres pour des jeunes en situation de précarité, qui seront nourris et logés gratuitement en échange de 15 heures de présence hebdomadaire auprès des résidents… Concerts, restaurant et foodtruck permettront de générer des revenus supplémentaires et bienvenus. Pas de doute, cet exemple probant d’un travail de fond entamé « hors cadre » institutionnel donne l’espoir d’élaborer un modèle reproductible, à même de changer un secteur actuellement pointé du doigt (rappelons tout de même que la grande majorité des EHPAD français n'ont pas d'actionnaires : 50% sont publics et 30% associatifs). Car Laurent Boucraut en est persuadé : « Le futur des EHPAD, c’est des tiers-lieux ! »

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Beaucoup des activités de l’EHPAD Les Jardins d’Haïti, qui se veut d’ores et déjà un tiers-lieu, se passent dans son restaurant. Au sein de ce grand espace sont en effet invités à s’installer gratuitement des « co-workers », comme à gauche de la photo Laurène, qui monte un projet lié à l’écologie, ici en discussion avec une résidente en fauteuil roulant. ©© Sylvie Legoupi

Un tiers-lieu mobile pour que les résidents d’EHPAD s’inscrivent dans la vie de la cité

 L’enthousiasme est partagé par le sociologue François Huguet, qui invite lui aussi à « s’inspirer des tiers-lieux dans le médico-social », l’expérience acquise dans le domaine culturel devant permettre de repenser complètement le fonctionnement des EHPAD, avec deux principes-clefs : l’ouverture de ces établissements sur leur environnement, et la réinscription de leurs résidents dans la cité. « Il faut ouvrir les Ehpad », exhorte également Anne Mensuelle-Ferrari, directrice du Pôle gérontologique nîmois de la Croix-Rouge, où elle porte le projet d’un « tiers-lieu mobile » baptisé Paquita. En l’occurrence un camion retapé par les résidents de deux établissements, avec le renfort de salariés, d’habitants, d’étudiants, d’artistes et d’architectes, et qui sillonne la ville jusque dans ses quartiers « difficiles » pour soutenir les populations, monter avec elles des projets inclusifs, leur proposer des ateliers, etc.

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Au fond de l’image, le camion dénommé Paquita est le « tiers-lieu mobile et intergénérationnel » des deux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes du Pôle gérontologique nîmois de La Croix-Rouge française. Il a été retapé par des résidents, mais aussi par certains de leurs salariés, des habitants, des étudiants, des artistes ou architectes. ©© Pierre Mérimée

 

Au cœur d’un quartier en pleine réhabilitation, le Pôle gérontologique se veut « place centrale de village ». Ici aussi, l’enjeu est de « changer le regard » en mélangeant les gens et les genres. Les résidents des EHPAD pourront donc croiser aussi bien ceux d’un établissement de lutte contre l’exclusion que les habitués des jardins partagés. Autant d’occasions de rencontres à même de rendre à ces personnes souvent isolées une place dans la vie du quartier. « Le vrai obstacle, c’est la vision que le public a de ce type d’établissement », juge Anne Mensuelle-Ferrari. « L’image de l’EHPAD est terrible. Penser le lieu comme un nouvel espace d’échanges est crucial pour faire venir les gens. Chez nous, ce n’est pas un lieu où l’on meurt, c’est un lieu où l’on vit ! »

Effet de nouveauté oblige, le dispositif « tiers-lieu » bénéficie actuellement d’une aura et d’un pouvoir d’entraînement remarquable, qui permettent de mobiliser vite et fort aussi bien des acteurs associatifs que des entrepreneurs et des élus locaux. Labellisé Fabrique de Territoire en 2020, le Pôle gérontologique nîmois a ainsi rallié le conseil départemental, la mairie, la CAF, des comités de quartiers et même l’université de Nîmes (dans le cadre d’un master sur l’innovation sociale). Autre atout, et non des moindres, la valorisation des salariés que ce projet fait monter en compétences. « Il redonne ses lettres de noblesse à leur métier », insiste Anne Mensuelle-Ferrari. « On ne cherche pas juste à poser un lieu dans un quartier mais bien à redonner du sens à notre raison d’être là. Faire du lieu social le lieu du lien social. »

Tiers-lieux autonomie dans mon quartier pour plus de proximité 

Au-delà des seuls EHPAD, le concept de tiers-lieu séduit de plus en plus de professionnels de santé qui cherchent des alternatives aux structures traditionnelles, et souvent rigides, de la prise en charge. Cela n’est pas pour déplaire aux nombreux élus en mal de transition, comme ceux de Seine-Saint-Denis, où le vieillissement démographique – ici, le nombre de plus de 75 ans va doubler d’ici 2050 pour atteindre 165 000 personnes – a incité le Conseil départemental à lancer le programme « Tiers-lieux autonomie dans mon quartier ». L’offre médico-sociale classique ne pouvant suffire, à terme, à répondre aux aspirations de personnes souhaitant vivre le plus longtemps possible chez elles, en étant à la fois bien entourées et en disposant de services et d’équipements de qualité, il s’agit d’expérimenter et de déployer 25 espaces innovants sur ce territoire d’ici 2024, qui concentreront services et activités adaptés aux personnes âgées ou en situation de handicap, pour faciliter leur maintien à domicile, les sortir de l’isolement et « favoriser leur autonomie ».

Ces lieux, conçus comme « non stigmatisants », visent à diversifier et à renforcer l’offre de proximité, en direction des personnes âgées mais aussi des aidants familiaux et des professionnels médico-sociaux. Avec toujours, plus globalement, l’idée de renforcer le lien social dans la cité. Les projets retenus, déjà opérationnels ou en cours de réalisation, sont portés par des bailleurs sociaux et des associations. « Les lieux existants vont diversifier leurs activités en direction des personnes âgées et en perte d’autonomie, et nouer des partenariats avec des professionnels du médico-social. Le but est d’avoir des lieux identifiés, intergénérationnels, ayant une action d’aller-vers pour identifier les personnes isolées », explique Magalie Thibault, vice-présidente du Conseil départemental en charge de l’autonomie. Le département a débloqué 500 000 euros pour construire ce réseau. « Notre initiative est inédite en France », insiste l’élue. « Nous voulons sensibiliser les maires et les bailleurs à la question du vieillissement. Le maintien à domicile passe aussi par un aménagement du quartier, par des lieux ressources qui proposent des activités et services adaptés. »

En septembre 2021, quatre des sept lauréats de la promotion 2020 ont ouvert leurs portes. À Pantin, le café Pas Si Loin s’anime de rencontres et d’activités créées par des femmes du quartier. À Rosny, l’association FaSol&Si propose des ateliers et une aide administrative et numérique aux aidants et aux professionnels du secteur médico-social. À Montreuil, la Maison Montreau, à la fois café culturel et cantine de quartier, élargit ses activités avec du sport adapté, un café des aidants et des ateliers prévention santé. À Noisy-le-Sec, la salle polyvalente fonctionne au sein d’une « résidence intergénérationnelle » portée par AMLI (association pour l'Accompagnement, le Mieux-être et le Logement des Isolés), membre du Réseau Batigère, spécialiste du logement accompagné. D’octobre à décembre 2021, ces quatre tiers-lieux avaient déjà comptabilisé plus de 3 000 passages, dont un tiers concernait des personnes âgées.

Des projets inclusifs hors du cadre institutionnel

Ces projets ont aussi le mérite de mobiliser de nouveaux acteurs, et des outils qui rompent avec les habitudes. Ergothérapeute rennaise, Marie Venot a créé Villanthrope en 2018, un atelier-conseil œuvrant à la croisée de l’urbanisme, de la santé et du social. Elle a été engagée comme consultante par le bailleur social Vilogia, autre lauréat de l’appel d’offre, qui prépare un tiers-lieu « inclusif », ouvert à tous mais en particulier à des personnes âgées ou en situation de handicap, au rez-de-chaussée de la tour Masaryk de Sevran. Aux manettes, non pas une structure médicale ou médico-sociale, mais un opérateur public qui entend coupler ici ce dispositif avec de « l’habitat inclusif ». « Pour l’occasion, ce bailleur social s’est associé avec la 27e Région, qui incite à penser autrement les politiques publiques, notamment en étant beaucoup plus en lien avec les habitants. » Cette association a ainsi élaboré un programme baptisé « lieux communs », déployé sur le projet Masaryk. « Ma problématique », explique Marie, « c’est de fournir aux acteurs du quartier, qui vont concevoir ce tiers-lieu, les outils pour penser une activité réellement inclusive, accessible à tou(te)s. Je réfléchis aussi à la façon d'aménager ce tiers-lieu, en termes d’accueil, de circulation, de mobilier, de luminosité, acoustique… »

On retrouve cette même approche « désinstitutionnalisée » du travail social à la Ressourcerie, tiers-lieu ouvert au printemps 2019 dans le centre de Bordeaux, pour « prendre soin des aidants ». Cette initiative du groupe privé de protection sociale Malakoff Humanis s’est trouvée de nombreux partenaires : la ville de Bordeaux, le département, la région, le CHU de Bordeaux, des établissements d’accueil et d’hébergement, des services d’aide à domicile, des acteurs de l’ESS, des loisirs, du bien-être… À l’arrivée, il s’agit d’un vaste appartement lumineux en rez-de-chaussée, ouvert sur l’espace public, où les usagers devront se sentir « comme à la maison », très loin du cadre impersonnel d’un service social. Avec l’idée d’instaurer un climat de confiance entre les usagers et l’équipe pluridisciplinaire de professionnels en charge du lieu, qui pourront ainsi repérer plus facilement des personnes à aider, les accompagner, les informer, les orienter et les soutenir en fonction des besoins exprimés.

Trente tiers-lieux d’expérimentation en santé numérique

Dernier aspect, plus ambigu peut-être, de cette impressionnante vogue du « tiers-lieu » dans le domaine de la santé, la Banque des Territoires a lancé en début d’année, pour le compte de l’État, un appel à projets baptisé « Tiers-lieux d’expérimentation » et concernant le domaine de la « santé numérique ». L’objectif est de créer trente laboratoires pour cette filière et d’y financer une centaine d’expérimentations d’ici à 2025. Un budget de 63 millions d’euros, sur quatre ans, permettra d’évaluer, expérimenter et faire émerger des solutions innovantes dans ce secteur en pleine croissance, où la France entend se tailler rapidement une place de leader. Toutes les structures de santé (sanitaire ou médico-sociale, publique ou privée, en ville ou en établissement) ainsi que les acteurs de l’innovation ayant une activité sanitaire ou médico-sociale peuvent se porter candidates.

Les trente tiers-lieux sélectionnés d’ici fin 2024 réuniront des bataillons d’intervenants divers : professionnels de santé, usagers, patients et volontaires non malades, aidants, collectivités, entreprises, fournisseurs de solutions numériques, chercheurs, experts en méthodologies, économistes, chargés de valorisation, etc. Le premier objectif est de tester de nouveaux services numériques de santé « en vie réelle » et d’étudier les retours d’expérience des utilisateurs (impact, acceptabilité, ergonomie, etc.). Il s’agira également de mesurer les « bénéfices médico-économiques » des solutions testées, puis d’accompagner le déploiement et l’accès au marché des solutions ayant fait la preuve de leur impact. Le modèle du tiers-lieu a ici été choisi par les pouvoirs publics qui le jugent en mesure de combler le manque de terrains d’expérimentation pour les structures de soin, l’une des principales limites au développement de la filière numérique en santé. Mais s’agira-t-il encore ici véritablement de « tiers-lieu » ? N’y a-t-il pas un risque de confusion des genres, un tiers-lieu étant in fine bien plus qu’un simple territoire d’expérimentation, aussi nécessaire que soit aujourd’hui ce type d’espace, en particulier dans le domaine du soin ?

Ce projet de « Tiers-lieux d’expérimentation » de la Banque des territoires, aussi intéressant soit-il, pose clairement la question de ce que pourraient être pour demain les différents « modèles » de tiers-lieux, question que nous aborderons dans le dernier volet de notre enquête au long cours sur les tiers-lieux, à paraître le 15 novembre prochain.

À lire aussi, les trois premiers ainsi que le dernier volets de notre enquête :

- Tiers-lieux : là où l’open coule de source (1)

- Tiers-lieux : là où l’open coule de source (2)

- Tiers-lieux : là où l’open coule de source (3)

- Tiers-lieux (5) : quels modèles pour demain ?